Sous nos pas

 

N’oublie pas que la terre chante

et que son chant passant

par tes pieds te transperce

.

Patience se contemple dans la source

(à moins que ce ne soit sa sœur, la vanité)

elle saisit son reflet qui jamais ne change

elle sait que malgré les apparences, les liens

qui nous embrouillent sur Terre sont déliés

par l’eau et le ciel, quelquefois par le feu.

Ce reflet est simple

jeu de lumière

sur les pierres

de son lit intime

– paillettes d’or

cueillies d’un regard

et déposées là

pour enluminer

son âme d’un ineffable

bonheur. Que la saison emportera

vers d’autres raisons.

.

Aimes-toi tel(le) que tu hais.

.

Tout est là

Ne laisse pas ton esprit guider la marche.

Vide-le comme une citrouille, alors

la lumière le remplira. Tu es ce puits

par lequel s’anime l’esprit au contact

de l’énergie de la Terre. Entre deux voix

la litanie terrestre et la symphonie céleste

tu chantes ta romance : le blues humain

.

Respire l’instant marché et que ton babille

s’effruite !

.

Sous tes pieds se déroule

un invisible espace

sur son ruban tu t’écris

les pieds frappent des lettres

où le bleu du ciel encapsule

une empreinte que le carbone

datera

.

Juste au-dessus de l’empreinte

s’élève une mémoire

elle prend forme vive

elle ravit au temps

sa propre apparence

car rien ne glisse

tout s’édifie

.

un peu de terre prélevée

ici, sur la piste de l’éternité

deviendra le corps

d’un nouveau désir

 

.

Carmen Pennarun

 

 

Comme un oiseau

Je connais toutes tes luttes

quand les épreuves nécessaires qui te laminent – injustes –

ne somment que paroles à taire

.

Alors tu vas courbant ton col de cygne

tu protèges les papillons de la tendresse

entre tes bras serrés contre ta poitrine

seul ton corsage de popeline s’est fripé

.

Viendra le temps du redressement

où ton cœur osera fouiller les décombres

l’illusion cessera ses appels à l’urgence d’agir

l’effroi se dissipera dans la présence scène

.

Tu n’es pas responsable. De rien ne désespère

La vie est à l’orage, enfant il te réjouissait

alors reprends tes bottes et t’en retourne patauger

jusqu’à ce que perce le violet des crocus

.

Retourne compter tes pas jusqu’à ce que cesse

de tanguer l’âme déboussolée que l’oiseau

du regard rétablira dans son vol migratoire

.

Carmen Pennarun

illustration : Catrin Welz-Stein

La cinquième saison

La cinquième saison

je la nomme Joie

elle n’a rien de lunaire

bien que dans la tristesse

on pourrait le croire

.

elle traverse l’année

du premier janvier

à la nuit de la Saint Sylvestre

sa lumière jamais ne s’éteint

tant va l’énergie permettant

aux mots de fructifier

en fond labyrinthique

.

elle est la flamme qui nous habite

et qui initie notre souffle

à la magnitude solaire

.

l’onde de joie émerge

sous la clarté falote

d’une lune pleine

aux pieds des pâquerettes

invisibles – elles devisent –

en croissance d’aurores

.

la cochlée de l’ oreille

accueille les vocalises de la vie

les vibrations hautes

coulent leur onguent

irradient de nitescence

et sur nos fronts s’épanouissent

les blancs de nos mémoires

absous  des trous noirs

dépeignés d’allégresse

.

Carmen Pennarun

.

Paroles de corsaire

Le fantôme du corsaire – appelons-le Youenn – semblait considérer Lucas avec incrédulité.

Si nous étions tous deux voiliers, dit-il, nous passerions comme mirages sous le regard des hommes qui ignorent  autant les rêves du passé que ceux qui construisent  l’avenir.

Le sommet de nos mâts s’estomperait dans le lointain. Tu serais aussi invisible aux humains que je le suis aujourd’hui.

Ta voile pendue comme l’aile brisée d’un cormoran s’enliserait dans la brume et son clappement s’étoufferait progressivement dans le silence où personne, jamais, ne viendrait répondre à tes plaintes de lamantin. Tu as de la chance que je sois là. Ton égarement m’a tourmenté. Quel crime te reproche-t-on ? Le monde est-il devenu si dur que faute d’enfance est condamnable à vie ? Tandis que moi, voué à l’éternité sur un rafiot taillé pour affronter les vagues, je laisserais, appuyées sur l’étroitesse du bordage, les voiles plissées comme longues jupes de femmes pendre aux vergues.

Les hommes ignorent ma présence, je me déplace, sur les eaux comme sur le sol si promptement qu’on m’entend à peine. Tu peux m’appeler « le goéland silencieux ».

Ah, si tu savais la fébrilité de certains matins quand les matelots rassemblés sur le pont répondaient à l’appel des embruns et à la senteur rugueuse de la toile ! L’heure n’était pas aux questionnements. Le moindre doute venant de l’un de nous aurait été de bien mauvais augure pour tout  l’équipage !

