TUMULUS

Tumulus est le titre de mon dernier recueil de poésie. Il est sorti peu avant Noël, publié par les éditions Bleu d’encre.

En première de couverture un de mes croquis.

En quatrième de couverture, ce poème :

il faut

un brin d’amour

pour que penche l’herbe

sous l’impulsion d’une roulade

quand la joie à l’âme renverse

la terre aux pieds du ciel

et que l’on goûte la vie par le nectar

des fleurs de trèfle

Carmen Pennarun

.

Le livre compte 185 p.

son prix :18€ auquel s’ajoutent les frais d’envoi

pour vous le procurer envoyez moi un mail si vous souhaitez un exemplaire dédicacé.

carmen.pennarun@wanadoo.fr

vous pouvez si vous habitez la Belgique le commander auprès de l’éditeur Claude Donnay

claude.donnay58@gmail.com

vous pouvez l’acquérir à la librairie Wallonie-Bruxelles, rue Quincampoix à Paris, juste derrière le Centre Pompidou, soit en allant sur place, soit en le commandant.

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VOICI UN PREMIER RETOUR DE LECTURE :

J’ai lu deux fois TUMULUS ( Ed bleu d’encre, 2023) de Carmen Penn Ar Run, pour mieux m’en imprégner. Cet épais recueil est comme un chant intime, une exploration des émotions présentes et passées. « Où se situe ma présence sur la trajectoire de mes désirs fauves? /ni impuissance ni peur/ elle suit le chemin de la confiance et de la bienveillance/je pose l’émotion sur la barre haute(…) ». Il me semble tenir à la fois du « journal », de fragments de mémoires et de creuset pour les souvenirs engrangés, souvenirs d’enfance et d’autres plus récents. Le langage est clair et doux même pour aborder les choses graves. L’on perçoit une communion véritable avec une contrée, celle qui est faite de sable blanc, d’ajoncs, de fougères, de mystère et de pierres ( la Bretagne), ainsi que les connexions essentielles et l’empathie qui relient l’auteure à la nature, aux arbres en particulier. « C’est ainsi que je me laisse surprendre par une lumière qui met en valeur un arbre. Un seul. Pourquoi celui-là, aujourd’hui ?(…)Il devient l’unique objet de ma visite et je lui accorde, avec gratitude, quelques instants de présence immobile. Nous sommes deux êtres un temps enracinés côte à côte ».

Martine Rouhart

Un noyau de colère

Il apportait du coeur à chacune de ses tâches. Le soleil brillait entre les ombres de ses phrases, elles hissaient la parole comme branches que la multitude des troncs reliait au grand sol.

Il y avait de l’humus au creux de ses mains et c’était comme si de tous ces débris végétaux renaissait le chant des oiseaux épris de terre.

Des miettes la vie faisait son pain. Que dis-je, elle faisait son feu. Un feu blanc où tout n’était que crépitement de joie tendue vers l’unité.

Il avait un soleil dans le coeur et il parvenait à se relier aux soleils que chaque vie, chaque manifestation, contenait.

Nous demeurons sur le pourtour des choses alors que leur noyau est joyau incandescent.

Nous ne nous permettons que l’épreuve de la résistance. Au-delà de la résistance… existe l’épreuve du feu qui ouvre à une dimension autre où nous attendent les dragons.

***

« Laisse-moi être en colère ! »

m’a-t-il dit, alors je me suis

tenue au-dessus des turbulences

sans songer à les tempérer

dans l’orbite

inatteignable de la paix

.

Amour !

.

Pour tout horizon

une longue route bleue

aux nuances d’acier

.

Le bleu turquin

– irrémédiablement –

s’enfonce dans le bleu nuit

l’espoir d’une ouverture

même barbeau nous est enlevée

(il fait froid sans couverture étoilée)

on ne peut atteindre les nuances

aigues marines ou les belles azurées

que par échappées rêveuses

– dans le réel elles sont trop long voyage –

De grâce, accordez-nous le calme froid

d’un bleu givré __ ses harmonies ouatées

seraient plus douces à porter

elles nous protégeraient des retombées

de vrilles, dures comme boulets de canon

.

Entendre ta fureur, oh, dragon

Afin de ne pas demeurer champ

dévasté que gagne la tristesse !

***

.

Il est d’immenses chagrins

il en est d’autres qui doucement

font leur lit dans le fleuve amour

.

