Prince téméraire 7

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Quelques semaines s’écoulèrent, et le bruit se propagea dans le royaume que le roi souffrait d’un mal étrange qui affectait ses yeux. Il faut dire qu’à chaque fois qu’il passait devant la mansarde où vivait maintenant sa fille, il feignait de ne rien voir. Quand il croisait son enfant  dans les allées du parc ses yeux se brouillaient de larmes… et ces rencontres étaient inévitables, tant et si bien que le voile de tristesse devint de plus en plus opaque, il avait l’impression de s’enfoncer, au fil des jours, dans un tunnel à l’obscurité croissante. Il consulta les plus célèbres médecins, mais aucun d’eux ne put diagnostiquer le mal, ils lui prescrivirent des remèdes qui n’améliorèrent pas sa vision.  Arriva un curieux personnage que les médecins prirent pour un charlatan ; il affirma que le Roi n’était pas vraiment malade. Certes, il ne voyait plus mais sa cécité  n’était qu’une réaction due à sa sensibilité et elle répondait à son désir profond de ne plus voir certaines choses. Seul un aliment produit par un animal  innocent, vivant dans un coin de nature préservé pourrait lui rendre son aptitude à voir la réalité, le libérant ainsi du trouble qui perturbait son jugement. À sa connaissance seul le lait de gazelle avait ce pouvoir.

— Que les plus vaillants chevaliers aillent me chercher ce lait, dit l’infortuné roi qui ne savait plus à quel saint se vouer.  

En entendant les rumeurs qui annonçaient le départ imminent d’une délégation  de chevaliers, la princesse alla trouver son père.

— Permettez, Père que mon époux aille vous chercher ce lait !

— Comment ton misérable mari, choisi sans mon consentement,  pourrait-il prétendre venir à bout d’une telle tâche. Les jeunes gens bien nés m’ont prouvé leur fidélité à maintes reprises, ils me rapporteront le remède. Ton époux est un usurpateur ! Jamais je ne le chargerai d’une telle mission de confiance ! dit le Roi en détournant le visage pour ne pas risquer de croiser le regard de la Princesse.

— Père, je vous en prie, permettez à mon époux de prendre un cheval. Il est plein de ressources et d’imagination. Je crois en lui plus qu’en tout autre, et je souhaite votre guérison… Ignorez-moi aussi longtemps que vous le voulez, mais par pitié donnez-vous cette chance supplémentaire, Père !

— Soit, consentit le Roi, tu ne saurais me mentir, mais ne reste pas au château, ta place n’est plus ici, retourne dans ta mansarde.

On octroya à Jovan le plus mauvais cheval, de sorte qu’il dut partir bien avant les autres cavaliers. Il laissa sa monture trotter sur un petit rythme fatigué jusqu’au champ des batraciens, qui n’était autre qu’un grand marécage. Il longea les berges boueuses, mais l’animal glissa et finalement s’embourba dans l’eau malsaine…. il y entraîna son cavalier. Jovan s’évertua à tirer l’animal hors de l’eau, en vain. Quand les autres chevaliers arrivèrent sur les lieux, ils le découvrirent  enlisé jusqu‘aux genoux, soufflant et tirant essayant de toutes ses forces de dégager sa rossinante du pétrin dans lequel elle l’avait précipité. Ils eurent  envie de rires, mais ils étaient nobles, ils restèrent donc polis.

— Comment ? Toi aussi tu veux tenter ta chance et aider le roi. Bon courage l’ami !

Leur politesse n’était que de façade, s’ils avaient eu un tant soit peu de compassion ils auraient aidé Jovan à hisser son cheval sur la terre ferme.

— Pauvre bougre, pensaient-ils en leur for intérieur, te voilà dans un beau pétrin ! Quelle    aubaine pour nous, un rival de moins ! Et tant que tu y es, tu n’as qu’à y rester, la petite princesse est bien trop belle pour toi !

Dès que les cavaliers eurent dépassé la ligne d’horizon, Jovan sortit du marais, il tira de sa poche un poil de son cheval ailé, le brûla et son blanc coursier apparut aussitôt. À deux, ils parvinrent à sortir le canasson du bourbier, puis le jeune homme l’attacha à un arbre.

Jovan  ôta ses guenilles en toute hâte, il en fit un baluchon qu’il déposa auprès du vieux cheval, puis il sauta sur le dos de son fantastique destrier.

Quelques coups d’ailes et il se retrouva au Pays rouge et bleu des gazelles.

