Au fil d’une rivière

Au bord des cils

la rivière des larmes

est venue absoudre

mes peines

.

Faut-il que j’en oublie

les marées de l’âme

les pensées, les tendresses

les attentions de feuilles mortes

ramées avec indélicatesse

.

L’ombre en elle porte

le dédain des choses nobles

elle nous veut tout entière

abandonnée aux chimères

aussi vraies que paroles

.

dans l’éteignoir des jours

quelquefois incertains

*

— me fige ton silence

cette absence de proximité —

glissent larmes dans l’espace

où baignent nos amours taries

elles emporteront notre histoire

quand du calice qui les recueille

débordera l’eau des peines

une larme a si peu de poids

mais une larme suffit à nous

rendre sourds à la musique

sur laquelle jadis

nous dansions

la valse

*

Quand les pensées s’enchaînent

suivent un pas de derviche

et que tourne la vie

trop vite – Laissez-moi

à mes maladresses

à mes doutes

qu’ils retombent

dans la facilité

de l’instant

où plus rien

ne tremble

*

Par l’écriture j’explore

le noyau de l’instant

j’effleure le plus sensible

et d’une mesure de joie

j’enrobe de Paix la tristesse

.

Serais-je un grain de raison perdu dans une jungle en folie

ou un brin de folie dans une foule raisonnable ?

Je me ressens écharde consciente

– dans la fusion de la douleur et de la joie

.

L’écriture attendra

je préfère retarder le moment

et depuis mon refuge observer

l’éclat des étoiles dans les pupilles de mes chats

Ballottée entre le pire et le meilleur

je bénis ceux qui parviennent

à accueillir les cieux dans l’oeil

du cyclone de l’épreuve

*

Sauvage – je ne puis

être libre – je te fuis

quand tu n’entends pas

ma parole, ami

– torrent qu’un chant

de ruisselet défait

*

Hommes, la côte vous regarde

et le temps soutenu d’une éclaircie

porte l’éternité sur ses épaules

*

La tristesse abonde – oh

mal d’adresse, malade de reste

je ne sais, je ne suis,

je ne puis dire d’un sou-

-rire et mentir encore

alors qu’un mot juste

un mot signerait l’envie

en cr(eux) rêve surface !

*

La vie a surgi de l’eau

l’artiste Escher l’illustre

d’un poisson qu’une oie noire

métamorphose

et la vie court toujours,

tandis que l’eau suit son cours

par les accidents de Terre – dessinée

.

La rivière répond à l’appel de la mer

tandis que le saumon a le goût de la Terre

dans ses gênes. Quelquefois dans le ciel

un goéland ou un cormoran choisit

la campagne à contre-courant. Leur fantaisie

nous étonne, ils aiment la Vie qu’elle soit

de Terre ou de Mer.

.

Le poète au rythme d’une rivière qu’il sillonne

doucement dans la parallèle céleste

fraie une voie aux flèches des anges

et quadrille l’univers de croix de lumière

.

Carmen Pennarun

photo : J-F Michelet

Néréide par nature

Les humains les redoutent.

Ne les accusez-pas, enfants de la Terre !

Votre condition taille dans l’indifférence

des falaises votre conscience.

Pourtant l’oreille collée à la paroi

vous entendez pulser le flux de vie.

Rien n’est perdu !

Surprenez-vous, osez prononcer

des phrases dictées par les lois du coeur.

Inventez-vous des veines

qui se prolongent dans tous les états

de la création. Des chemins de reconnaissance

avec toutes les étincelles joyeuses qui pépient

comme hirondelles dans leurs nids accrochés

aux poutres de vos ignorances.

Ecorcez vos résistances et acceptez

que la vie se dénude à l’infini à vos yeux

de peintres visionnaires que le réel

a aveuglés. L’aspiration à la lumière

laisse présager l’heure d’un pacte.

 

(Le poète est bien piètre messager

qui court après les papillons des mots

et s’émerveille de leur légèreté

sans jamais en apprivoiser un seul,

mais le poète est coutumier

de ce regard qui transperce les apparences)

 

Surgies des clairières où elles se jouaient

de la lumière, elles ont devancé les enfants

dans leurs farandoles et jusqu’au bord

des falaises les ont conduits. Voyant

ces compagnes bondir légères

au-dessus du vide, ils ont oublié,

l’attraction de la terre, tout comme

les Néréides dans leurs élans oublièrent

que les enfants des hommes ne sont pas

des cabris, ni des elfes. Confondus dans le même jeu,

la chute des enfants les a entraînés vers la mort,

les blondes créatures se sont disséminées emportant,

en toute innocence, leurs rires.