Inexorablement ils creusent

sans que le cours ne les y encourage

Ils s’en fichent du courant

ils créent des marmites

provoquent des tourbillons

La fougue est en eux

énergie ravageuse

elle affronte des montagnes

lorsque la géographie de la vie

n’offre que doux vallons

.

Mon Dieu, toutes ces lignes d’eau

et combien de dépressions faudra-t-il

avant que les dragons de la jeunesse

cessent de tourmenter les jours

et que dans la vallée la bénédiction

de l’eau se fonde dans les bras de la mer ?

***

Elle ne parlait pas, mais son regard disait la fièvre. La petite fille, en face d’elle, l’encourageait à s’exprimer. Elle saurait bien grappiller quelque sens car depuis des mois la voix de son aïeule était devenue inaudible et ses propos incohérents.

La parole lui parvint tout à coup, réveillant la mémoire couverte par des années de silence.

« Si je laissais mes épaules s’abaisser, quel serait le risque que je m’écroule ? Redresse-toi, me dit-on, mais un jour l’effacement s’installe jusqu’à l’inévitable, jusqu’à ce que la présence soit gommée aux yeux du monde. C’est douleur de se redresser quand le mal transpire par tous les pores. On l’ignore tant que la souffrance morale n’atteint pas la chair… mais au-delà, quand le corps a absorbé tous les torts, la vindicte s’attaque au souvenir… les morts doivent bien aider les vivants à porter leur part de souffrance… même toi tu me renieras. »

Sur cette malédiction, elle laissa son souffle avoir le dernier mot.

Tout était dit dans la continuité de la douleur.

le ciel n’est pas la rançon de l’épreuve !

.

Carmen Pennarun

illustration : Chen Hui 1959

Joséphine

:

Cicatrices

La peur des dangers lui était devenue étrangère depuis que son père l’avait soulevée, la portant haut au-dessus des crocs du chien.

Les chiens de ferme n’étaient pas des compagnons de jeu pour les enfants. Malheur à ceux qui auraient commis l’imprudence de se glisser dans leur niche. Joséphine, en toute innocence, avait eu cette idée… mais le père aimant veillait !

C’était avant la guerre. Avant qu’il ne soit appelé. Avant qu’on ne le lui enlève.

Depuis, Joséphine avait peur de Rien.

Je vous vois venir. Non, elle n’avait pas peur de Rien, elle avait peur, réellement peur, de Rien, de l’innommé, de l’impensable.

La peur est humaine que l’inhumanité accorde à sa monstruosité.

*

Adieux

La maison s’éloignait sur le tableau noir de la nuit

ou alors c’était le train. L’appel les avait enfermés dans un nuage

sombre où les larmes brouillaient déjà les mémoires.

L’enfant, derrière la grille, se tenait, debout

le chien dormait dans sa niche

et le père sur le champ d’honneur s’était couché.

*

Elle avait peur le soir et ne se couchait jamais sans vérifier qu’un fantôme ou quelque monstre ne se cachât point sous le lit. Cela amusait beaucoup l’enfant. L’expérience la plus cruelle pour Joséphine fut la nuit où elle dut dormir dans la maison en construction que son fils bâtissait pour sa famille. Une seule pièce était aménagée, la chambre de l’enfant.

[…]

Les esprits, grand-mère n’en voulait pas, la vie était assez compliquée comme ça, c’est pourquoi elle chassait les fantômes chaque soir avant de s’abandonner au sommeil. Elle les traquait derrière les fourrés des meubles, dans les sous-bois du lit, la moindre ombre était pour elle celle d’un bandit des grands chemins, elle avait le pouvoir de se rétracter ou d’étirer sa terreur sur le mur, qui du coup semblait se rabattre sur l’infortunée.

Alors l’enfant vérifiait qu’aucune présence ne se tînt sous le lit. Elle contrôlait l’armoire et l’espace entre les vêtements suspendus, elle secouait les doubles rideaux, tandis que Joséphine, à genoux sur le lit, s’accrochait au sentiment de sécurité qui ne comptait que sur l’innocente ronde d’une petite fille.

Carmen Pennarun

Je suis Marie, la « petite reine de la cité »

.

