Il était sans doute venu sur cette presqu’île pour engranger dans sa mémoire quelques fleurs d’écume, pour éprouver des tonalités nouvelles, tout un nuancier de gris, auquel l’automne flamboyant de sa ville natale ne l’avait pas habitué.
Il y avait comme une résonance entre ces harmonies qui se refusaient à la clarté, et pourtant la rendaient si déchirante, et son âme juvénile enlisée dans la mélancolie.
La mer, le ciel et le vent s’alliaient pour créer ces volutes de neige de mer que l’on imaginait facilement nous transformer en bonhomme d’écume pour peu que l’on restât suffisamment longtemps immobile.
Ce qui le surprit ; cet air vif, ce déchaînement des éléments réveillait en lui une énergie qu’il croyait anéantie après ces années de mise au ban de la vie sociale, ces années où il avait dû taire la fantaisie de sa jeunesse, se plier à un règlement, avant de sortir avec pour seul bagage sa reconnaissance pour une personne qui s’était montrée attentive aux besoins qu’il ne ressentait même pas.
Il y avait donc encore en lui un feu intérieur, capable de raviver sa confiance atrophiée. Il sentait grandir au fur et à mesure de cette balade côtière un élan qui le forçait au redressement. Ce n’était pas simple impression, mais réalité mesurable. Les empreintes de ses semelles sur le sable glacé se distançaient ; sa foulée devenait plus ample. En même temps, sa vision au travers du voile de la brume devenait plus nette, comme si son regard haussait sa perception au-delà des obstacles. Le matériel n’était plus infranchissable, il pourrait rebondir. Il parviendrait à rassembler ses rémiges de moineau apeuré et à partir du poids plume de ses os, prématurément blanchis, il redéfinirait son ADN. Il deviendrait aigle, et son vol serait royal. La métamorphose était à l’œuvre.
Fini de rabâcher sa sempiternelle vieille histoire. Lui seul en réactivait le souvenir, la revivant encore et encore comme dans une nuit de cauchemar dont il est impossible de trouver une issue. L’aigreur des jours, à partir de cette tempête d’écume, il la remplacerait par l’alcalinité quotidienne.
.
Carmen P
Il est venu rafraîchir sa mémoire près de l’écume…
Magnifique texte !
Merci, Ahmed. C’est tout à fait cela !
Belle méditation dans une langue poétique et travaillée, souple et puissante. L’image soutient la réflexion qui permet le redéploiement d’un projet, la force de sortir de l’enlisement. Bravo.
Un cheminement… même si je ne sais où ce personnage me conduira et en combien de temps.
Bonjour Carmen,
Sous cette image saisissante un texte fort beau. Tout en harmonie. J’aime beaucoup. Il prend une résonance particulière dans la nuit.
Clap!clap!clap!
😉
Merci, Martine. Je n’approche ce personnage que par petites touches d’écriture épisodiques. Trop rares.La question que je me pose : « Dois-je me forcer à le retrouver plus souvent ? »