ce qu’il reste de neige…

« Tempête de Neige » exposé en 1842 de J.W. Turner
Snow Storm – Steam-Boat off a Harbour’s Mouth making Signals in Shallow Water, and going by the Lead

Dans la nuit, les grèves falunes
me soufflent des mots
épanouis au large
avec la brume
pour égérie
– des fleurs
– d’écume
qu’un rai de lune
accueille en rêve
avant que ne meure
le poème soumis aux heurts
des flots que les récifs des jours
amènent

.
Carmen P.

Les mots de l’air

Les pensées jouent insulaires
ainsi que le bleu de novembre
elles ponctuent les continents
nuageux qui dérivent en ciel
et d’île en île je transperce
en contre-haut les mots de l’air

ils retombent en lambeaux

et je les trie !

Le mot « silence » est trop bruyant.
« Rien » est trop abstrait.
« Tout » est son contraire.
Ne reste que la vague de l’impression sur laquelle surfe l’humanité… mais l’impression est trompeuse. Alors, couler ?
Tôt ou tard, il faudra bien consentir à la plongée, sans certitude de fond, sans l’espoir fou de ramener un quelconque trésor de cette descente dans les abysses. Abandonner jusqu’au mirage d’un mot qui n’a de précieux que l’apparence et qui sonne creux parce qu’ aucun regard ne le polit (il n’y a pas assez de nature dans un regard pour rendre à la beauté ce qui lui est confié)
Nous vivons dans un monde d’interdictions et de contradictions. Un monde de retenue ou de chaos qui tantôt nous lie, tantôt nous bringuebale. Ne nous précipitons pas à jeter la faute sur l’extérieur, notre monde intérieur est responsable de ces perturbations. Ces évènements que nous pensons subir, en toute innocence, ne sont pas épreuves extérieures dont nous pouvons nous désolidariser, ils ne s’amélioreront que par la conscience, intérieure.
Monde d’équilibre à réinventer à chaque pas, où toute théorie d’un jour est rejetée, le lendemain, par une théorie contraire, où tout jugement est forcément erroné, où il est souhaitable d’exercer sa pensée sans toutefois s’installer dans l’autosatisfaction devant l’illusion de notre propre clarté.
L’émotion est le socle sur lequel s’appuie la vie, oublieuse de l’instinct, mais ce socle est de sable et l’assaut répété des vagues conduit à son inévitable nivellement… Quand la nature aura accompli son oeuvre finale et qu’aucun objectif n’aura gardé la mémoire, cette non-existence s’ouvrira à la sensorialité de l’instant, mais y aura-t-il encore quelqu’un pour l’éprouver et accepter, enfin, de s’y perdre…. pour renaître à l’instant suivant ?

.
Carmen P.
Image : Martin Johnson Heade, Sunlight and Shadow.

L’oiseleuse

.
Un jour, femme secoue son tablier
.
Elle se libère, l’oiseleuse !
et ces miettes que la musique disperse
deviennent manne pour tous les piafs
qu’elle avait tant de fois contournés
dans les replis de ses pensées jupées
.
Ils s’ébruitent en cotillons ailés
et l’univers les duplique à l’infini
ces mots bleus qui l’ensorcellent !

.
C. P.
illustration : Andrey Remnev

Du sens poétique de la marche…

1

En début de promenade, elle aimait sentir la résonance du chemin sous ses talons. La voix du sol, disait-elle, lui renvoyait l’écho de ses tensions.
Là, au coeur de la nature, elle adressait au ciel une volée de bois vert, et c’est la terre qui lui donnait la réplique, pas à pas, jusqu’à ce que les intonations deviennent de plus en plus feutrées, jusqu’à ce que le rythme de la marche et l’écho de la terre se confondent dans un même ruissellement de temps.

