L’enfant de Syracuse (Monika)

sans-titre

Dès que j’eus décliné mon identité dans l’interphone du petit immeuble de briques rouges où habitait Monika Jacoby, la porte s’ouvrit.

Le condo* situé au quatrième et dernier étage donnait sur une jolie terrasse paysagée. D’entrée, les lieux dégageaient une forte impression de clarté et d’esthétisme. Les murs blancs, le mobilier blanc, lui aussi, le parquet de bois clair, bien entretenu, et la hauteur des pièces auraient suffi au jeu de la lumière pour apporter à cet espace une décoration d’intérieur naturelle, cependant, d’immenses tableaux occupaient les murs sans ouvertures. Des fleurs, se déclinant du rose au rouge, s’épanouissaient au terme de larges hampes couleur vert d’eau. Placées sur des consoles de verre, des orchidées blanches mouchetées de rouge trônaient comme des candélabres sur des pilastres invisibles. Dans cet univers immaculé, les rideaux eux-mêmes étaient rouges,  cette couleur n’avait rien d’agressif, elle  éclatait et animait les lieux d’un rayonnement joyeux d’aussi bel augure que les voiles des mariées en Chine.

Monika était la fleur, à l’exotisme maîtrisé, qui avait donné son caractère aux lieux. Elle était grande, vêtue d’un tailleur bleu marine et d’un chemisier blanc, à son cou une fantaisie émaillée rouge, ses cheveux bruns tombaient librement sur ses épaules. Classicisme et élégance résumait bien son choix vestimentaire. Ses gestes étaient vifs et précis, sa voix  aux intonations chaleureuses s’élevait claire, même quand elle s’exprimait de la pièce voisine. Elle inspirait la confiance.

Je sortis de mon sac la carte qui lui était adressée. Elle la lut puis garda le silence.  Elle répéta dans un murmure la fin du message : « I’m really going to miss you ! », puis son regard se tourna vers la terrasse et elle dit : «  C’est tout Lucas, une telle sensibilité qui ne demande qu’à s’exprimer ! » Réalisant qu’elle avait parlé en aparté, elle se tourna vers moi et rajouta :

– Puisse-t-il parvenir à exprimer sa sensibilité et son talent aux yeux de tous ! Je vous remercie de m’avoir apporté cette carte. Lucas qui me l’a écrite est si réservé, il doit déjà être parti. Je ne pensais pas avoir de ses nouvelles avant longtemps, car il est nécessaire pour lui de se construire en laissant le passé derrière lui. Il vaut mieux qu’il m’oublie.

– Je ne veux pas être indiscrète, mais puis-je savoir qui est Lucas ?

– C’est un jeune homme que j’ai suivi dans le cadre de ma profession. Je suis psychologue, il était pensionnaire au centre de détention pour enfants d’ Hillbrook.

– Je ne connais pas ce lieu, dis-je pour en apprendre davantage. Je ne suis que de passage à New York.

– J’ai un devoir de réserve et je ne pourrai vous en dire beaucoup plus. Cependant, je peux vous révéler, puisque vous avez pris sur votre temps de vacances pour m’apporter cette lettre,  que Lucas s’apprête à partir pour l’Europe et je l’ai suivi depuis Hillbrook jusqu’à la prison du MCC.

– Le MCC ?

– Le Metropolitan Correctional Center, une prison fédérale à Manhattan.  Lucas  appréhendait terriblement son transfert d’un centre de détention juvénile à une prison pour adultes. Il faut dire que la façade de ce bâtiment triangulaire, avec ses fenêtres hautes et étroites qui n’ont pas plus de cinq pouces de large, a de quoi interpeller, même si, considérée de l’extérieur, certains la qualifient de « merveilleuse ». C’est toujours merveilleux quand on n’a pas à passer les portes d’un univers hostile. Mon protégé  considérait ce lieu comme un paquebot sur l’île de Manhattan, il sentait la foule, disait-il comme une mer démontée battre contre son cœur et il avait peur, oui peur de cette immersion dans la faune trépidante des rues de New York, car il avait la permission de sortir. Lucas a profité d’une blending sentencing un peu particulière,  après une première période de détention à Hillbrook il devait passer par New York où. dans le cadre de ses études sur l’Art, il lui fallait visiter le MoMa ainsi que le MET. Il était sous surveillance électronique, bien sûr, mais je devais l’accompagner, car Lucas est un sujet hypersensible que plusieurs années de détention ont rendu particulièrement vulnérable, il ne pouvait renouer avec le monde, seul, et j’étais la personne en qui il avait le plus confiance.

– On lit toute sa reconnaissance dans les mots qu’il vous a laissés.

– Oui, j’en suis émue. Ce jeune homme est surprenant et très attachant. Je vous remercie encore une fois d’avoir sauvé ces mots du déluge, dit-elle en souriant.

Je laissai Monika car elle avait un rendez-vous et je me retrouvai bientôt  chez Mamoun’s Falafel,  je n’allais pas quitter Greenwich village sans un encas que je me faisais une joie de déguster sur le pouce dans Washington Square. La matinée avait été riche, car Monika avait fait plus d’entorses à son devoir de réserve qu’elle n’en avait l’intention, et l’auteur en moi jubilait : ce Lucas, ce que je devinais de sa personnalité, commençait à entamer un dialogue avec un autre personnage que j’avais abandonné en France, dans sa prison de l’île de Ré, alors que je fuyais le manque d’inspiration  dans l’agitation de New York.

* Un condominium : appartement, au Canada, aux US, quand dans l’immeuble les unités d’habitation ont été vendues à des propriétaires différents.

4 réflexions sur « L’enfant de Syracuse (Monika) »

    • Merci Martine pour ton passage. Je n’ai pas travaillé sur cette nouvelle depuis. Je pense que j’écrirai encore un chapitre, ce qui permettra à ceux qui ont suivi ici de comprendre ce qui est arrivé à Lucas. Je ferai le lien entre les chapitres et penserai à l’épilogue ensuite, quand je songerai à l’éditer – rien ne presse.
      De toute façon j’ai peu de lecteurs, il vaut mieux ne publier que de la poésie ou des textes courts sur les blogs.
      À bientôt sur ta page. Carmen

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