Les jeunes gens attirés par d’autres jeux solaires

ont pu oublier toute prudence et rechercher

la présence de ces dames de lumière

mais on ne s’approche pas impunément

des soleils, fussent-ils de Terre.

Ils en ont, pour certains perdu

la vue et la raison… contre

un enchantement d’éternité.

Telles sont les légendes,

mais qu’en pense le poète ?

Il reconnaît l’insouciance

la légèreté de ces créatures

qui n’agissent que par nature

et jamais par intention

mauvaise. La lumière

est leur alliée que l’humanité

n’a pas encore maîtrisée

et elle en paie le prix

Les nymphes peuvent bien

bercer les rêves des hommes

d’un doux balancement

des frondaisons

mais humains et esprits

ne se joignent que dans

l’inconscient, au festin

des noisettes jamais

ils ne trinquent

pourtant la lumière

aime les hommes

autant que les fées

 

le poète a parfois

vu sa mère fêtée

par la lumière

subite

 

il a pris le chat

complice de

son secret

 

Il a pris

 

le chat

et l’a rendu

 

à l’ombre

.

Carmen P.

(tableau : Louis Emile Anquetin)

Sous nos pas

 

N’oublie pas que la terre chante

et que son chant passant

par tes pieds te transperce

.

Patience se contemple dans la source

(à moins que ce ne soit sa sœur, la vanité)

elle saisit son reflet qui jamais ne change

elle sait que malgré les apparences, les liens

qui nous embrouillent sur Terre sont déliés

par l’eau et le ciel, quelquefois par le feu.

Ce reflet est simple

jeu de lumière

sur les pierres

de son lit intime

– paillettes d’or

cueillies d’un regard

et déposées là

pour enluminer

son âme d’un ineffable

bonheur. Que la saison emportera

vers d’autres raisons.

.

Aimes-toi tel(le) que tu hais.

.

Tout est là

Ne laisse pas ton esprit guider la marche.

Vide-le comme une citrouille, alors

la lumière le remplira. Tu es ce puits

par lequel s’anime l’esprit au contact

de l’énergie de la Terre. Entre deux voix

la litanie terrestre et la symphonie céleste

tu chantes ta romance : le blues humain

.

Respire l’instant marché et que ton babille

s’effruite !

.

Sous tes pieds se déroule

un invisible espace

sur son ruban tu t’écris

les pieds frappent des lettres

où le bleu du ciel encapsule

une empreinte que le carbone

datera

.

Juste au-dessus de l’empreinte

s’élève une mémoire

elle prend forme vive

elle ravit au temps

sa propre apparence

car rien ne glisse

tout s’édifie

.

un peu de terre prélevée

ici, sur la piste de l’éternité

deviendra le corps

d’un nouveau désir

 

.

Carmen Pennarun

 

 

Comme un oiseau

Je connais toutes tes luttes

quand les épreuves nécessaires qui te laminent – injustes –

ne somment que paroles à taire

.

Alors tu vas courbant ton col de cygne

tu protèges les papillons de la tendresse

entre tes bras serrés contre ta poitrine

seul ton corsage de popeline s’est fripé

.

Viendra le temps du redressement

où ton cœur osera fouiller les décombres

l’illusion cessera ses appels à l’urgence d’agir

l’effroi se dissipera dans la présence scène

.

Tu n’es pas responsable. De rien ne désespère

La vie est à l’orage, enfant il te réjouissait

alors reprends tes bottes et t’en retourne patauger

jusqu’à ce que perce le violet des crocus

.

Retourne compter tes pas jusqu’à ce que cesse

de tanguer l’âme déboussolée que l’oiseau

du regard rétablira dans son vol migratoire

.

Carmen Pennarun

illustration : Catrin Welz-Stein

On naît tous quelque part

Vivre, c’est accepter de renaître en Terre natale

alors même qu’on a coulé des jours heureux

en Terre d’adoption. Comme lorsque certaines

heures du jour nous serrent le coeur jusqu’à

ce qu’on accepte d’ouvrir nos sens

à une moindre lumière, en dépit

de nos résistances, l’espace

et le temps tendent souvent

une autre joue à embrasser.

Cela, le peuple des pierres

l’entend qu’un éboulement

a détaché de la roche-mère

.

Carmen Pennarun

illustration : Magdalena Korzeniewska

L’ange de novembre

photographie de Gilles Pennarun

La branche plonge dans ce Rien

où ni vide ni plein ne vient

atteindre le point d’ancrage

du mal être. Elle part___ouvrir

un espace en forêt millénaire

et passent __des tempêtes

des promesses et après maintes

révolutions se nidifie l’âme

plus vieille qu’un arbre bicentenaire

riche d’épreuves et de pluies

– de trésors – qu’elle cache

dans tous ses nœuds

.

Glisse en rêve de grands bancs

d’ ablettes sous la transparence

de l’instant. Le miroitement

d’argent ramène le corps

à l’oxygène d’une pensée

le rend perméable au rythme

d’où naît le mouvement

– c’est une pulsation au doux

babillage  d’enfance – une scansion

joyeuse que soulève l’appeau

.

La mémoire sensorielle

émerge de l’eau dormante

.

L’ange de novembre

s’est réfugié au Nord

il attend le réveil de lumière

et___du continent glacé

il reviendra aux premières

aubes___ouvrir leur territoire

au chant des oiseaux

.

C’est la Terre

que porte notre cœur

jusqu’à la plèvre

par la grâce de deux mains

créatrices de biens

que notre nature – sauvage –

dans sa déraison

risque de détruire

.

Demeure la simplicité

des jardins d’enfants

les âmes innocentes

s’épanouissent

sous le regard des mères

où couvent des rivières

d’espérance

.

L’amour est un refuge

(en lui mugit la part du vent)

il pousse

les mémoires endolories

à battre du cœur

en signe de nouvelle alliance

avec les plans zélés

.

Carmen P.

J’ai perdu le fil

J’ai perdu le fil
mais flânent des reflets
sur mon âme viride
Fiel, tu es venu semant le doute
en grande inquisition sur ma joie limpide
la vasque était pleine de larmes
bulle d’eau grosse en phase de déferlement
sa surface, ridée en moi,
frissonnait comme ondée natale
la buée s’obstinait à écorner mon globe
sur le lac faussement tranquille de l’existence
tandis que l’aube – et ses rayons émergents –
exhalait toutes mes faiblesses
Souviens-toi, mon ange, il faisait grand air
dans nos vies et le poids vif de la chair
dansait sous l’ivresse des pensées légères
Une aile (j’ai entendu son bruissement)
par capillarité est venue boire l’excès d’amertume
Il faut croire que la chaleur d’une caresse
sur la peine vitale a ouvert le flanc
d’où se sont échappées toutes
les clabaudeuses mémoires
Carmen P.

Le bois sourd de la raison

Mon âme est pareille à celle de l’arbre

bicentenaire. Son écorce craque 

mais résiste aux révolutions, aux tempêtes

aux promesses éphémères. Chaque épreuve

est un trésor auquel, tout bien considéré, 

j’accorde asile sur un de mes noeuds.

Le  fragile appelle le plus grand des respects.

et ma vigilance de sève est à  son écoute.

*

Quand l’homme vieillit, le voisinage aboie. Il ne suffit pas d’aménager la maison, il faut penser aussi à l’extérieur.
L’approche de la vieillesse n’est pas seulement  un problème d’individu, elle demande   aussi de porter attention au collectif.
Devenez tuteur et c’est d’un quartier dont vous devrez prendre soin. Une approche globale qui tient compte de l’ extérieur autant que de l’intérieur, est nécessaire… sinon vous entendrez ; « Virez-moi tout ça de l’intérieur, vite fait ! »
Et dans mon intérieur, mon mental,  tout se bouscule et vertige le quotidien.  » Pense à l’extérieur, Carmen. Il n’y a pas de vertige, la terre ne tremble pas. Tout est bien, tout est bon, seul le bien existe, le mal n’existe pas ! »
 
*
 
Baisse le son grand-père !
Ce n’est pas parce que tu es sourd que les voisins ont à supporter ta TV.
 
Tu ne veux rien entendre
tu ne te déplaces pas
à petits pas chassés
hésitant entre
l’avant et l’arrière
quand on sonne
à ta porte
 
à ta porte il y a
une lettre de menace
des voisins qui passent
et tu restes là
devant ta télé
 
*
 
Mais personne n’a sonné
il n’a rien entendu
sinon il vous aurait invité
à entrer, vous aurait proposé
un petit café. Grand père aurait
même trouvé assez d’énergie
pour vous apporter des chaises.
Une visite est toujours bienvenue
la télé, on l’éteint aussitôt.
Vous êtes la vie prenant forme
Sa vie à lui est si menue
alors qu’ elle vous paraît
monstrueuse et si bruyante.
 
*
 
Avant, je parvenais à m’occuper
Maintenant, mon Dieu, il ne me reste
que mon fauteuil et l’ambiance
vue à travers le petit écran.
Des voix m’atteignent 
je les entends Haut
parfois ce sont des Rires…
La Joie nous parvient comme elle peut
pour nous toucher d’un lustre d’éclat.
C’est important une voix
quand la maison est pleine
d’absence.
 
