Théodore Boulard : Les joueurs de Trut
Paul et Fanny 6
Il s’agissait de bien commencer sa nouvelle vie, ne l’avait-elle pas
gratifié d’un
«mon ami » ? Il chantait encore à ses oreilles ce
mot, véritable sésame pour l’avenir, chaque coup de pédale était ponctué d’un « mon ami » gaillard, vigoureux, il s’en fallut de peu que le vélo ne décolla ! Pour sûr, rien ne lui
résisterait.
Au café, les quatre larrons étaient à nouveau réunis,
commentant l’actualité, enfin les derniers faits divers, se délectant des rumeurs, les créant au besoin
pour rompre la monotonie avant de se lancer dans les cinq parties de trut du matin. Elles désignaient l’équipe qui paierait l’apéritif, du très sérieux donc puisque le porte monnaie était lui
aussi impliqué. À les voir on les
croirait tout droit sortis d’une toile de Théodore Boulard !
Occupés qu’ils étaient à se chamailler, c’est à peine
s’ils remarquèrent un petit groupe de cinq marcheurs, deux couples et un homme, qui s’attablait non loin d’eux. Aux dires d’un joueur, l’un aurait adressé un clin d’œil à un des partenaires, ce
qui n’était pas loyal !
« Tout ça pour ne pas payer un coup, c’est sûr que la
mariée est regardante sur les dépenses mais quand même, c’est pas une raison! ».
Intrigués puis amusés par les quatre lascars, les nouveaux
arrivants retenaient leur souffle, dégustant avec gourmandise cette joute oratoire, du grand spectacle.
— Ne vous inquiétez pas, tous les jours c’est au théâtre
ce matin avec eux. C’est la principale occupation de leur vie, étonnant que vous les ayez surpris d’ailleurs, les clients de passage les ignorent, en général. Vous êtes perdus ?
susurra Fanny en approchant de leur table, un grand sourire illuminant son visage.
— Non, nous
randonnons, c’est très agréable de se retrouver au milieu de nulle part, cela nous change de la fournaise parisienne. Votre région a un charme fou et avec ces trognes !
— Chocolat chaud et croissant pour moi…
Fanny notait soigneusement les commandes tout en éprouvant
une gêne croissante, une paire d’yeux la détaillait de la tête aux pieds, suivait les courbes de son corps, s’immisçait pour ainsi dire jusque dans ses chaussures. C’est à peine si elle osait
lever la tête afin de mieux visualiser cette paire inquisitrice. En retournant vers le bar afin de préparer ce petit déjeuner, elle ne savait quasiment plus marcher normalement. Elle était chez
elle pourtant, c’était son domaine et elle se trouvait plus empruntée que le jour de son arrivée.
— Combien je te dois Fanny ? C’était Maurice qui venait régler les dégâts selon son expression.
— J’ai l’impression ma petite que l’amour t’a repérée.
Vois-tu ces circaètes qui rétrécissent leurs circonvolutions au dessus de ta tête, il ne te sera pas facile de jouer l’anguille et de toujours fuir.
— Cessez de racontez n’importe quoi !
— J’ai des yeux, fais le bon choix et surtout sois
heureuse ma petite.
Elle ne se souvenait pas que ce chenapan puisse se montrer discret, sensible. Il connaissait l’émotion ce vieux grigou ? D’où tenait-il cela , qu’avait- il vécu ? On ne le
connaissait que pour ses frasques verbales, une armure, un maquillage contre des douleurs enfouies ? Fanny n’en pouvait plus de toutes ces interrogations ce matin ! Pour la première fois, elle
semblait avoir le ventre en loques, dans sa tête résonnait le presto agitato de la sonate Waldstein, et Horowitz s ‘en donnait à cœur joie ! Quelle était donc cette journée qui programmait du
remue-méninges à tout va ?
Une journée pleine de promesse et de rebondissement pour nous en tout cas! 🙂
Bonne nuit m’dame Carmen
Ah ah, je me doutais bien Carmen qu’il y avait « anguille sous roche » et tu nous emmènes allègrement sur une autre direction qui nous remet en haleine.
Comme quoi, l’art et la manière, ça fait tout.
Merci au nom de la communauté
Bisous et douce nuit
Le Noctamplume