Depuis son plus jeune âge ses actes étaient guidés

par la nature. Elle respectait les lois des vents

des marées. Ne lui en demandez pas la raison

prenez ses notes comme autant d’instantanés

Elle était imprévisible pour qui ne savait pas lire

les signes que Terre envoyait, ceux que les passeurs

des voix de la nature – nos animaux – traduisaient

.

N’accusez pas le liseron s’il étouffe vos rosiers

seul le jardinier ordonne la nature

hélas, elle ne connaissait rien à l’horticulture

elle laissait l’enfant faire ses premiers pas

quand de lui-même il parvenait à maîtriser la loi

de l’équilibre en direction de ce qui l’attirait.

Elle se gardait de s’exclamer par crainte

de le surprendre et de stopper son élan

.

Elle était le témoin silencieux – pierre

levée qu’une vibration joyeuse animait

Elle entendait le chant de la vie et le frémissement

des arbres surpris par l’agitation humaine

Elle entendait

.

la voix de son père, celle de sa mère

un écho d’amoureux, une tonalité

pour elle seule. Son berceau était construit

de bois. Son père pourtant, n’était pas menuisier

mais il avait su chantourner les barreaux

pour son fils. Pour un fils ?

.

Début d’automne. La nature tapissait déjà

le sol de feuilles pour l’avenir. Une enfant

avait trouvé un nid dans le corps d’une jeune

fille. Ses parents allaient quitter la chambre

de bonne où la tenancière les regardait

d’un mauvais oeil. L’enfant attendait

C’est dans une cité, la première construite

à l’appel de l’abbé Pierre, que les eaux annoncèrent

une naissance dans l’urgence. L’enfant prématurée

tardait à voir le jour. Pourquoi faut-il trop souvent

enfanter dans la douleur ?

.

La peur de perdre la mère et l’enfant

ouvrit le coeur du père, ainsi il put accueillir sa fille

Elle devenait miracle. Il l’appela Marie

.

Entre les barreaux de son lit Marie entendait

tous les sons que la vie lui apportait

elle sut faire tenir les mots debout bien avant

qu’elle ne se dressât sur son matelas

et c’est sur le tremplin des mots qu’elle apprit

à grimper pour mieux voir ce qui mijotait

dans le chaudron de la vie

.

Elle sut très tôt que les mots bien souvent

contredisent ce que les coeurs dans leur langage

lui révélaient. N’était-elle pas Reine, première enfant

née dans cette cité ; un chaland où tous les miséreux

apprivoisaient leur dignité ? Elle symbolisait l’espoir.

.

Carmen Pennarun

photographie : Staihis Vlahos

Au fil d’une rivière

Au bord des cils

la rivière des larmes

est venue absoudre

mes peines

.

Faut-il que j’en oublie

les marées de l’âme

les pensées, les tendresses

les attentions de feuilles mortes

ramées avec indélicatesse

.

L’ombre en elle porte

le dédain des choses nobles

elle nous veut tout entière

abandonnée aux chimères

aussi vraies que paroles

.

dans l’éteignoir des jours

quelquefois incertains

*

— me fige ton silence

cette absence de proximité —

glissent larmes dans l’espace

où baignent nos amours taries

elles emporteront notre histoire

quand du calice qui les recueille

débordera l’eau des peines

une larme a si peu de poids

mais une larme suffit à nous

rendre sourds à la musique

sur laquelle jadis

nous dansions

la valse

*

Quand les pensées s’enchaînent

suivent un pas de derviche

et que tourne la vie

trop vite – Laissez-moi

à mes maladresses

à mes doutes

qu’ils retombent

dans la facilité

de l’instant

où plus rien

ne tremble

*

Par l’écriture j’explore

le noyau de l’instant

j’effleure le plus sensible

et d’une mesure de joie

j’enrobe de Paix la tristesse

.

Serais-je un grain de raison perdu dans une jungle en folie

ou un brin de folie dans une foule raisonnable ?

Je me ressens écharde consciente

– dans la fusion de la douleur et de la joie

.

L’écriture attendra

je préfère retarder le moment

et depuis mon refuge observer

l’éclat des étoiles dans les pupilles de mes chats

Ballottée entre le pire et le meilleur

je bénis ceux qui parviennent

à accueillir les cieux dans l’oeil

du cyclone de l’épreuve

*

Sauvage – je ne puis

être libre – je te fuis

quand tu n’entends pas

ma parole, ami

– torrent qu’un chant

de ruisselet défait

*

Hommes, la côte vous regarde

et le temps soutenu d’une éclaircie

porte l’éternité sur ses épaules

*

La tristesse abonde – oh

mal d’adresse, malade de reste

je ne sais, je ne suis,

je ne puis dire d’un sou-

-rire et mentir encore

alors qu’un mot juste

un mot signerait l’envie

en cr(eux) rêve surface !

