Tout se passe comme si quelque part en moi je connaissais Lucas.
Prononcer ce prénom revient à tirer sur une ficelle. Un fil rouge découd alors des souvenirs inexistants. Ils sont les fruits d’une mémoire fantôme.
Cela me dépasse. Le prénom Lucas vient moins suggérer une présence que dire par le biais du cœur tous les rêves avortés d’un ancêtre dont je serais, bien malgré moi, l’héritière.
Je note sous la dictée de cet imposteur un testament qui devient message adressé à un jeune homme animé d’une fougue identique à celle qui a conduit mon hôte à la mort.
Je murmure Lucas et je pense peinture.
Je m’emmêle dans ces liens qui ne me concernent pas, mais ai-je la liberté de dire non à cet appel, à ce cri venu du profond de l’être et qui retourne ma propre terre à la recherche de ce qui ne peut plus souffrir l’enfouissement ?
Il me semble avoir passé ma vie à refuser de répondre à ces appels incessants dont je ne pouvais déterminer l’origine. J’étais ici pour avoir les pieds sur terre et cela nécessitait une lutte farouche contre l’invisible qui ne cessait de m’interpeller.
Alors auteur, accepteras-tu de prêter ta plume à des personnages fictifs ?
Mais qui suis-je pour donner de la voix à des personnages imaginaires, pour accueillir leur mémoire privée de corps, alors que la mémoire de ma mère se dissipe dans la brume et qu’aucune corne (de brume) ne pourra jamais la ramener vers les siens ?
Alors, le roman attend, et je consens à l’écriture de quelques poèmes qui, le plus souvent, n’ont ni queue ni tête, ni souvenir ni avenir. Ces constructions ne sont que missives tronquées.
*
Excusez-moi
je cours
avant que tout ne s’efface
derrière moi
je vole
le bruissement
de mes jupes dissipe
la formation des cristaux
attachés à ma mémoire
La vitesse déroule
l’estime vrillée autour
de son propre cordon
Elle exhorte le soi
à l’annulation de son programme
d’ensablement consenti
en heures trop lentes
Je libère les aiguilles
et je m’accorde au rythme de la vie qui file
autour de nous – c’est hallucinant
en nous – elle s’octroie le vieillissement
L’heure de l’amour s’éternise
jour après jour, elle ajuste
à la perfection notre trajectoire
sur l’amplitude de notre instinct
de vie. Le cadran universel
voit ses étoiles fuyantes
et les agence dans son cosmos
L’espace est une demeure
qui n’ignore aucune existence
*
Les fleurs n’inventent pas d’histoire. Soumises aux lois de la nature, elle se contentent de s’épanouir, puis elles rendent à la vie la grâce d’avoir été.
*
C’est maintenant et c’est jamais !
Nous n’acceptons pas l’idée d’un jamais, alors nous revivons toujours les mêmes films, jusqu’au jour où nous brisons le noir de notre chambre hantée. Les fantômes de nos appréhensions renaissent des fissures. Depuis notre for intérieur se tisse la lumière, elle déploie notre toile de vie. Cet espace ouvre la présence au toujours, à partir de l’instant même où nous l’autorisons.
*
Rien n’est insignifiant. Nos erreurs sont des tentatives avortées, elles ébauchent notre carte de vie, modèlent nos pensées jusqu’au point de sincérité où notre conscience unie à celle de l’Univers la valide. L’homme doit imaginer son terrain avant de s’épanouir et il ne le trouve que dans la confiance, intérieure. Pour la fleur les choses sont plus simples, le terrain lui est donné.
*
J’aimerais être une fleur de trèfle. À quatre feuilles. Ma mère les trouvait si facilement !
Tes mots caressent l’imaginaire, font vivre le vide, apportent des échos de l’infini… Ils sont brume lumineuse dont les poussières dessinent d’impalpables contours…
Ta mère était-elle native du Taureau ? Etrangement, je ne connais que 3 personnes qui par magie trouvent systématiquement un trèfle à 4 feuilles simplement en regardant à leurs pieds : elles sont toutes 3 natives du Taureau… !
Maman est scorpion !
Je crois que je jongle avec l’invisible et c’est bien pour cela que je ne sais pas où je vais. Ce que j’écris je dois le ressentir très fort, sinon je préfère m’abstenir d’écrire… je pense que j’écrirai peu de nouvelles et encore moins de romans… tout se passe comme si le temps n’avait pas d’importance, alors même que j’ai commencé à écrire tardivement. Comme si tout ce que je dois écrire était déjà écrit et qu’il me faudra juste être prête au moment où les mots viendront s’écrire sur le papier (et si ce moment ne vient jamais, cela reviendra au même)
mon Lucas à moi jouait de la musique; j’ai pensé à lui tout du long en lisant ton texte; mais les mots sont musique, n’est-ce pas comme la chanson du Pierrot; et moi qui ne suis rien sans mes stylos à bille, j’y vois même de la couleur.
C’est un bien beau prénom, Saadou.
Mon Lucas est un personnage fictif, dont je ne parviens pas à avancer l’histoire. Il se pourrait que j’aime vivre cette proximité avec un personnage…. il sera proche tant que je n’aurai pas mis le mot Fin… Je tisse sa présence en la mêlant aux mots de la poésie, à ma vie. La couleur n’est jamais loin, la musique non plus !
Je comprends tant cette présence-absence, Saadou. L’absence-présence aussi. Sont-elles si différentes ? Peut être est-ce cela qu’il me faut exprimer. Au-delà des histoires particulières, existe une tendresse universelle.