Je dérange le voisinage ?
Eh bien, mince, alors !
Dites-moi, si je règle le son
comme ça, au minimum
que je puisse entendre,
dites-moi si pour vous
cela représente une nuisance
sonore. Mince, alors !
toute une vie à me montrer
discret et je comprends
tout à coup que la vieillesse
me rend indésirable.
 
Je vais demander à ma fille
elle saura peut-être nous aider
 
en attendant
 
puis-je regarder ma télé, aujourd’hui ?
 
 
.
Carmen P.
 
 

Tempête d’écume

Photo : le télégramme.fr

Il était sans doute venu sur cette presqu’île pour engranger dans sa mémoire quelques fleurs d’écume, pour éprouver des tonalités nouvelles, tout un nuancier de gris, auquel l’automne flamboyant de sa ville natale ne l’avait pas habitué.

Il y avait comme une résonance entre ces harmonies qui se refusaient à la clarté, et pourtant la rendaient si déchirante, et son âme juvénile enlisée dans la mélancolie.

La mer, le ciel et le vent s’alliaient pour créer ces volutes de neige de mer que l’on imaginait facilement nous transformer en bonhomme d’écume pour peu que l’on restât suffisamment longtemps immobile.

Ce qui le surprit ; cet air vif, ce déchaînement des éléments réveillait en lui une énergie qu’il croyait anéantie après ces années de mise au ban de la vie sociale, ces années où il avait dû taire la fantaisie de sa jeunesse, se plier à un règlement, avant de sortir avec pour seul bagage sa reconnaissance pour une personne qui s’était montrée attentive aux besoins qu’il ne ressentait même pas.

Il y avait donc encore en lui un feu intérieur, capable de raviver sa confiance atrophiée. Il sentait grandir au fur et à mesure de cette balade côtière un élan qui le forçait au redressement. Ce n’était pas simple impression, mais réalité mesurable. Les empreintes de ses semelles sur le sable glacé se distançaient ; sa foulée devenait plus ample. En même temps, sa vision au travers du voile de la brume devenait plus nette, comme si son regard haussait sa perception au-delà des obstacles. Le matériel n’était plus infranchissable, il pourrait rebondir. Il parviendrait à rassembler ses rémiges de moineau apeuré et à partir du poids plume de ses os, prématurément blanchis,  il redéfinirait son ADN. Il deviendrait aigle,  et son vol serait royal. La métamorphose était à l’œuvre.

Fini de rabâcher sa sempiternelle vieille histoire. Lui seul en réactivait le souvenir, la revivant encore et encore comme dans une nuit de cauchemar dont il est impossible de trouver une issue. L’aigreur des jours, à partir de cette tempête d’écume,  il la remplacerait par l’alcalinité quotidienne.

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Carmen P

Dans l’arc d’un regard de caryatide

 

Dans l’arc d’un regard de caryatide, tel est le titre du recueil de poésie que je vous propose à la lecture.

Ces poèmes je les ai pensés comme un hommage à Francesca Woodman, jeune photographe américaine dont les clichés ne cessent d’interpeler un nombre toujours plus grand de personnes.

Elle est partie trop tôt, à vingt-deux ans, au royaume des anges, mais son oeuvre était là qu’il nous restait à découvrir. Ce fut pour moi un émerveillement poétique que d’entrer dans son univers.

Les photos d’un côté, ma plume de l’autre, ainsi s’est construit le dialogue entre la photographie et la poésie. J’ai tenté de restituer la dynamique de l’élan créatif qui a animé la jeune femme. Cet élan, tout artiste le  porte en lui. En fait,  il anime la vie de chacun de nous, même si nos créations sont modestes – elles ont leur  importance car elles  manifestent, à l’extérieur de nous nos visions intérieures.

Au moment de publier le livre il a fallu que j’abandonne les photographies de Francesca (pour une raison de droits). Comment publier un livre qui parle de photographies sans qu’y figure aucune photo. C’était impensable ! J’ai cherché parmi mes clichés et j’ai choisi des images qui n’ont certes rien à voir avec le côté mystérieux, parfois  provocant, des photos de l’artiste (il n’était pas question que je me montre dévêtue), mais qui interrogent du regard, jouent avec le reflet d’ un miroir, ou montrent des architectures de l’ombre séculaire desquelles pourraient surgir des gardiennes de l’art.

Carmen Pennarun

Le livre compte 152 pages et 30 photographies en noir et blanc.

Son prix : 18 €  (+ frais de port : 3€52)

[ me contacter par mail : carmen.pennarun@wanadoo.fr ]

 

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