*

La vie a surgi de l’eau

l’artiste Escher l’illustre

d’un poisson qu’une oie noire

métamorphose

et la vie court toujours,

tandis que l’eau suit son cours

par les accidents de Terre – dessinée

.

La rivière répond à l’appel de la mer

tandis que le saumon a le goût de la Terre

dans ses gênes. Quelquefois dans le ciel

un goéland ou un cormoran choisit

la campagne à contre-courant. Leur fantaisie

nous étonne, ils aiment la Vie qu’elle soit

de Terre ou de Mer.

.

Le poète au rythme d’une rivière qu’il sillonne

doucement dans la parallèle céleste

fraie une voie aux flèches des anges

et quadrille l’univers de croix de lumière

.

Carmen Pennarun

photo : J-F Michelet

Néréide par nature

Les humains les redoutent.

Ne les accusez-pas, enfants de la Terre !

Votre condition taille dans l’indifférence

des falaises votre conscience.

Pourtant l’oreille collée à la paroi

vous entendez pulser le flux de vie.

Rien n’est perdu !

Surprenez-vous, osez prononcer

des phrases dictées par les lois du coeur.

Inventez-vous des veines

qui se prolongent dans tous les états

de la création. Des chemins de reconnaissance

avec toutes les étincelles joyeuses qui pépient

comme hirondelles dans leurs nids accrochés

aux poutres de vos ignorances.

Ecorcez vos résistances et acceptez

que la vie se dénude à l’infini à vos yeux

de peintres visionnaires que le réel

a aveuglés. L’aspiration à la lumière

laisse présager l’heure d’un pacte.

 

(Le poète est bien piètre messager

qui court après les papillons des mots

et s’émerveille de leur légèreté

sans jamais en apprivoiser un seul,

mais le poète est coutumier

de ce regard qui transperce les apparences)

 

Surgies des clairières où elles se jouaient

de la lumière, elles ont devancé les enfants

dans leurs farandoles et jusqu’au bord

des falaises les ont conduits. Voyant

ces compagnes bondir légères

au-dessus du vide, ils ont oublié,

l’attraction de la terre, tout comme

les Néréides dans leurs élans oublièrent

que les enfants des hommes ne sont pas

des cabris, ni des elfes. Confondus dans le même jeu,

la chute des enfants les a entraînés vers la mort,

les blondes créatures se sont disséminées emportant,

en toute innocence, leurs rires.

Les jeunes gens attirés par d’autres jeux solaires

ont pu oublier toute prudence et rechercher

la présence de ces dames de lumière

mais on ne s’approche pas impunément

des soleils, fussent-ils de Terre.

Ils en ont, pour certains perdu

la vue et la raison… contre

un enchantement d’éternité.

Telles sont les légendes,

mais qu’en pense le poète ?

Il reconnaît l’insouciance

la légèreté de ces créatures

qui n’agissent que par nature

et jamais par intention

mauvaise. La lumière

est leur alliée que l’humanité

n’a pas encore maîtrisée

et elle en paie le prix

Les nymphes peuvent bien

bercer les rêves des hommes

d’un doux balancement

des frondaisons

mais humains et esprits

ne se joignent que dans

l’inconscient, au festin

des noisettes jamais

ils ne trinquent

pourtant la lumière

aime les hommes

autant que les fées

 

le poète a parfois

vu sa mère fêtée

par la lumière

subite

 

il a pris le chat

complice de

son secret

 

Il a pris

 

le chat

et l’a rendu

 

à l’ombre

.

Carmen P.

(tableau : Louis Emile Anquetin)

Sous nos pas

 

N’oublie pas que la terre chante

et que son chant passant

par tes pieds te transperce

.

Patience se contemple dans la source

(à moins que ce ne soit sa sœur, la vanité)

elle saisit son reflet qui jamais ne change

elle sait que malgré les apparences, les liens

qui nous embrouillent sur Terre sont déliés

par l’eau et le ciel, quelquefois par le feu.

