Ces textes, regroupés ici, ne sont pas gais. Ils parlent de vie, pourtant.
Promis, les suivants, déjà écrits, seront plus légers !
I
rêve
J’allais par les méandres
de mon esprit endormi
partir pour un voyage
avec tous mes enfants
et même avec la « petite »
qui n’est pas encore née.
Par cette nuit de neige
je ne l’avais pas habillée
et ma mère me prodiguait
des conseils pour sa sécurité.
.
Elle était là, ma mère
debout, lucide, et jeune…
Oubliée la chaise roulante !
.
Le rêve est la maladie de mémoire
des jours qu’Alzheimer déforme.
Ainsi, aux petits pas des nuits
et des jours qui se suivent
se recrée l’équilibre d’une vie
digne de ton nom, maman,
et je dirai à ta famille
et même à l’enfant
qu’un ventre maternel cocoone,
là-bas, loin de nous seuls,
combien tu fus, pour nous tous,
une mère attentive et aimante.
II
Bernadette
Quand il faut nourrir sa mère comme une enfant,
l’entendre pleurer et appeler sa maman,
on voudrait pouvoir restaurer ses cellules,
dissoudre les chagrins, les peurs cristallisés.
Mais cela ne se peut car un « aimant » plus fort
s’est emparé d’une âme – en passant par le corps,
et toutes les déchéances ici-bas
ne sont que pénible ascension
vers une vie redoutée qu’on ignore.
Les acteurs, dans les coulisses,
tremblent derrière cette tragédie
minutieusement orchestrée
elle défie leur entendement
l’horloge compte des secondes d’éternité douloureuses.
III
Madeleine
« La vieillesse, c’est l’hiver pour les ignorants et le temps des moissons pour les sages », nous dit un proverbe.
La vieille femme s’agite dans son sommeil. De ce lit sécurisé, où il ne lui est même plus possible d’atteindre le téléphone, elle songe à joindre son fils aîné, afin de lui dire qu’elle n’est pas bien, ici ! Ses pensées transpercent le plafond, lévitent au-dessus de la ville, évitent la rocade, survolent les champs et atteignent le sommeil de sa belle-fille.
Message transmis.
Sa belle-fille réveille son mari, et lui annonce : « Ta mère souhaite te parler ! »
Par discrétion, elle a oublié de demander à sa belle-mère ce qu’elle voulait dire à son fils. Le message est donc incomplet. Vraiment, il lui faudra apprendre à poser les bonnes questions, en rêve, afin de devenir une messagère efficace !
Pour en revenir au proverbe, la moisson ne peut plus – dans la réalité de l’existence terrestre – se faire dans la vieillesse. La moisson est de tous les jours, elle accompagne la vie. Aujourd’hui on glane ce qu’on a semé hier. On s’active tant que le corps le permet. Il en faut de l’énergie pour moissonner, autant que pour labourer, à moins de recruter des saisonniers (mais là, est un autre sujet).
En plein champ, au sommet d’une meule de paille, la vieille femme serait reine, laissant à d’autres le labeur, à elle la perception de cette scène de vie agricole…. Mais ici, dans cet Ehpad, elle est tigre de paille et rugit son impuissance.
IV
Joseph
Il a pris son lit et l’a mis dans le salon.
Après soixante ans de nuits communes
il ne dormira plus jamais avec sa femme.
Les cris, les pleurs, les paroles décousues
ne lui apportent que souffrance, et rajoutent
de la confusion dans cette maison que la vie
déserte, laissant le champ libre à la déraison.
Les délires de l’une, après l’insomnie, jettent
l’autre, épuisé, si l’engourdissement le gagne,
dans les catacombes des cauchemars d’où
il ne sort que pour sombrer dans la folie
d’un jour qui a tout d’une jungle…
V
sursaut
Elle avait donné, et son corps vieillissant tentait de reprendre, à rebours du temps,
toutes les bénédictions accordées par le simple fait qu’elle leur ait donné la vie.
N’était-elle pas source ?
L’eau lui était redevable des poissons qu’elle se devait de ferrer avant de partir.
VI
espérance
On peut saisir, par temps d’amertume, le reflet d’un ange dans une flaque de pétrole…
Malgré le noir venu mazouter les œuvres blanches que le temps dégrade,
surgit, inespéré, un liseré chahuté par une vague improbable.