.
Carmen P.
photo : Boris Pasmonkov

*

2

du sol
la vibration
lance l’impulsion
le long de l’arbre
vertébral
elle se propage
jusqu’à la note
de tête
puis se libère
aérienne
comme un sans souci
bohème
au bout d’un fil à plume
– le tuteur impossible
qui la brimbale –

la vie suppose
des équilibres
qui défient
le tassement
naturel
elle installe
notre statique
au son d’un rythme
intimiste

cette onde porteuse
est un mécanisme
qui au lieu de tourner
nous élongue d’une prouesse
nous maintient comme un cairn
– malgré le vacillement –
nous accorde au flux
que notre propre souffle
alimente comme phloème

.
Carmen P.
illustration : Lucia Griffo

Melting-pot

*

Réalité

accepter de regarder
ce qui ne peut être
qu’un rêve en pyjama
travesti au goût du jour

*

Peu importe la route
la ligne continue
nous tire vers l’infini

*

Les volets n’étaient pas fermés
et la maison, au portillon
toujours ouvert, paraissait
accueillante
en ce soir d’Halloween….
L’enfant arrivé en dernier
n’a eu que du chocolat
Il espérait le goût fruité sucré !
Il aurait dû venir plus tôt
avant que ne tombent
les dernières mirabelles
et que ne se dessèchent
les framboises tardives !
Fructose ou acidulé ?
Ni l’un, ni l’autre pour le petit diable
qui est reparti avec une tête de circonstance.
Les chats, perturbés, détalaient devant lui
dans l’obscurité qui leur est familière…

*

Est-ce toi, poétesse, qui épies le passage des vers ? Ne serait-ce pas plutôt les mots qui, te voyant exsangue au creux d’un songe, viennent combler de leur couleur, de leur matière, la pâle heure en manque de poésie ?

*

concevoir
qu’on se voit
incomparables souhaits
un oui grandit
en terre qu’on vit « able »
et tout s’amoure – ailleurs !

.
Carmen P.
illustration : Nicoletta Tomas Caravia

Deux mots

Prenons deux mots, « croisée » et « fleurs ». Ces deux mots, pris isolément, ne sont pas beaux. Ils peuvent cependant le devenir, du fait de leur association. Allant par deux, .Ils se dynamisent l’un l’autre en créant des images sur l’écran de notre mental quand la sensibilité l’éclaire ou lorsqu’ un artiste, un poète, ou une main innocente, les installe, nous invitant à les considérer sous l’angle original de son propre regard. (Ô combien je préfère la main innocente !).
Le mot « croisée », seul, tombe dans la conscience comme le ferait une bille de plomb dans l’océan, il sombre et se perd, mais si le mot « fleurs » – et ces fleurs peuvent être fanées, cela n’a aucune importance – vole à son secours, tous deux restent en surface et surnagent, ils gagnent en légèreté et commencent à voguer dans un monde de visions intimes. Ils rejoignent en quelque sorte notre source où se rassemble tout ce qui nous construit dans le patient épuisement de tous les instants. L’image belle qu’on souhaite conserver devient comme une goutte de rosée dans le silence, et même si celui-ci l’absorbe, elle demeure ce « rien » qui le remplit de saveur.

.
Carmen P.

Jeu 2 voeux

Je fixe l’horizon
alors qu’en périphérie
tout bouge, tout s’accélère
Je ferme les yeux
.
J’insiste en proie au vertige
malgré quelques cillements
j’échoue à l’accommodation
Je ferme les yeux
.
Démunie entre deux mondes
affligeants, derrière mon mur
de ciel et de peau, j’exhume en songe
une abstraction poétique
.
Aux antipodes du réel factice
et de quelqu’ idée pas plus crédible
je fais un choix coquecigrue
j’ouvre les yeux et joue ma muse
.
Au dé des exigences terrestres
« Pierre, feuille, ciseaux ! » dit l’enfant
sans oublier le Puits, si tu veux bien,
testons nos réflexes et vivons de mots !
.
Mon parapluie égraine les doutes
et sous l’averse enchanteresse
j’ouvre les yeux : si tout s’écroule
je lancerai encore… un vœu !

.
C.P.
photo Au pays de Candy

Nudité

Je suis tombée sur une vieille photo et une amie m’a fait remarquer la ressemblance avec Colette. Alors je vous mets les deux photos ainsi que deux textes :
– un texte de Colette, extrait du livre « Nudité » des éditions Lanore, où l’auteur(e) qui a bien connu le monde du Music-hall fait part de ses observations sur la nudité féminine
– un poème que je viens d’écrire et qui aborde le même sujet d’après mon expérience, la pratique du dessin d’après modèle vivant

*

On entendait des rires, quelques-uns trop gros… Mais dès que Bouboule, d’un tour d’épaules, avait laissé glisser jusqu’à sa taille son kimono, personne ne riait plus. Car les sommets extrêmes d’une perfection n’inspirent que la gravité. Devant les deux demi-pommes sans défaut, égales, harmonieusement distantes, soulevées par un souffle paisible, couronnées d’une lueur à peine rose, il n’y avait plus dans la loge que des contemplateurs muets et rêveurs.

