Un courrier suite à une participation à un concours de poésie. J’avais envoyé trois poèmes personnels et un autre poème écrit en duo avec une amie.
La lectrice a bien pris le temps de répondre et son analyse est intéressante mais je comprends bien que ma voix poétique va difficilement parvenir à se faire entendre dans le paysage actuel.
Erin
«
Le jury dans son ensemble n’a pas été très réceptif à vos textes. Seul Le messager a conquis quelques lecteurs, par son vocabulaire désuet et galant et par l’originalité avec laquelle vous traitez le thème de la déclaration amoureuse.
Je pense qu’il y a quelques explications récurrentes à notre manque d’enthousiasme et je vais tenter de vous en faire part. Il ne s’agit que d’une opinion personnelle et vous êtes libre d’y piocher ce qui vous intéresse.
- La longueur qui caractérise vos quatre textes. Ce n’est pas un obstacle en soi mais en poésie, on est plus habitué à lire un texte dense, ramassé, qui laisse une impression globale. En étirant vos textes, vous risquez de perdre le lecteur en route car il est plus difficile de rester concentré sur le sens d’un poème que sur celui d’un récit.
C’est particulièrement le cas d’Ils sont partis vivre ailleurs : le refrain en italiques qui grossit au fur et à mesure est un procédé intéressant en soi mais qui m’a rapidement lassée par son côté répétitif. Peut-être serait-ce plus efficace sur une strophe plus courte, qui passerait par exemple d’un vers à quatre ou cinq ? Là, la partie « répétée » devient plus longue que les « couplets » nouveaux ce qui m’a paru un peu paradoxal.
Je serais tentée de faire la même remarque pour Le messager que j’ai pour ma part beaucoup apprécié mais qui semble long, parfois redondant. Je pense que vous pourriez garder la même intensité d’images, la même impression de lenteur et de retenue dans la déclaration en condensant votre texte autour de quelques phrases et images fortes. L’émotion transmise n’en serait que plus vive car plus concentrée.
- La complexité de votre style laisse le lecteur non initié un peu en dehors. Cela peut être un choix mais il risque de donner l’impression que vous parlez depuis une hauteur spirituelle inaccessible, ce qui peut décourager votre lecteur.
Votre langue désuète et courtoise me séduit par moment mais tombe souvent dans des tournures un peu empruntées : le foisonnement d’images et de vocabulaire dans Kanevedenn, des phrases très ciselées dans Le Messager (« qu’elle surprenne l’avenir dans la sensorialité d’une silencieuse étreinte que nous éprouvons déjà. » ; « Je garde espoir que tu me reconnaisses, ne dit-on pas qu’un mendiant d’amour, un jour, se hasarda dans la vallée des cœurs perdus où les soupirs donnaient récital et qu’il y trouva l’âme sœur ! »)… Notamment lorsque vous abordez le thème amoureux, certaines phrases débordent et frisent l’emphase, dans Le Messager ponctuellement et dans la chute d’Ils sont partis vivre ailleurs.
- Enfin, tout cela rend le sens de certains passages assez difficile à saisir. Particulièrement, l’un de vos textes, Le voile déchiré m’a semblé un peu ésotérique. Les images sont belles mais je ne pense pas avoir saisi votre message. Peut-être est-ce plus visuel et sonore que signifiant ?
Bien sûr, je ne vous ai donné qu’un avis subjectif que vous lirez comme bon vous semble. Ce que je critique est peut-être ce qui fait la force de vos textes pour d’autres lecteurs, qui ne sont pas forcément ceux de notre revue. J’espère néanmoins que mon regard vous sera utile.
En vous souhaitant une bonne continuation dans l’aventure poétique,
Cordialement,