Il vient déposer son offrande de lumière aux pieds du vagabond de l’âme.
Carmen P.
Bonsoir Carmen,
Triste réalité de cette maladie infâme… Les mots sont cruels mais tellement réels qu’ils décrivent à l’exact. C’est ainsi que j’ai perdu l’une de mes tantes il y a un an …
Ces textes ainsi groupés son en effet poignants de leur vérité d’écriture.
Et si les suivants s’avèrent plus légers ce sera bien, mais je n’oublierai pas ceux présents pour autant…
Cordialement.
C’est une réalité devant laquelle nous ne pouvons fermer les yeux. Hélas ! Compatir. Aider. Se ménager des plages de temps qui nous offrent des visions, belles !
« les chants désespérés sont les chants les plus beaux » parce qu’ils sont aussi les plus vrais… Oui cette vie est une jungle où il n’est pas surprenant de trouver des tigres…
Merci, Aloysia !
C’est dans les nuits de nos vies que l’on voit surgir dans cet immensité les chagrins, les peurs, nos peurs de ceux quel’on aime et à qui on consacre beaucoup de temps pour leur permettre d’être mieux. Que voit-il de la vie? On ne sait et pourtant quand l’appel se fait sentir on est désarmé car on ne sait plus quoi dire devant le chagrin de celle qui fut notre mère.
Ce pas pas que t nous décris en mots choisis sont fort et triste mais c’est dit avec beaucoup de pudeur et de beauté. On a besoin de les exprimer.
Quand au tigre même s’ils ne sont que de paille on pense qu’à ce moment-là on a vraiment touché le fond de la déchéance….
Bisous d’EvaJoe
Merci, EvaJoe. C’est toute une famille qui fait face à cette maladie, cette horrible maladie qui ne laisse aucune chance à la personne qui en est atteinte. Tout s’efface, mais s’il n’y avait que l’oubli ! il y a aussi les modifications du caractère… au final, ne reste que la démence. Amitiés Eva !
C’est triste mais c’est beau… Quelle épreuve que cette terrible maladie qui efface les traces de la vie, nous sommes tous témoins de ses ravages et notre coeur saigne. Que faire avec tout ça ? Accompagner du mieux que l’on peut et lorsque l’on ne peut pas, ne pas se culpabiliser il me semble. Ton lion de paille est incroyable. Bises ensoleillées, à bientôt Carmen. brigitte
Ce n’est pas facile, du tout. Demain ma mère sera à nouveau hospitalisée… sans espoir de retour. Tant de choses ont été mises en place depuis l’été dernier et pour si peu de temps. L’idée de la séparation doit mûrir dans l’esprit de mon père et accompagner, agir au mieux au bon moment, n’est pas évident. Je parviens difficilement à écrire ou finaliser un manuscrit…
Je vais venir lire ton blog. Bonne soirée, Brigitte.
gnose est la vie qui nous renvoie irrémédiable à la tristesse de telles situations…
On apprend chaque jour, plus dans les épreuves que dans la joie vers laquelle on aspire. Faire migrer la joie jusque dans les épreuves ?!
… La joie dans ce cas me semblerait malsaine. En revanche, je pencherais assez vers l’idée que l’on peux se sentir « plus serein(e) » en admettant d’avoir su appréhender l’épreuve au « mieux » de notre endurance.
Amicalement
Je ne sais pas, Robert-Henri D. Je me pose la question, on alterne, joie et tristesse… ne vaudrait-il pas mieux demeurer d’humeur égale, sans se laisser définir par les évènements extérieurs, sans afficher une tête de circonstance. Ne pourrait-on pas maintenir une présence au monde joyeuse (rayonnante) au coeur de la tristesse ?
Hum… seuls les grands sages savent faire cela peut-être? Et dans un milieu qui est propice à leur méditation…
Cependant, il me semble que le fait de pouvoir garder une humeur égale en toute circonstance implique aussi de savoir canaliser ses émotions au delà de la seule maîtrise de soi (à l’inverse de la dépression) mais alors, si tel était le cas, nous aurions l’air d’être faits à l’image d’une machine ou d’un « zombie ».