Marion et la fée du puits (suite 2)

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Marion et la fée du puits (suite 2)

 

 

Marion avait vu Razunellou.

 

Il en était bien question parfois, le soir autour de la cheminée, de Razunellou, mais toujours à  mi-voix et une atmosphère bizarre épaississait à chaque fois le mystère. Àces évocations, Marion avait l’impression que ses parents tentaient de lui cacher quelque chose, de vouloir la préserver  de quelque danger impalpable, mais bon, c’était sans doute un truc d’adultes. Et voilà qu’il était là, devant elle sans que Jeanne ne se sente gênée par leur
rencontre.

Razunellou se mit à chantonner :

«  Allez mon ami,

Viens rouler dans la poussière,

Sauter et rire dans les clairières,

Réjouir nos amies les pierres,

Viens mon ami … »

De la cheminée descendit la mélodie sourde  d’un duo de bombardes en parfait accord avec
la voix déjà bien mûre  du nain. C’était gai, virevoltant, léger comme  l’une de ces gavottes vives où
les jeunes hommes effectuent les sauts les plus spectaculaires possibles afin d’attirer les faveurs de leur princesse de cœur ! Il se disait même que certains s’entraînaient dur avant les
quelques soirées de réjouissances dans le pays ! En tout cas, Marion la préférait à la fameuse danse du loup, très martelée, un véritable rituel sensé chasser les prédateurs des campagnes
mais qui lui faisait faire des cauchemars la nuit suivante.

 

Soudain elle s’aperçut que Kador, pourtant très sourcilleux avec l’étranger d’habitude, s’était couché non loin de ce gnome et, à
entendre ses premiers ronflements, il devait déjà chasser le lapin dans la lande. Marion se détendait.

 Ne crains rien petiote, dit Jeanne, il ne te fera aucun mal. Ecoute-
moi, je vais te conter une partie de son histoire, ce que je crois en savoir, et surtout garde la pour toi, ne t’en vas pas la semer à tout vent ! Razunellou habite ma maison depuis très
longtemps, ma grand-mère me disait qu’il était déjà là du temps de sa grand-mère à elle. Il était arrivé comme ça, un soir de très gros orage et il s’était installé sans autre façon. Depuis son
arrivée on avait remarqué que les récoltes étaient meilleures, que nous avions moins faim au creux de l’hiver. Tu sais, nous autres les petits, avons bien besoin d’aide pour vivoter et ils n’en
sont pas chiches les korrigans quand on ne les moque pas. Par contre, ils savent très bien, par leur espièglerie, te jouer des tours pendables si tu leur manques de respect. J’ai l’impression que
tu lui plais déjà, Je me demande s’il n’a pas remarqué que tu ressemblais comme deux gouttes d’eau  à ton arrière-grand-mère Rozenn. Et Razunellou
n’était jamais loin de Rozenn, il se disait qu’il avait reçu mission des Fées d’Essé de la protéger comme un trésor. On n’a jamais su pourquoi mais longtemps  après sa mort, il n’était pas rare de voir les magiciennes venir lui tenir compagnie au cimetière. C’est un mystère que je n’ai jamais cherché à
percer. 

Le nain, indifférent au bavardage de Jeanne lissa son feutre et quitta la pièce en sautillant, reprenant une nouvelle fois sa mélodie.
Les bombardes invisibles lui emboîtèrent le pas. Avant de sortir, il se retourna et d’une voix très douce, comme un conseil, il lâcha :

Per gwirion n’eo ked mad da laret !  (« Toute vérité n’est pas bonne à dire ! »
chuchota Jeanne ).

Puis il reprit sa ritournelle et s’éloigna.

Marion ne savait plus ce qu’il en était. Était ce un rêve ? Un cauchemar ? Quelque facétie ou mauvais tour que des adultes se plaisaient parfois à jouer aux enfants ? Pourtant, les griffures
sur ses jambes étaient bien là et lui rappelaient douloureusement la réalité.

 Tu m’as l’air d’avoir faim, s’inquiéta Jeanne, veux-tu un petit quelque
chose ? 

La gamine acquiesça de la tête et s’assit sur le banc de chêne. Jeanne souleva le couvercle de la terrine en terre qui trônait sur la
table. Une douce odeur chaude lui titilla les narines et la fit aussitôt saliver. Elle se demanda un court instant par quelle magie, par quel tour de malice, il se pouvait que son plat préféré
soit là, à bonne température ; elle y plongea avec gourmandise sa cuiller sans se poser plus de questions pour l’instant…

 

Le lendemain, quand Marion ouvrit les yeux, elle fut surprise de constater qu’elle avait dormi dans son lit. Elle ne se souvenait pas
s’y être couchée. Sa mère la regardait avec tendresse.

  Qu’est-ce qu’il y a
maman, dit-elle,  pourquoi je ne suis plus chez la Jeanne ?

Tu t’es endormie sur la table après avoir mangé comme une ogresse le Kig ar
farz qu’elle t’avait servi. C’est le père qui t’a portée jusqu’ici ! Cette nuit, tu t’es agitée en vraie diablesse,  ma fille. Pour sûr, tu
t’es montrée bien trop gourmande hier soir, faudra le dire à confesse ! 