Il avait emporté  deux flacons de cristal ; il emplit le premier de lait de gazelle, le second de lait de phacochère.

Sur le chemin du retour il croisa les chevaliers qui ne reconnurent pas en ce jeune homme éblouissant le jardinier du Parc Royal.

— Où allez-vous messieurs ? leur cria-t-il en les apercevant.

— Nous allons chercher du lait de gazelle, c’est la potion qui guérira les yeux de notre roi, répondirent-ils. 

— Inutile d’aller plus loin, je peux vous procurer ce breuvage. J’en ai toujours sur moi.

— Quelle chance ! Dis- nous ton prix l’ami, nous te l’achetons. 

— Un prix ? Croyez vous que j’aie besoin d’argent ? Comme vous pouvez le constater l’or et l’argent ne me font pas défaut. Je vous donne ce flacon de lait de gazelle gratuitement. En échange de ce service, permettez que je vous marque la cuisse de mon sceau d’or. Ce sera discret et inoffensif. Vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Un poinçon d’or vaut mieux que les morsures des scorpions que vous ne manquerez pas de rencontrer sur votre chemin ! Ne craignez rien, je ne suis pas le Diable, dis le jeune homme en accompagnant ses paroles d’un sourire enjôleur. 

Les chevaliers hésitèrent, mais la durée du voyage qu’il leur restait à faire et la perspective de dangers  qu’ils n’étaient pas habitués à côtoyer leur fit juger insignifiant le fait d’avoir une marque d’or sur la cuisse. D’ailleurs ce tatouage pourrait même devenir signe de charme auprès d’une certaine princesse si l’un d’eux parvenait à l’épouser, avec le consentement du Roi.

— Soit, acquiesça le plus âgé des cavaliers qui avait remarqué que personne dans les parages ne les observait, et il découvrit sa cuisse.

Ainsi fut fait. Jovan marqua chaque chevalier de son sceau, puis il leur remit le flacon de lait de phacochère, gardant pour lui le lait de gazelle.

Les cavaliers firent demi tour.  Ils ne remarquèrent pas le cheval ailé quand celui-ci survola leur groupe.

Le jeune homme rejoignit l’haridelle que lui avait attribué le Roi, enfila ses vieux vêtements, et attendit que les cavaliers arrivent à son niveau.

Quand les chevaliers virent le jardinier dans la même fâcheuse posture qu’à l’aller, ils se  moquèrent de lui ouvertement, ne ménageant pas leurs sarcasmes. L’infortune rencontre rarement la pitié sur sa route ! Ah, les nobles personnages que voilà !

La joie des tristes Sires fut de courte durée. Tout comme la belle assurance qu’ils affichaient en passant les portes de la ville elle se dissipa quand ils comprirent qu’ils avaient été bernés. En effet, lorsqu’ils versèrent le lait dans les yeux du roi, celui-ci au lieu de ressentir le soulagement attendu, poussa un cri de douleur. Le lait de phacochère lui brûlait horriblement les yeux. Le guérisseur, accouru aux cris, considéra le flacon et décréta que la potion rapportée par les chevaliers ne pouvait  en aucun cas être du lait de gazelle.

Ce manquement à leur mission avait tout d’une trahison, et n’allait pas rehausser leur prestige, aux yeux du Roi, fût-il aveugle !

La princesse intervint une nouvelle fois auprès de son père, elle le pria d’accepter de tester le lait que son mari, qui venait d’arriver, lui avait rapporté.

— Que me racontes-tu là ? s’exclama le roi. Mes plus fidèles amis sont allés au bout du monde et n’ont pas trouvé de lait de gazelle, comment veux-tu que ton mari, qui n’a réussi qu’à s’embourber au champ des batraciens, d’après ce qu’on m’a rapporté, puisse être en  possession de mon remède ?

 Vous pouvez toujours essayer, père, insista la jeune femme. Que risquez-vous ?

— Ah fille entêtée, apporte-moi ce lait !  Je doute qu’il me soigne… nous verrons bien ce qui arrivera.

La princesse sortit de sa poche le précieux flacon, le réchauffa dans ses mains avant de faire couler quelques gouttes dans chacun des yeux souffrants de son père. En dépit de ses doutes le roi recouvrit la vue.

— Ma fille, tu es mon ange gardien, s’écria le Roi, tu m’as rendu la vue ! Je ne saurais supporter plus longtemps de te voir vivre dans une cabane. Retourne dans tes appartements,  avec ton mari, mais arrange-toi pour que jamais il ne paraisse devant moi !