Carmen P.

On naît tous quelque part

Vivre, c’est accepter de renaître en Terre natale

alors même qu’on a coulé des jours heureux

en Terre d’adoption. Comme lorsque certaines

heures du jour nous serrent le coeur jusqu’à

ce qu’on accepte d’ouvrir nos sens

à une moindre lumière, en dépit

de nos résistances, l’espace

et le temps tendent souvent

une autre joue à embrasser.

Cela, le peuple des pierres

l’entend qu’un éboulement

a détaché de la roche-mère

.

Carmen Pennarun

illustration : Magdalena Korzeniewska

L’ange de novembre

photographie de Gilles Pennarun

La branche plonge dans ce Rien

où ni vide ni plein ne vient

atteindre le point d’ancrage

du mal être. Elle part___ouvrir

un espace en forêt millénaire

et passent __des tempêtes

des promesses et après maintes

révolutions se nidifie l’âme

plus vieille qu’un arbre bicentenaire

riche d’épreuves et de pluies

– de trésors – qu’elle cache

dans tous ses nœuds

.

Glisse en rêve de grands bancs

d’ ablettes sous la transparence

de l’instant. Le miroitement

d’argent ramène le corps

à l’oxygène d’une pensée

le rend perméable au rythme

d’où naît le mouvement

– c’est une pulsation au doux

babillage  d’enfance – une scansion

joyeuse que soulève l’appeau

.

La mémoire sensorielle

émerge de l’eau dormante

.

L’ange de novembre

s’est réfugié au Nord

il attend le réveil de lumière

et___du continent glacé

il reviendra aux premières

aubes___ouvrir leur territoire

au chant des oiseaux

.

C’est la Terre

que porte notre cœur

jusqu’à la plèvre

par la grâce de deux mains

créatrices de biens

que notre nature – sauvage –

dans sa déraison

risque de détruire

.

Demeure la simplicité

des jardins d’enfants

les âmes innocentes

s’épanouissent

sous le regard des mères

où couvent des rivières

d’espérance

.

L’amour est un refuge

(en lui mugit la part du vent)

il pousse

les mémoires endolories

à battre du cœur

en signe de nouvelle alliance

avec les plans zélés

.

Carmen P.

Mirage bleu – ma mère

elle, si légère

comme une feuille

détachée

comme une rivière

sortie de son lit

avec des gestes doux

à reconduire

conversation lente

de petits cailloux

des petits riens

en plain appel

tout va bien

malgré ce mal qu’elle ne parvient

à endormir

tout va bien

et l’air est une rivière

où dansent ses robes

fleuries

la vie

.

lui, dans le réel

égaré

il n’a pas appris

à relever

les petits cailloux

à faire le chemin

qui remonte le temps

il était bâtisseur

mais la profondeur

des fondations

et la hauteur des murs

ne résistent pas

aux assauts des jours

au-dessus desquels elle cherche étoile

.

Les petits cailloux comme les gestes

ne sont plus. Tout est figé, solidifié

et moi je la vois debout à côté

de ce corps qui ne répond plus

regardant venir les bateaux

de l’enfance chargés des

rires des ses sœurs.

Il demeure du bleu

le ciel le dit

il ne saurait

mentir

d’ailleurs

la lumière

attise des braises

pour quel enjeu ?

.

un point d’enfance

dans l’aride

vieillesse

.

en vérité

les ocelles bleus

d’une âme que l’océan

attire vers l’ultime

camouflage

.

et l’on voudrait que je sourie

alors que je retiens

au-dessus du vide

mes cris d’appels

mes yeux sont secs

pourtant je tangue

j’affirme que tout cela

est mirage -ralentissons !

.

la vie est éclaboussure

d’infini, un nectar

un temps, un venin

au final

.

Eve n’y est pour rien

et ma mère non plus

.

Carmen P.

illustration : Léon Spilliaert

J’ai perdu le fil

J’ai perdu le fil
mais flânent des reflets
sur mon âme viride
Fiel, tu es venu semant le doute
en grande inquisition sur ma joie limpide
la vasque était pleine de larmes
bulle d’eau grosse en phase de déferlement
sa surface, ridée en moi,
frissonnait comme ondée natale
la buée s’obstinait à écorner mon globe
sur le lac faussement tranquille de l’existence
tandis que l’aube – et ses rayons émergents –
exhalait toutes mes faiblesses
Souviens-toi, mon ange, il faisait grand air
dans nos vies et le poids vif de la chair
dansait sous l’ivresse des pensées légères
Une aile (j’ai entendu son bruissement)
par capillarité est venue boire l’excès d’amertume
Il faut croire que la chaleur d’une caresse
sur la peine vitale a ouvert le flanc
d’où se sont échappées toutes
les clabaudeuses mémoires
Carmen P.

Le bois sourd de la raison

Mon âme est pareille à celle de l’arbre

bicentenaire. Son écorce craque 

mais résiste aux révolutions, aux tempêtes

aux promesses éphémères. Chaque épreuve

est un trésor auquel, tout bien considéré, 

j’accorde asile sur un de mes noeuds.