Ce reflet est simple

jeu de lumière

sur les pierres

de son lit intime

– paillettes d’or

cueillies d’un regard

et déposées là

pour enluminer

son âme d’un ineffable

bonheur. Que la saison emportera

vers d’autres raisons.

.

Aimes-toi tel(le) que tu hais.

.

Tout est là

Ne laisse pas ton esprit guider la marche.

Vide-le comme une citrouille, alors

la lumière le remplira. Tu es ce puits

par lequel s’anime l’esprit au contact

de l’énergie de la Terre. Entre deux voix

la litanie terrestre et la symphonie céleste

tu chantes ta romance : le blues humain

.

Respire l’instant marché et que ton babille

s’effruite !

.

Sous tes pieds se déroule

un invisible espace

sur son ruban tu t’écris

les pieds frappent des lettres

où le bleu du ciel encapsule

une empreinte que le carbone

datera

.

Juste au-dessus de l’empreinte

s’élève une mémoire

elle prend forme vive

elle ravit au temps

sa propre apparence

car rien ne glisse

tout s’édifie

.

un peu de terre prélevée

ici, sur la piste de l’éternité

deviendra le corps

d’un nouveau désir

 

.

Carmen Pennarun

 

 

Comme un oiseau

Je connais toutes tes luttes

quand les épreuves nécessaires qui te laminent – injustes –

ne somment que paroles à taire

.

Alors tu vas courbant ton col de cygne

tu protèges les papillons de la tendresse

entre tes bras serrés contre ta poitrine

seul ton corsage de popeline s’est fripé

.

Viendra le temps du redressement

où ton cœur osera fouiller les décombres

l’illusion cessera ses appels à l’urgence d’agir

l’effroi se dissipera dans la présence scène

.

Tu n’es pas responsable. De rien ne désespère

La vie est à l’orage, enfant il te réjouissait

alors reprends tes bottes et t’en retourne patauger

jusqu’à ce que perce le violet des crocus

.

Retourne compter tes pas jusqu’à ce que cesse

de tanguer l’âme déboussolée que l’oiseau

du regard rétablira dans son vol migratoire

.

Carmen Pennarun

illustration : Catrin Welz-Stein

Paroles de corsaire

Le fantôme du corsaire – appelons-le Youenn – semblait considérer Lucas avec incrédulité.

Si nous étions tous deux voiliers, dit-il, nous passerions comme mirages sous le regard des hommes qui ignorent  autant les rêves du passé que ceux qui construisent  l’avenir.

Le sommet de nos mâts s’estomperait dans le lointain. Tu serais aussi invisible aux humains que je le suis aujourd’hui.

Ta voile pendue comme l’aile brisée d’un cormoran s’enliserait dans la brume et son clappement s’étoufferait progressivement dans le silence où personne, jamais, ne viendrait répondre à tes plaintes de lamantin. Tu as de la chance que je sois là. Ton égarement m’a tourmenté. Quel crime te reproche-t-on ? Le monde est-il devenu si dur que faute d’enfance est condamnable à vie ? Tandis que moi, voué à l’éternité sur un rafiot taillé pour affronter les vagues, je laisserais, appuyées sur l’étroitesse du bordage, les voiles plissées comme longues jupes de femmes pendre aux vergues.

Les hommes ignorent ma présence, je me déplace, sur les eaux comme sur le sol si promptement qu’on m’entend à peine. Tu peux m’appeler « le goéland silencieux ».

Ah, si tu savais la fébrilité de certains matins quand les matelots rassemblés sur le pont répondaient à l’appel des embruns et à la senteur rugueuse de la toile ! L’heure n’était pas aux questionnements. Le moindre doute venant de l’un de nous aurait été de bien mauvais augure pour tout  l’équipage !

Carmen P.

On naît tous quelque part

Vivre, c’est accepter de renaître en Terre natale

alors même qu’on a coulé des jours heureux

en Terre d’adoption. Comme lorsque certaines

heures du jour nous serrent le coeur jusqu’à

ce qu’on accepte d’ouvrir nos sens

à une moindre lumière, en dépit

de nos résistances, l’espace

et le temps tendent souvent

une autre joue à embrasser.

Cela, le peuple des pierres

l’entend qu’un éboulement

a détaché de la roche-mère

.

Carmen Pennarun

illustration : Magdalena Korzeniewska