L’oeil de l’ange (suite 2)

widget2_romanes4.jpg

 

 

 

 

 

L’œil de l’ange (suite)

 

 

 

 

 

[Estelle après une journée de peinture dans le jardin de Prévert à Omonville la Petite — où l’ange qu’elle a représenté sur la toile semble
intriguer les visiteurs — quitte les lieux avec son mari. Ils ont l’intention de se rendre à St Germain des Vaux.]

 

 

 

 

 

………Les choses ne se passèrent pas exactement comme prévu. Ils prirent bien la direction de St Germain des Vaux, mais au lieu de tourner à
gauche et de prendre la petite route qui montait vers le paisible jardin de Gérard Fusberti, l’ami de Prévert, ils furent attirés par une musique dont le tempo les ravit de leur propre chemin
pour les conduire au-delà du réel. C’était une musique où la joie, démesurée, explosait dans un débordement de lamentations. La détresse et l’exaltation parlaient  par les notes venues des violons, de l’accordéon, de la clarinette, du cymbalum. Tous les instruments s’accordaient à faire vibrer les émotions humaines en les
menant  à leurs paroxysmes. Cet enchantement  émanait de la place où un cirque avait dressé son
chapiteau.

 

Estelle et Michel se regardèrent amusés. Comme ce cadre, habituellement si calme, se trouvait transformé par cette ambiance ! Le plus
petit port de France, où quelques bateaux ancrés paraissaient de loin n’être que miniatures  destinées à renforcer une ambiance  marine, devenait le théâtre d’un foisonnement de sons, de mouvements !

 

Leur journée, depuis le matin, vécue sur le mode détente consacrée à l’ ouverture aux joies simples de la nature et de l’art, semblait
visiblement être prise en otage par un tourbillon… Quel contraste !

 

Flonflons, boniments, cris et courses d’enfants joyeux… une belle agitation les entourait et les conduisit jusqu’aux camions peints de vives
couleurs. Ils purent lire le nom du cirque et n’en furent pas surpris ; c’était le cirque « Reinhardt ». Un détail, cependant, les frappa de stupeur ; une ribambelle de
petites fleurs et d’étoiles mêlées entourait ce nom et cette ribambelle provenait d’une guirlande qu’un angelot tenait entre ses mains. C’était le portrait craché de l’ange sis dans l’ atelier de
Prévert !

 

—Puisque nous sommes là, allons donc voir le spectacle ! proposa Estelle, quelque chose
m’intrigue et me retient… comme s’il était vital pour moi de m’immerger dans ce capharnaüm.

 

Ce cirque tzigane se caractérisait par l’absence de faune venue d’Afrique ou d’Asie. Tous les numéros ne
devaient leur beauté, et leur poésie, qu’à la dextérité des gens et de quelques animaux savants, qui n’étaient autres que des chiens, des chats ou des chèvres domestiques. Un jeu de miroirs
grossissants permettait aux spectateurs, assis sur  les gradins, de voir les scènes avec un volume et un effet multiplié, ils en appréciaient les
moindres détails

Vint le tour de Luana, la trapéziste, elle était aussi
équilibriste et voltigeuse. À la voir si souriante, ravie, épanouie, volant ainsi au-dessus de la piste, on s’attendait à tout moment à admirer  un
saut de l’ange — la foule espérait  la cueillir dans ses bras. À trop lever les yeux vers le ciel du chapiteau, on s’égare toujours un peu  en
 rêvant récolter quelques paillettes !

Il y eut des jongleurs, il y eut des clowns, mais jamais le
spectacle ne donna dans la farce, Estelle et Michel ne regrettèrent pas cet intermède dans leur journée, tout ici était poésie !

Après le spectacle des clowns, une musique d’errance et de
rédemption, les plongea dans  l’illusion d’une angoisse… Ils reconnurent Luana, mais cette fois-ci elle avait perdu ses ailes. Elle avait revêtu une
longue robe-fourreau noire, très ajustée et fendue jusqu’en haut de ses-cuisses. Elle était ligotée à une cible géante. En face d’elle Enzo se tenait, immense et impressionnant. Quelques cris
éclatèrent quand sortit le premier couteau de l’ombre de sa manche. L’effet de surprise passé, on demanda à plusieurs personnes dans l’assistance de donner, à tour de rôle, chacun trois chiffres
inscrits sur la cible. À peine les chiffres nommés les dagues fusaient, tantôt de la manche gauche, tantôt de la droite.