Le  fragile appelle le plus grand des respects.

et ma vigilance de sève est à  son écoute.

*

Quand l’homme vieillit, le voisinage aboie. Il ne suffit pas d’aménager la maison, il faut penser aussi à l’extérieur.
L’approche de la vieillesse n’est pas seulement  un problème d’individu, elle demande   aussi de porter attention au collectif.
Devenez tuteur et c’est d’un quartier dont vous devrez prendre soin. Une approche globale qui tient compte de l’ extérieur autant que de l’intérieur, est nécessaire… sinon vous entendrez ; « Virez-moi tout ça de l’intérieur, vite fait ! »
Et dans mon intérieur, mon mental,  tout se bouscule et vertige le quotidien.  » Pense à l’extérieur, Carmen. Il n’y a pas de vertige, la terre ne tremble pas. Tout est bien, tout est bon, seul le bien existe, le mal n’existe pas ! »
 
*
 
Baisse le son grand-père !
Ce n’est pas parce que tu es sourd que les voisins ont à supporter ta TV.
 
Tu ne veux rien entendre
tu ne te déplaces pas
à petits pas chassés
hésitant entre
l’avant et l’arrière
quand on sonne
à ta porte
 
à ta porte il y a
une lettre de menace
des voisins qui passent
et tu restes là
devant ta télé
 
*
 
Mais personne n’a sonné
il n’a rien entendu
sinon il vous aurait invité
à entrer, vous aurait proposé
un petit café. Grand père aurait
même trouvé assez d’énergie
pour vous apporter des chaises.
Une visite est toujours bienvenue
la télé, on l’éteint aussitôt.
Vous êtes la vie prenant forme
Sa vie à lui est si menue
alors qu’ elle vous paraît
monstrueuse et si bruyante.
 
*
 
Avant, je parvenais à m’occuper
Maintenant, mon Dieu, il ne me reste
que mon fauteuil et l’ambiance
vue à travers le petit écran.
Des voix m’atteignent 
je les entends Haut
parfois ce sont des Rires…
La Joie nous parvient comme elle peut
pour nous toucher d’un lustre d’éclat.
C’est important une voix
quand la maison est pleine
d’absence.
 
Je dérange le voisinage ?
Eh bien, mince, alors !
Dites-moi, si je règle le son
comme ça, au minimum
que je puisse entendre,
dites-moi si pour vous
cela représente une nuisance
sonore. Mince, alors !
toute une vie à me montrer
discret et je comprends
tout à coup que la vieillesse
me rend indésirable.
 
Je vais demander à ma fille
elle saura peut-être nous aider
 
en attendant
 
puis-je regarder ma télé, aujourd’hui ?
 
 
.
Carmen P.
 
 

L’enfance dans la joie perchée

Trees falls
Bees balls
That’s how
the world
will be

Evan P. – 5 ans

*

Le vert est un son – tenu
de la terre, il prend corps
suit le souffle d’hiver
jusqu’à l’embaumée d’une faveur
fleurie. Croire aux cymes
du tilleul mi-juin

*

Derrière le front
l’énergie vert pomme
d’une terre à blé
où lentement poussent
les épis
_____ et les fougères
des pensées se plient
émiettent les mottes
où germe le grain
de demain
_____Rien ne s’oublie
du passé à l’avenir
quand la menthe
en soi savoure
mille désirs

la vie crée notre paysage
à partir d’un champ chromatique
celui d’une couleur  que les rayons
de notre soleil intérieur – traverse

*

Les hôtes dans ce bel arbre
se posent comme des oiseaux
L’ami aux bras noueux
accueille chacun comme
il porte les saisons
Les fruits sont gracieux
et sa voix de broussaille
se fait murmure que seuls
les enfants écoutent

*

Dans un monde tout autre, si l’enfant – vif et espiègle – était planté comme une jeune pousse,  il contemplerait avec envie, de son petit coeur palpitant  attaché à la terre,   l’arbre libéré de ses racines qui, en face de lui, gambaderait à s’en rompre le bois.

Je verrais bien cet arbre… et oui, je le vois ce grand pachyderme végétal, en génuflexion devant l’enfant, tendre sa branche comme une trompe et d’un geste plein de sève et de compassion, la poser sur la tête du petit être avec une infinie douceur. Que savons-nous de la tendresse entre les espèces ? Un élan traverse la nature qui prend soin d’elle-même et en quelque sorte  nous protège, en nous intégrant à son champ vibratoire.

Recevons la bénédiction de nos frères végétaux que rien de monstrueux n’anime. Leur délicatesse de géants calme les peurs liées à la fragilité de notre condition humaine.

*

Le héron perché

sur la cheminée

d’en face

est la sentinelle

de not’ p’tite forêt

.

Sur ce coin du monde

où les jours passent

il couronne hautain

la canopée où

les maisons se cachent

.

Il s’envole soudain

à l’appel de l’étang

portant haut et loin

le hauban de son cri

.

Carmen P.