Elle marche

la clef

n’enferme jamais l’amour

elle ouvre pour lui l’espace

à l’intérieur

le refuge s’illumine

et le glacier se réchauffe

.

au-dehors

tant de merveilles

vers lesquelles nous transportent

des milliers d’ailes

.

l’amour en cage

brûle ses barreaux

ils sont les allumettes du désir

qu’il s’accorde enfin

.

je tourne mon regard vers l’enfant

sage endormi en moi

je ne le prends surtout pas par la main

son somnambulisme guide mes pas

loin des sentes d’hésitations

des fourrés d’évitements

du fléau des illusions

.

une progression vers l’harmonie

je sais maintenant qui est l’étoile

***

début janvier

.

dans les corridors de l’existence

s’aventurent

l’adulte et l’enfant

les venelles du rêve

leur permettent de coexister

.

l’enfant n’est pas né de son flanc

il est le fruit de son esprit

– l’éclosion s’est produite

il y a longtemps

le jour où l’adulte (alors enfant)

a vu éclater la confiance

qu’elle avait en ses protecteurs –

.

l’enfant projette autour de la rêveuse

son regard visionnaire

il porte ses rêves pour elle

en cette nuit des quadrantides

où tombent les étoiles

– il les recueille en son âme –

.

l’enfant-fille est de retour il va la présenter à la rêveuse

mais le premier soir elle ne peut entrer dans la maison

les (grands) parents sont là, alors pour une nuit il la confie

à un ami qui vit dans une roulotte

.

le lendemain -seulement – la rencontre a lieu

la rêveuse reconnaît son enfant dépouillée de tout

ensemble ils lissent de leurs doigts ses cheveux

qui reprennent vie et poussent

ils l’habillent

(dans cette maison de garçons il manque un T-shirt pour fille)

.

toute la nuit la rêveuse a cherché un T-shirt avec des paillettes

elle ne l’a pas trouvé

***

surprendre le temps

le suspendre au bout de son coeur

au bout de chaque souffle le sentir vibrer

saisir le point ultime de son éclosion

sans briser sa coquille prématurément

ne pas hâter les choses – indicibles –

son___ prodigieux de son expansion

déferlement de milliers de paillettes

soulevées – dispersées – retombées

l’Or de l’Instant

***

elle marche

son corps défait son esprit

plié en cocotte (minute)

et son âme chiffonnée les suit

jusqu’à ce que le pas coule enfin

libre et que le fleuve irriguant

l’instant devienne plus grand

que maintenant – dans la sérénité

de ce qui adviendra d’ici à là-bas

elle marche

sans calculer son déploiement

déliée de toute attente elle arrive

ses voeux déjà sont exaucés

elle marche

peut-être à livre ouvert

et ce livre est sans fin

.

Carmen Pennarun

les deux sculptures sont de Jurga Martin

Présence et rythme

Vivre la présence pénétrée par l’instant
sans rigidité, sans précipitation
au rythme lent
d’une éclosion perpétuelle
Savourer l’osmose entre le corps
et le paysage – sa déliquescence

Entendre sa propre voix
éclaircie de silences
se mêler au chant
de la nature, en transe
volupté, qu’un ondoiement
de serpent ou d’anguille
viendra troubler à l’improviste
signant la perte définitive du droit
d’oisiveté au jardin de Pomone

Une amibe s’anime
sous l’ombre du phénix
elle est le cri
elle est l’envol
que sa condition parasite

L’ennui reconnaît
les modulations d’une langue
qui s’invente au cœur de la cellule
L’affinement de la sensibilité
ébruite la souffrance face à l’inatteignable
attise l’impatience devant l’imperceptible
mouvement qui ne cesse de se languir
derrière l’immobilisme apparent

Le geste semble arrêté
la pensée lobotomisée
la parole murée
la féminité voilée
la croissance contrariée
l’univers condamné
quand la mainmise de la réalité
nous rend sourds aux révélations
du corps de lumière qui nous étoffe

Au moment précis où la situation
devient insoutenable , bloque l’action
nous réalisons combien les apparences
nous ôtent la liberté qu’une simple
amibe approche

.
Carmen P.

Paysages de Noël

Ce n’est pas encore la fête
mais il y a comme un goût de miel
de vin chaud et d’épice accroché aux branches
de l’arbre Noël sous lequel seuls les peluches patientent.
La ville est une ruche où se piquent les envies aux pinçons de l’hiver.

*

La patience est une graine
qui ne croît que si on la sème
en terre intermédiaire
à la lisière de l’être intime.
Sur champ de neige
elle se déploie, sereine,
et le vent en lève quelques bribes
quand le mental las de haute voltige
souhaite poser un sourire sur le monde.

*

Un peu de rêve.
La légèreté signant la grâce des espèces ailées,
suivons-les dans leur élément, l’air qui embrasse tout,
et laissons vibrer dans notre espace intime
la fibre joyeuse, elle sous-tend l’âme liberté.

*

Avec ton manteau vert
ton étreinte née de la mer
mon coeur tient en ce baiser
et mon corps danse sur un pied
tandis que vagues se brisent
aux côtes des Hespérides.

Carmen P.
Photo Georges Elbert Burr, « Winter morning »

Camille Claudel

Le visage se dégage du marbre

son expression – pensive –

pénètre la structure de la matière

Conscience vive saisie par une minéralité

dont elle ne parviendra jamais à émerger

entièrement.

.
Cela lui serre le cœur

cela ne sert à rien

tout cet amour

toute cette passion

et ce carcan

impossible à pulvériser !

.
Si elle pouvait du bloc

où repose sa tête

creuser ses formes…

elle n’a même pas de buste

elle n’est même pas femme

tous ses attributs sont violés

par une loi du silence qui l’empêche

d’être

.
Si elle pouvait de ce bloc

se mouvoir et créer

Mon Dieu :

Modeler

Dégrossir

Tailler !

.
Prendre à plein corps

ces images mentales

qui la hantent

ces images mentales

qui existent

déjà

en esprit

ces images mentales

qui n’attendent

que ses mains

et la liberté

d’agir

pour naître

au monde

.
Naître au monde

duquel on l’a soustraite !

.
Elle aurait tant voulu laisser parler ses mains

consacrées au tourbillon de la création

.
Peut-on créer par les vides de son existence

une œuvre perceptible au monde qui l’attend ?

 
Carmen P.

photo de G. Pennarun, prise en juillet  2016 au Peabody Essex Museum de Salem, où se tenait une exposition : Métamorphoses, dans le secret de l’atelier de Rodin.