Contre mon coeur-cerisier

Photographie B. Pennarun, non libre de droit.

L’imaginaire est la clef dans la serrure du temps. Introduite à l’instant précis où le destin l’autorise, elle parvient à ouvrir la conscience à tous les possibles. Sous le faisceau du regard un monde fantastique s’anime et prend couleur. Il a la saveur des jours cerise.

*

J’accroche une échelle de fleurs
dans mon arbre

c’est pour toutes les pensées
étrangères
avant qu’elles ne deviennent
l’âme infidèle

Mon guide m’accompagne
et puis m’abandonne
car c’est à moi de compter
les noyaux – après la chair

Aucune roche n’est imprenable
l’esprit pénètre par les fissures
comme l’eau – mon enfant
comme l’eau s’infiltre

Le bonheur s’acclimate
il s’affirme en grimpant
du plus bas de la peur
et se hisse jusqu’au
panache de lumière
sans qu’aucune fleur
ne se ferme
et sans que tu ne lâches
ton rêve

*

La petite fille ne sait pas
qu’elle est née princesse
pas plus que le coquelicot
ne perçoit son propre éclat
et je raconte des histoires
qui dans mon coeur
forment mantra
dans l’ose ange
de mon esprit
.
_____Je
.
coeur____berce
.
____mon
.
pour que la petite fille
devienne fleur
tandis que les coquelicots
font la révérence
au bal des épis de blé
de ma conscience

.

Carmen P.

Femmes à la source

Tableau : Paul Sérusier

.

J’étais peu présente sur mon blog, ces derniers temps, car je finalisais un nouveau recueil de poésie.

Je vous en parlerai et vous préciserai le titre !

Voici quelques poèmes extraits du manuscrit.

***

Les montagnes de la vie
un jour deviendront-elles rose ?
Quand cesseront-elles
de jouer aux montagnes Russes
semant pagaille dans nos ardeurs ?

Rose, la couleur préférée des petites filles
du plus près au plus loin du berceau.

Les petites filles ont-elles le choix ?

Elles en ont l’illusion quand elles réinventent
le monde au travers d’un objectif
quand elles ouvrent le diaphragme
à leur guise. Tout
devient simple.

Rose
(comme muni d’œillères)

À la regarder de près
la voie du photographe
n’est pas toujours la plus

radieuse

*

Bien avant que la lumière ne la défroisse
elle s’était emmêlé les pétales
sous le bleu immense du ciel

de tout son jaune terrestre
elle orchestrait la fuite

*

À peine ébauchée
la passion juvénile
s’évanouit
dans un effarouchement soudain

Plus rien
ne s’accrocherait à ce regard
qui détroussait les présences
de stratagèmes audacieux

Sous la coupe vide de la lune
(il eût mieux valu qu’elle fût pleine)
peinaient les étoiles
elles offrirent cortège à celle
qu’elles reconnurent soeur

*

Vivre pour l’hélianthème
et ses petits cœurs dorés
Vivre pour ce qui sème
fragilité au bord des vanités,
quand jaune genêt on respire
et que la nature ouvre le jour
au parfum de muguet,
du moi, de mai.

.
Carmen P.

L’enfant de Syracuse (Monika)

sans-titre

Dès que j’eus décliné mon identité dans l’interphone du petit immeuble de briques rouges où habitait Monika Jacoby, la porte s’ouvrit.

Le condo* situé au quatrième et dernier étage donnait sur une jolie terrasse paysagée. D’entrée, les lieux dégageaient une forte impression de clarté et d’esthétisme. Les murs blancs, le mobilier blanc, lui aussi, le parquet de bois clair, bien entretenu, et la hauteur des pièces auraient suffi au jeu de la lumière pour apporter à cet espace une décoration d’intérieur naturelle, cependant, d’immenses tableaux occupaient les murs sans ouvertures. Des fleurs, se déclinant du rose au rouge, s’épanouissaient au terme de larges hampes couleur vert d’eau. Placées sur des consoles de verre, des orchidées blanches mouchetées de rouge trônaient comme des candélabres sur des pilastres invisibles. Dans cet univers immaculé, les rideaux eux-mêmes étaient rouges,  cette couleur n’avait rien d’agressif, elle  éclatait et animait les lieux d’un rayonnement joyeux d’aussi bel augure que les voiles des mariées en Chine.

Monika était la fleur, à l’exotisme maîtrisé, qui avait donné son caractère aux lieux. Elle était grande, vêtue d’un tailleur bleu marine et d’un chemisier blanc, à son cou une fantaisie émaillée rouge, ses cheveux bruns tombaient librement sur ses épaules. Classicisme et élégance résumait bien son choix vestimentaire. Ses gestes étaient vifs et précis, sa voix  aux intonations chaleureuses s’élevait claire, même quand elle s’exprimait de la pièce voisine. Elle inspirait la confiance.

Je sortis de mon sac la carte qui lui était adressée. Elle la lut puis garda le silence.  Elle répéta dans un murmure la fin du message : « I’m really going to miss you ! », puis son regard se tourna vers la terrasse et elle dit : «  C’est tout Lucas, une telle sensibilité qui ne demande qu’à s’exprimer ! » Réalisant qu’elle avait parlé en aparté, elle se tourna vers moi et rajouta :

– Puisse-t-il parvenir à exprimer sa sensibilité et son talent aux yeux de tous ! Je vous remercie de m’avoir apporté cette carte. Lucas qui me l’a écrite est si réservé, il doit déjà être parti. Je ne pensais pas avoir de ses nouvelles avant longtemps, car il est nécessaire pour lui de se construire en laissant le passé derrière lui. Il vaut mieux qu’il m’oublie.

– Je ne veux pas être indiscrète, mais puis-je savoir qui est Lucas ?

– C’est un jeune homme que j’ai suivi dans le cadre de ma profession. Je suis psychologue, il était pensionnaire au centre de détention pour enfants d’ Hillbrook.

– Je ne connais pas ce lieu, dis-je pour en apprendre davantage. Je ne suis que de passage à New York.

– J’ai un devoir de réserve et je ne pourrai vous en dire beaucoup plus. Cependant, je peux vous révéler, puisque vous avez pris sur votre temps de vacances pour m’apporter cette lettre,  que Lucas s’apprête à partir pour l’Europe et je l’ai suivi depuis Hillbrook jusqu’à la prison du MCC.

– Le MCC ?

– Le Metropolitan Correctional Center, une prison fédérale à Manhattan.  Lucas  appréhendait terriblement son transfert d’un centre de détention juvénile à une prison pour adultes. Il faut dire que la façade de ce bâtiment triangulaire, avec ses fenêtres hautes et étroites qui n’ont pas plus de cinq pouces de large, a de quoi interpeller, même si, considérée de l’extérieur, certains la qualifient de « merveilleuse ». C’est toujours merveilleux quand on n’a pas à passer les portes d’un univers hostile. Mon protégé  considérait ce lieu comme un paquebot sur l’île de Manhattan, il sentait la foule, disait-il comme une mer démontée battre contre son cœur et il avait peur, oui peur de cette immersion dans la faune trépidante des rues de New York, car il avait la permission de sortir. Lucas a profité d’une blending sentencing un peu particulière,  après une première période de détention à Hillbrook il devait passer par New York où. dans le cadre de ses études sur l’Art, il lui fallait visiter le MoMa ainsi que le MET. Il était sous surveillance électronique, bien sûr, mais je devais l’accompagner, car Lucas est un sujet hypersensible que plusieurs années de détention ont rendu particulièrement vulnérable, il ne pouvait renouer avec le monde, seul, et j’étais la personne en qui il avait le plus confiance.

– On lit toute sa reconnaissance dans les mots qu’il vous a laissés.

– Oui, j’en suis émue. Ce jeune homme est surprenant et très attachant. Je vous remercie encore une fois d’avoir sauvé ces mots du déluge, dit-elle en souriant.

Je laissai Monika car elle avait un rendez-vous et je me retrouvai bientôt  chez Mamoun’s Falafel,  je n’allais pas quitter Greenwich village sans un encas que je me faisais une joie de déguster sur le pouce dans Washington Square. La matinée avait été riche, car Monika avait fait plus d’entorses à son devoir de réserve qu’elle n’en avait l’intention, et l’auteur en moi jubilait : ce Lucas, ce que je devinais de sa personnalité, commençait à entamer un dialogue avec un autre personnage que j’avais abandonné en France, dans sa prison de l’île de Ré, alors que je fuyais le manque d’inspiration  dans l’agitation de New York.

* Un condominium : appartement, au Canada, aux US, quand dans l’immeuble les unités d’habitation ont été vendues à des propriétaires différents.

Bouquet d’avril

Fenetre-02

 

Bouquet d’avril

 

 

je contemple aux lisières du non-vécu

les rebords gris des vieux clichés

où des mondes se sont dissous

 

le regard est flouté qui passe par une vitre douteuse

 

pourtant

il n’y a pas de fenêtre

aussi sale soit-elle

par laquelle le créateur de l’être

ne puisse voir l’homme vivre

— l’un et l’autre font corps —

 

sur la paupière d’un œil-de-bœuf je dépose quelques fleurs de saison

 

Erin (Carmen P.)