Un trouble palpable s’installait parmi le public qui devenait
acteur du jeu, flirtant avec la belle  et l’instant possible de  sa mort –  mais du côté bourreau ! Il n’y avait aucune trace d’ empathie pour la victime. Heureusement, il n’y eut pas de mort non plus — seule l’angoisse de l’une et
le voyeurisme sadique des autres firent des estafilades dans les bonnes consciences  et se trouvèrent, au final, poignardés sur la cible
assassine.

À la fin du numéro, la musique cessa, faisant place à un lourd
silence. Le noir de la pression meurtrière qui avait été partagée par tous, resta perceptible durant quelques minutes avant de se dissiper. Sur la piste, le rouge n’était pas entré en scène et on
délivra Luana de ses liens,  seul un léger tremblement sur ses lèvres persistait. Une révérence et la musique, joyeuse, vint effacer l’intensité
dramatique des instants précédents.

Une  phrase de
John Lennon s’imposa alors à Michel : « Un rêve que l’on vit seul reste un rêve. Un rêve que l’on partage est une réalité.» Un frisson le parcourut, il ne se savait pas aussi
cruel !

Lui parvint, comme un flash, l’image d’un homme qu’il avait vu
passer durant le spectacle. Il avait tenté, alors,  d’attirer l’attention de sa femme, mais elle était trop absorbée et lui-même s’était bien vite
laissé envoûter par la fascination du spectacle.

 

Sorti du chapiteau, délivré des effluves musicales et voyageuses de cet
univers tzigane, la mémoire lui revenait.

—As-tu remarqué cet homme étrange, long et maigre qui a
traversé la piste, il est passé derrière la cible ? demanda-t-il à Estelle

— Je n’ai vu que la cible et la pluie de couteaux
!

—Je me suis demandé si, sous sa gabardine grise, ne se cachaient pas des échasses. Il portait
un paquet emballé dans du papier journal et il semblait vouloir le dissimuler  sous un pan de son vêtement.

— Un exhibitionniste ? voulut plaisanter Estelle.

— Non, ce n’est pas une blague, il avait un air fautif, mais peut-être est-ce l’angoisse du
spectacle qui me fait lui prêter de tels sentiments.

— Allons, oublions tout cela mon chéri, répondit Estelle d’un ton rassurant, une bonne nuit de
sommeil dans notre charmante auberge et tu auras oublié ce personnage !

 

 

Arrivés à leur voiture, ils virent, sur leur pare-brise,  un flyer où était représenté le visage
de la belle Luana, tout auréolé  d’étoiles.

—Tu le gardes en souvenir ! ne put s’empêcher de suggérer Estelle. Mais son regard malicieux s’éclipsa bien vite quand elle eut retourné
le flyer. Quelqu’un y avait laissé un message !

 

« Je fais parti de la troupe d’artistes itinérants. Je possède un objet que je souhaiterais vous confier. Je viendrai vous rejoindre à
votre hôtel demain matin. Ne partez pas sans que nous nous soyons rencontrés. » Signé : Lucenzo

 

 

(à suivre)

 

 

 

Une musique :

 

http://www.youtube.com/watch?v=kq8HQQ0qUeI

 

6 réflexions sur « L’oeil de l’ange (suite 2) »

  1. Ah, ah, on se croirait dans des récits de Maurice Leblanc, ou autres que je lisais enfant !…J’aime bien le lancer de couteau et le message à la fin..Suspense,suspense…
    Un petit accroc tout léger : « où la joie, démesurée, explosait dans un débordement de lamentations »…Les lamentations expriment la plus grande tristesse, je crois..

  2. Bonsoir Carmen

    un bon moment passé en ta compagnie où l’intrigue s’immisce à l’angoisse perceptible arrivant à son paroxysme lors de la scène du lancé de couteaux, alimentés judicieusement aux musiques mythiques
    tziganes et à leurs us mystérieux.
    Un subtil mélange adultes, enfants de très bon aloi
    Bisous et douce nuit

    Merci d’être passée

    Si tu as besoin d’aide, je peux te faire connaître Gibee pour migrer ton blog, tant que c’est l’ancien, il n’y a aucun problème, j’ai une amie Mamie-Joe qui avait beaucoup de difficultés et elle
    est maintenant ravie d’être migrée sur APLN,plate forme qui fait partie de WORDPRESS,bien plus habilité aux écrivains que la nouvelle version d’OB qui est devenu maintenant un clone de facebook, où
    tout est superficiel et où des gens mal intentionnés vont pouvoir plagier tous les textes et les créations d’artistes sans pouvoir être poursuivis par la loi.

    Amitié
    Le Noctamplume

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *