
Il apportait du coeur à chacune de ses tâches. Le soleil brillait entre les ombres de ses phrases, elles hissaient la parole comme branches que la multitude des troncs reliait au grand sol.
Il y avait de l’humus au creux de ses mains et c’était comme si de tous ces débris végétaux renaissait le chant des oiseaux épris de terre.
Des miettes la vie faisait son pain. Que dis-je, elle faisait son feu. Un feu blanc où tout n’était que crépitement de joie tendue vers l’unité.
Il avait un soleil dans le coeur et il parvenait à se relier aux soleils que chaque vie, chaque manifestation, contenait.
Nous demeurons sur le pourtour des choses alors que leur noyau est joyau incandescent.
Nous ne nous permettons que l’épreuve de la résistance. Au-delà de la résistance… existe l’épreuve du feu qui ouvre à une dimension autre où nous attendent les dragons.
***
« Laisse-moi être en colère ! »
m’a-t-il dit, alors je me suis
tenue au-dessus des turbulences
sans songer à les tempérer
dans l’orbite
inatteignable de la paix
.
Amour !
.
Pour tout horizon
une longue route bleue
aux nuances d’acier
.
Le bleu turquin
– irrémédiablement –
s’enfonce dans le bleu nuit
l’espoir d’une ouverture
même barbeau nous est enlevée
(il fait froid sans couverture étoilée)
on ne peut atteindre les nuances
aigues marines ou les belles azurées
que par échappées rêveuses
– dans le réel elles sont trop long voyage –
De grâce, accordez-nous le calme froid
d’un bleu givré __ ses harmonies ouatées
seraient plus douces à porter
elles nous protégeraient des retombées
de vrilles, dures comme boulets de canon
.
Entendre ta fureur, oh, dragon
Afin de ne pas demeurer champ
dévasté que gagne la tristesse !
***
.
Il est d’immenses chagrins
il en est d’autres qui doucement
font leur lit dans le fleuve amour
.
Inexorablement ils creusent
sans que le cours ne les y encourage
Ils s’en fichent du courant
ils créent des marmites
provoquent des tourbillons
La fougue est en eux
énergie ravageuse
elle affronte des montagnes
lorsque la géographie de la vie
n’offre que doux vallons
.
Mon Dieu, toutes ces lignes d’eau
et combien de dépressions faudra-t-il
avant que les dragons de la jeunesse
cessent de tourmenter les jours
et que dans la vallée la bénédiction
de l’eau se fonde dans les bras de la mer ?
***
Elle ne parlait pas, mais son regard disait la fièvre. La petite fille, en face d’elle, l’encourageait à s’exprimer. Elle saurait bien grappiller quelque sens car depuis des mois la voix de son aïeule était devenue inaudible et ses propos incohérents.
La parole lui parvint tout à coup, réveillant la mémoire couverte par des années de silence.
« Si je laissais mes épaules s’abaisser, quel serait le risque que je m’écroule ? Redresse-toi, me dit-on, mais un jour l’effacement s’installe jusqu’à l’inévitable, jusqu’à ce que la présence soit gommée aux yeux du monde. C’est douleur de se redresser quand le mal transpire par tous les pores. On l’ignore tant que la souffrance morale n’atteint pas la chair… mais au-delà, quand le corps a absorbé tous les torts, la vindicte s’attaque au souvenir… les morts doivent bien aider les vivants à porter leur part de souffrance… même toi tu me renieras. »
Sur cette malédiction, elle laissa son souffle avoir le dernier mot.
Tout était dit dans la continuité de la douleur.
le ciel n’est pas la rançon de l’épreuve !
.
Carmen Pennarun
illustration : Chen Hui 1959