Carmen P.

À suivre….

 

Prince téméraire 2

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Résumé : Un jeune homme pauvre a quitté la maison de ses parents en espérant trouver fortune. Après une longue et pénible marche, il arrive devant un château. Le maître des lieux lui ouvre la porte et lui demande ce qu’il vient chercher ici.

— Un gîte et un couvert, Monseigneur. Je suis épuisé d’avoir tant marché depuis des jours ! En échange de votre hospitalité, si vous me le permettez,  je vous servirai tel un domestique et je vous en serai reconnaissant tel un fils.

— Vois-tu, déclara le vieil homme après avoir réfléchi, je pourrais te prendre pour fils, mais il faudrait avant cela que tu te couches sur le ventre et que tu supportes sans broncher que je  t’administre des  coups de bâton. Ensuite, en fonction de ton attitude, il se pourrait que je  répondre favorablement à ta proposition. Le courage dans l’épreuve est la première qualité que j’attends de celui qui souhaite me succéder. Je n’ai pas de fils et j’aurais bien besoin des  services d’une personne de confiance. Acceptes-tu  l’épreuve ? Si tu la refuses  je ne t’ouvrirai pas ma demeure et tu pourras rebrousser chemin.


—  Donnez m’en dix si vous voulez, mais acceptez de me prendre pour fils, répondit le jeune homme.

Il n’avait aucunement le désir d’endurer la souffrance, il acceptait l’idée de se prêter à ce qu’il considérait comme un jeu sadique simplement parce qu’il était en mesure de duper le vieil homme. Il avait remarqué des sacs bourrés de paille, il s’empara de l’un d’eux et  le mit sur son dos. Ainsi protégé il s’étendit sur le sol.

— Es-tu prêt ? interrogea l’aveugle.

—  Oui, répliqua le jeune homme d’une voix déterminée. 

Le vieil homme leva son bâton et le laissa retomber sur sa victime. Le choc fut vigoureux, et retentit en même temps que le cri de douleur qui l’accompagnait.

 — Aïe !

Même geste violent répété.
 

— Aïe, Aïe !

Encore une fois.
 

— Aïe, Aïe, Aïe, vous allez me tuer, ne frappez pas si fort ! Stop ! Trois coups c’est bon, on en reste là.
 
Sur ces paroles le jeune homme se releva, envoya le sac de paille au loin d’un coup de pied. Le vieil homme le prit par les épaules, tâta son dos comme s’il voulait vérifier que ses coups n’avaient occasionné aucune fracture, puis il le serra dans ses bras. Ensuite il lui confia son trousseau de clefs après en avoir ôté deux.
 
—  Ces deux-là me sont réservées. Après le repas, tu pourras commencer à explorer les salles dont je t’ai confié les clés… Tu as de quoi t’occuper et t’émerveiller mon fils !

Piqué par la curiosité, le nouveau protégé s’empressa d’ouvrir  chaque salle dont il avait la  clef. Dans la première il découvrit des objets en argent. La seconde contenait des monticules de pièces d’or. La troisième cachait des coffrets emplis de perles fines. La quatrième était l’écrin géant des rubis. Au fur et à mesure de ses explorations le jeune homme allait d’émerveillements en éblouissements, les portes abritaient des joyaux, tous plus précieux les uns que les autres. Dans la dernière salle dont l’accès lui était autorisé, brillaient des diamants.

Que pouvaient contenir de plus précieux encore les pièces interdites ?

 Il manifesta une joie toute juvénile face à tant d’abondance. Espérant que son enthousiasme allait toucher le vieil homme, il usa de mille stratagèmes pour tenter de convaincre son mystérieux bienfaiteur de lui accorder sa confiance et… les deux clés restantes du trousseau. 

Rien n’y fit. Sous sa barbe le vieil homme souriait. 

—  Plutôt que de me questionner inutilement, va rassembler mes moutons, cela fait si longtemps que je ne les ai pas sortis. Ils ne connaissent plus le goût de l’herbe verte des prés. Tu peux les conduire partout, mais un conseil, évite le vallon des fées. L’herbe y est particulièrement tendre, mais sache que ce ne sont pas des fées que tu y rencontreras mais des sorcières. Elles sont trois et se jouent des hommes, crois moi, je sais de quoi je parle, ces trois folles m’ont arraché la vue. 