Colette

*

L’innocence est au modèle.
La pudeur est à la jardiniste des corps.

La distance perd toute mesure
entre les formes dévoilées
et le regard qui s’en saisit.

Les courbes se mirent en traits
sans que l’œil jamais ne quitte son modèle.

L’âme se coule dans les vides
et l’arrondi du bras, suspendu
dans la pose – digne et nue –
s’exprime – trace de pierre noire –
rêvant appeau sur le papier vierge.

L’esquisse éprouve la fidélité
à chaque coup de crayon.

Créatrice, elle trace sa route sur une feuille
en suivant des formes qui lui sont étrangères
elle consacre sa plume à l’intimité de l’autre.

.
Carmen P.

Pommes

Surprise pour l’enfant qui aimait
déguster « the big one », la saison
des pastèques n’est plus…
Voici la ronde des pommes
et son carrousel de saveurs.
Il y en a tant au verger
et encore plus dans les caisses.
Des fruits bien rouges à en tomber
à califourchon sur les citrouilles,
si les oies ne volent pas, petit,
ta pomme avant que tu la croques !

.
Carmen P.

Ile est un jour

La vie n’est pas toujours rose, malgré l’amour – qu’il ait trouvé refuge sur une ile ou sur une aile.
Ile est un jour que les flots pressent. Aile est une promesse d’infini que la tourmente met en doute.
Ile ; si toujours elle se dresse, en apparence insubmersible, elle accuse le coup des tempêtes répétées.
Aile ; un tuteur vulnérable sur lequel tangue la barque des amoureux confrontés à l’hostilité des éléments.
.
Alors je cite un auteur de talent car mes mots deviennent pudiques… une plume étrangère délie la pensée
et ouvre l’accès à une rumeur moins plaintive, à une matière émotionnelle que l’espace aurait poli,
lui donnant le brillant de la maturité, l’aspect d’une épreuve assimilée par le temps !
.
« La souffrance n’est pas bonne à raconter, mais, bien que ce soit toujours la même chose, il est assez curieux de voir vivre le monde.
Je vous écris ceci comme une de ces lettres égarées qui, n’ayant pas été lues par leur destinataire unique, l’ont été par n’importe qui.
Après tout, cela est souvent préférable, et nous n’aimons jamais personne plus que n’importe qui. »
Paul Gadenne dans Les Hauts-Quartiers
.
Suivent deux poèmes à prendre pour ce qu’ils sont. Des mots échappés d’un esprit qui sans aucun doute se raconte des histoires auxquelles il croit.

*
Si ton coeur mon amour
ne fonctionne plus qu’à vingt pour cent
la vie, pourtant, nous espère entièrement.
.
Pour elle, il n’y a ni demi-ni quart-de mesure
car ton coeur mon amour
sait tendre le fil sur lequel tous deux nous marchons
.
— funambules dans l’ignorance de la gravité —
.
Cette toile que tissent nos pas mord la nuit
et déchire une constellation où palpitent les étoiles
au rythme lent de l’Uni vers Qui nous guide.

.
C.P.

*
Notre cœur, un jour, devient terre d’accueil
elle incorpore l’empreinte de l’être aimé.
l’ amour trouve refuge hors de lui
qu’il s’éloigne…
un espace
en nous
veille
que l’autre a ouvert
.
La jalousie est pauvreté de l’âme
qui n’a pas confiance
au nid qu’elle a tapissé
l’aimé – pourtant – revient toujours au colombier
.
L’errance finit là où commence l’amour
on s’autorise la découverte d’une terre
que l’on prenait pour une île et qui s’avère
devenir continent sous nos alizés – ou plus encore –
.
On confie un cristal à l’amour d’une vie
pour qu’il devienne la pierre angulaire
de notre tour ascensionnelle et on s’exile
de soi-même au risque de ne plus être
sur orbite si l’astre, un soir, nous ignore
.
Retrouvons alors notre centre
nous en détenons les codes :
notre propre système solaire
à l’intérieur de nous – aime !

.
Carmen P.
photo : Christy Turlington by Peter Lindbergh