Une femme paratonnerre, à l’âme chanteresse, gravite en son jardin. Elle virevolte comme une butineuse. De quel miel se compose sa patience ? À quelle distance se propage son amour ?
En compagnie des muses, elle veille sur les sources des sons et des couleurs, et elle arrange ses rosiers de sorte qu’ils grimpent sur l’échelle des grâces.
*
décembre ressenti
aux pôles de son être
en pleine canicule estivale
pourtant____le froid
.
les enfants____de dos
elle les voit partir
vers le monde immense
– il déploie sa carte
où il leur suffit de pointer le doigt
pour de rire et pour de vrai –
.
elle demeure petite fille
abandonnée
seule au milieu d’une famille
de doutes
la laisse au coeur
avec une mère
qu’il a fallu soutenir
sans que lui convienne le décompte des ans
.
elle a gardé son inquiétude à distance
respectable – comme un chaudoudou
que personne n’aurait pu lui ôter
elle l’a gardée avec une détermination sauvage
devant laquelle même Dieu ne pouvait que s’incliner
.
La tour Eiffel, elle l’avait décalquée, il y a longtemps
sur les rêves de ses descendants, quand son père
s’était égaré dans la capitale et qu’à chaque fois
devant eux, elle se dressait. Elle était devenue
l’aiguille de leur boussole (elle ignorait que la vieille dame
annonçait – plus à l’Ouest – la statue de leur Liberté future)
.
et la fleuriste avec son sourire à la française
la demoiselle des jardins, la belle coccinelle
dans l’ ordre des mots coléoptères, soulève
ses poèmes autant qu’ elle compose
de bouquets de roses. Elle ne rougit pas
non, elle ne rougit pas de ses points noirs
ni de son pacte avec la vie
.
Mariée dans son jardin
*
Sur les lèvres des hommes se lisent des prénoms
ils sont comme autant de veilleuses sur les chemins
Il apportait du coeur à chacune de ses tâches. Le soleil brillait entre les ombres de ses phrases, elles hissaient la parole comme branches que la multitude des troncs reliait au grand sol.
Il y avait de l’humus au creux de ses mains et c’était comme si de tous ces débris végétaux renaissait le chant des oiseaux épris de terre.
Des miettes la vie faisait son pain. Que dis-je, elle faisait son feu. Un feu blanc où tout n’était que crépitement de joie tendue vers l’unité.
Il avait un soleil dans le coeur et il parvenait à se relier aux soleils que chaque vie, chaque manifestation, contenait.
Nous demeurons sur le pourtour des choses alors que leur noyau est joyau incandescent.
Nous ne nous permettons que l’épreuve de la résistance. Au-delà de la résistance… existe l’épreuve du feu qui ouvre à une dimension autre où nous attendent les dragons.
***
« Laisse-moi être en colère ! »
m’a-t-il dit, alors je me suis
tenue au-dessus des turbulences
sans songer à les tempérer
dans l’orbite
inatteignable de la paix
.
Amour !
.
Pour tout horizon
une longue route bleue
aux nuances d’acier
.
Le bleu turquin
– irrémédiablement –
s’enfonce dans le bleu nuit
l’espoir d’une ouverture
même barbeau nous est enlevée
(il fait froid sans couverture étoilée)
on ne peut atteindre les nuances
aigues marines ou les belles azurées
que par échappées rêveuses
– dans le réel elles sont trop long voyage –
De grâce, accordez-nous le calme froid
d’un bleu givré __ ses harmonies ouatées
seraient plus douces à porter
elles nous protégeraient des retombées
de vrilles, dures comme boulets de canon
.
Entendre ta fureur, oh, dragon
Afin de ne pas demeurer champ
dévasté que gagne la tristesse !
***
.
Il est d’immenses chagrins
il en est d’autres qui doucement
font leur lit dans le fleuve amour
.
Inexorablement ils creusent
sans que le cours ne les y encourage
Ils s’en fichent du courant
ils créent des marmites
provoquent des tourbillons
La fougue est en eux
énergie ravageuse
elle affronte des montagnes
lorsque la géographie de la vie
n’offre que doux vallons
.
Mon Dieu, toutes ces lignes d’eau
et combien de dépressions faudra-t-il
avant que les dragons de la jeunesse
cessent de tourmenter les jours
et que dans la vallée la bénédiction
de l’eau se fonde dans les bras de la mer ?
***
Elle ne parlait pas, mais son regard disait la fièvre. La petite fille, en face d’elle, l’encourageait à s’exprimer. Elle saurait bien grappiller quelque sens car depuis des mois la voix de son aïeule était devenue inaudible et ses propos incohérents.
La parole lui parvint tout à coup, réveillant la mémoire couverte par des années de silence.
« Si je laissais mes épaules s’abaisser, quel serait le risque que je m’écroule ? Redresse-toi, me dit-on, mais un jour l’effacement s’installe jusqu’à l’inévitable, jusqu’à ce que la présence soit gommée aux yeux du monde. C’est douleur de se redresser quand le mal transpire par tous les pores. On l’ignore tant que la souffrance morale n’atteint pas la chair… mais au-delà, quand le corps a absorbé tous les torts, la vindicte s’attaque au souvenir… les morts doivent bien aider les vivants à porter leur part de souffrance… même toi tu me renieras. »
Sur cette malédiction, elle laissa son souffle avoir le dernier mot.
La peur des dangers lui était devenue étrangère depuis que son père l’avait soulevée, la portant haut au-dessus des crocs du chien.
Les chiens de ferme n’étaient pas des compagnons de jeu pour les enfants. Malheur à ceux qui auraient commis l’imprudence de se glisser dans leur niche. Joséphine, en toute innocence, avait eu cette idée… mais le père aimant veillait !
C’était avant la guerre. Avant qu’il ne soit appelé. Avant qu’on ne le lui enlève.
Depuis, Joséphine avait peur de Rien.
Je vous vois venir. Non, elle n’avait pas peur de Rien, elle avait peur, réellement peur, de Rien, de l’innommé, de l’impensable.
La peur est humaine que l’inhumanité accorde à sa monstruosité.
*
Adieux
La maison s’éloignait sur le tableau noir de la nuit
ou alors c’était le train. L’appel les avait enfermés dans un nuage
sombre où les larmes brouillaient déjà les mémoires.
L’enfant, derrière la grille, se tenait, debout
le chien dormait dans sa niche
et le père sur le champ d’honneur s’était couché.
*
Elle avait peur le soir et ne se couchait jamais sans vérifier qu’un fantôme ou quelque monstre ne se cachât point sous le lit. Cela amusait beaucoup l’enfant. L’expérience la plus cruelle pour Joséphine fut la nuit où elle dut dormir dans la maison en construction que son fils bâtissait pour sa famille. Une seule pièce était aménagée, la chambre de l’enfant.
[…]
Les esprits, grand-mère n’en voulait pas, la vie était assez compliquée comme ça, c’est pourquoi elle chassait les fantômes chaque soir avant de s’abandonner au sommeil. Elle les traquait derrière les fourrés des meubles, dans les sous-bois du lit, la moindre ombre était pour elle celle d’un bandit des grands chemins, elle avait le pouvoir de se rétracter ou d’étirer sa terreur sur le mur, qui du coup semblait se rabattre sur l’infortunée.
Alors l’enfant vérifiait qu’aucune présence ne se tînt sous le lit. Elle contrôlait l’armoire et l’espace entre les vêtements suspendus, elle secouait les doubles rideaux, tandis que Joséphine, à genoux sur le lit, s’accrochait au sentiment de sécurité qui ne comptait que sur l’innocente ronde d’une petite fille.