Sa mère ne pipa mot  des évènements de la veille. Se pourrait-il que Jeanne n’ait rien
dit ?

 

À peine débarbouillée Marion alla s’enquérir auprès de la
voisine.

Mais ma petite, il faut savoir que
toute vérité n’est pas bonne à dire, lui rétorqua la vieille femme.  C’est la première leçon que tu dois retenir, elle vaut de l’or car ce sont les
korrigans qui me l’ont transmise. Cette pensée tu la gardes là, dit Jeanne en pointant son index noueux sur la tempe de l’enfant,  là, dans un coin de
ta tête, et elle viendra sonner bombarde avant que tu ne parles pour dire des bêtises qui affoleraient les braves.

Cette perspective des plus bruyantes affola Marion qui depuis son plus jeune âge fuyait le talabarder et le bruit sourd de sa
bombarde. Son père se moquait d’elle lorsqu’il la voyait partir en se bouchant les oreilles, il disait qu’elle n’était pas une vraie Bretonne pur beurre !

D’abord ce n’était même pas vrai, parce que Marion adorait le beurre et en plus elle n’avait pas à avoir honte de ses peurs.
N’avait-elle pas  vu Razunellou ?

Il est où Razunellou ? demanda-t-elle à Jeanne.

Tu ne le verras que le soir, lui répondit Jeanne qui penchée sous le linteau
de la cheminée pestait contre les bûches qui n’étaient pas assez sèches.

Marion sortit dans la cour, elle ne pût s’empêcher d’aller traîner près du puits où tout semblait « normal ». Elle
chantonnait malgré tout : «  Razunellou, hou hou hou, Razunellou où es-tu ? Razunellou pieds de bouc ! ».

Tout à coup les branches du grand houx se mirent à trembler sans que le moindre souffle de brise ne vienne à passer, et Marion
entendit un bruit de clapotis comme si  des gouttes de pluies barataient l’eau d’une mare. Mais il ne pleuvait pas. Alors l’enfant prêta l’oreille,
au-delà des bruits familiers de la ferme, et elle entendit :

Un, deux, trois,
cresson !  une comptine  récitée  par une voix
d’aigrette.

T’en fais pas fiston, répondit une voix charmante

V’la la fille du fournier d’à c’t’heure, la fille de la fille de la fille de
Rozenn, dame Margot ! reprit la voix d’aigrette.

Celui qui ne cuit pas le pain n’est que cherchou de pain ! Damoiselles
ou damoiseaux mettez donc la main au feu et à la pâte ! déclara la voix de Margot.

Alors Marion regarda sous le houx et elle vit Razunellou  qui semblait attendre, le
menton posé dans le creux de sa main, de l’autre main il portait à la bouche un brin d’herbe qu’il mâchait.

– Ah, je savais bien que je te retrouverais ! s’exclama Marion

– Ben oui, qui croit ses rêves les voit, et moi j’suis toujours là aux services des cœurs  de bon aloi !

– Razunellou, faut pas mâcher n’importe quoi ! sermonna Marion.

– N’importe quoi ! Du thym sauvage.  N’importe quoi ? Tu ne te souviens pas que
la Jeanne t’a sauvé la vie avec de la tisane de serpolet alors que tu allais mourir du chapelet ?!

Marion avait entendu cette histoire, mais elle ne se souvenait pas de sa vie de bébé. Elle savait que Jeanne soignait
les maladies des enfants en recommandant aux parents d’aller chercher dans la nature des simples. Qu’est-ce qui guérissait les malades ;  la
nature, les prières de Jeanne ou la confiance des parents qui prenaient le temps de cueillir les plantes, qui laissaient  lentement frémir  le breuvage destiné à l’enfant ? Le temps donné, n’est-il pas marque d’amour, un signe d’appel ou de rappel à la vie ?  

En suivant le cours de ses pensées Marion ressentit le goût de la diète qu’elle avait vécue alors qu’elle était enfant malade. Les
souvenirs étaient intacts, elle portait encore en elle la saveur de serpolet, de la mie de pain longuement mâchée. Le korrigan semblait lui ré-infuser sa mémoire, non pas seulement au niveau du
savoir, mais surtout par  les sensations.

« Pas de vie sans eau

Eau saveur des simples

Simple comme du bon pain ! » fredonna Razunellou.

Ces invocations eurent sur Marion un effet étrange, elle éprouva une sorte de vertige et elle entendit, comme dans un
rêve,  la voix de Margot la fée, venant du puits,  dire : « Puisque tout meurt,
cessons ! »

 

(à suivre)

5 réflexions sur « Marion et la fée du puits (suite 2) »

  1. Bonjour Carmen,

    J’ai du penser trop fort cette semaine où par trois fois, j’avais prévu de te rendre visite et les aléas ont fait que tu m’as pris de vitesse et j’en suis fort honoré.

    Je constate que tu ne perds pas ton don de nous entraîner dans tes contes féeriques, d’un monde enchanteur qui fait notre bonheur.

    Je suis heureux d’apprendre que tu vas bien et te remercie de ta visite et de ton gentil commentaire.

    Gros bisous et bonne soirée

    Amitié

    Le Noctamplume

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