Le jeune homme glissa une flûte à sa ceinture, saisit un bâton et alla au bercail où attendait le troupeau. En avançant vers les pâturages le berger se demandait  pourquoi il priverait les brebis de l’herbe la plus tendre. Il était sans crainte, fées ou sorcières ne l’intimidaient pas. N’avait-il pas déjà gagné la confiance d’un vieil homme hargneux qui l’avait  accueilli par des coups de bâton !  Les bêtes, elles, étaient fébriles et affamées, après tant d’années où elles avaient dû se contenter d’herbe sèche.  Elles aspiraient à savourer l’herbe la plus grasse, la plus tendre, la plus abondante et elles s’y dirigeaient spontanément. Les retenir, les conduire dans une autre direction relevait de l’exploit. Jovan n’avait pas envie d’une épreuve de force avec des animaux qui savaient exactement ce qui était bon pour eux. Peste soit des recommandations qui sèment le doute dans les esprits !   

C’est ainsi que les moutons purent s’en donner à cœur joie, aucun ongulé n’éprouva le besoin d’aller chercher fleurette plus douce ailleurs que sur ce vallon lumineux, et le berger, lui, put s’asseoir tranquillement à l’ombre d’un arbre. Il sortit sa flûte et entama un air joyeux.

Attirées par ses notes, trois jeunes sorcières arrivèrent bientôt et elles se mirent à danser, frénétiquement. Après une première danse, elles hélèrent le jeune homme.

— Eh, joli pastoureau, on aimerait jouer avec toi, si les défis ne te font pas peur !

Tu vas jouer de la flûte et nous nous danserons. Si tu tiens le coup plus longtemps que nous, ton désir le plus cher sera exaucé, si c’est nous qui gagnons, tu devras nous céder tes yeux. 

— Je suis d’accord, répondit le berger qui  dans son village n’avait pas d’égal  dans l’art de jouer de la flûte, mais il se garda bien de s’en vanter auprès des  sorcières.

S’ensuivit une folle sarabande ; le garçon jouait, les fées dansaient. Il joua de plus en plus rapidement, les fées suivirent le  rythme… un certain temps, mais danser de plus en plus vite ne tarda pas à les épuiser. Elles en avaient pourtant de l’énergie les diablesses, mais Jovan avait plus de souffle qu’elles n’avaient de pouvoirs !

— Arrêêête…on n’en peut plus ! supplièrent-elles, haletantes. C’est à peine si elles parvenaient à parler.

— Je cesserai de jouer, Mesdames, seulement si vous me rendez la vue à mon père. Vous le connaissez je crois ? 

— Est-ce cela ton désir le plus cher ? demandèrent les sorcières étonnées.

— C’est mon désir et vous n’avez pas à discuter ou  tenter d’en connaître la raison. J’ai relevé le défi. Je l’ai gagné. Vous devez exaucer mon souhait aussi étrange qu’il vous paraisse. 

— En effet, gémirent-elles, alors va près du vieux chêne, tu apercevras une grotte, c’est notre demeure. Ce que tu cherches est sur l’étagère. Tu verras deux oranges. Emporte-les et donne-les à ton père, quand il les aura mangées, il recouvrira la vue. Par contre, en entrant chez nous reste silencieux, n’effraie pas nos enfants, elles risqueraient de prendre peur et le Diable seul sait ce qu’elles pourraient faire.

Le jeune homme n’attendit pas davantage d’explications, il partit aussitôt. En courant, il se précipita vers la grotte. Toujours courant il entra. Il  courait et frappait le sol et criant. Il vit les deux oranges d’or et s’en saisit. Il sortit toujours courant, frappant et  hurlant à pleins poumons. Les enfants des sorcières, réveillées n’eurent même pas le temps de voir qui était entré, elles se mirent à hurler aussi et, prises de panique, sautèrent dans le feu… Un peu plus tard quand les sorcières arrivèrent chez elles, elles retrouvèrent leurs filles  carbonisées… et toutes sorcières qu’elles fussent, elles se tordaient de douleur en gémissant :

— Malédiction, crièrent-elles, nous avons tellement semé la terreur dans la région que le sort nous punit horriblement en retour ! Il ne nous reste plus qu’à fuir cette grotte de malheur !

Toutes trois partirent. En les voyant de loin, on ne reconnaissait plus les fées agiles qui si joliment dansaient. Le chagrin les avait métamorphosées en vieilles femmes que le poids du chagrin courbait. Sans doute marchent- elles encore, car leurs petits pas fatigués n’ont pas pu  les conduire bien loin. D’ailleurs, nulle part sur terre n’existe pour elles, maintenant,  un  lieu où  danser leur soit  possible.

 

à suivre…