Une aube comme une autre (ou presque)

 

 

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Une aube comme une autre (ou presque)

 

 

 

Perdez-moi à l’aube des mille et une nuits
Rouge émoi en dédales d’histoires
Jeux d’alouettes à l’orée des miroirs

 

du puits noir aux déco-vertes  sans crainte l’enfant
se jette dans la fosse des mondes flottants

 

Elle saisit chaque mot de la corde à nœuds
Liane née parmi les racines de mangrove
Frivole elle s’envole vers son Land Love

 

 Carmen P.

 

Vues du Sol de Frédéric Halbreich

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Le livre :

 

« VUES du SOL », de Frédéric Halbreich

Editions : La lettrine Culture

Collection : Les poètes de l’imaginaire

 

Un recueil de 52 pages qui rassemble 39 poèmes,  tous centrés. Chaque vers commence
par une majuscule.

L’éditeur présente ces VUES du CIEL « comme autant de clichés improbables dans une époque qui ne l’est pas moins ».

 

Mes impressions de lectrice :

 

Frédéric Halbreich est peintre, il nous offre ici ses créations poétiques.

À première vue, cette poésie peut paraître aseptisée car l’artiste en a retranché tout le superflu.

J’y ai lu une fascination pour le vide, un vide souvent empli de silence que seules, 
l’exploration par le cri, la puissance vibratoire d’une couleur ou l’énergie  du mot juste peuvent saisir.

Le vide n’y est jamais figé, l’empreinte du poète provoque sa mobilité et ses ondes 
vibrent jusqu’à  l’oreille sensitive du lecteur.

 

Poésie des couleurs qui nous laissent imaginer les tableaux du
peintre :

« La tentation laquée / Épelle un cri / Tout entier contenu / Exprimé dans l’éclat / Comme une luisance  »

Les couleurs dansent leurs sensations aux détours des vers : le monochrome est illusion, les brillances sont rythmiques, le jaune
est harmonique à moins qu’il n’évoque le son du jaune glacé, le silence est bleu, la luminescence est noire, la blancheur parfumée…

 

Chaque poème, comme une lame chauffée à blanc, œuvre avec la fulgurance de l’éclair.

L’auteur laisse le fil des mots ouvrir une brèche par où s’insinue  la poésie jusqu’au
noyau de l’émotion.

Je qualifierais cette écriture de foudroyante !

Les poèmes de Frédéric Halbreich partent comme des flèches, certains mots glissent d’un vers au suivant comme pour éprouver le
meilleur alignement. En général je traque les répétitions, mais là ces mots répétés n’en sont pas.

 

Je cite l’auteur : «  Rien ne trouble le fil / De la lumière / De la ligne / De l’esprit / Car l’esprit est
une droite / Lancée vers la lumière  ».

Vous l’aurez compris il y a du mouvement  dans cette poésie, elle palpe « la
proximité de l’intention », glisse « sous le silence tactile », « apaise l’ombre ».

Le vent semble la guider : «  le vent nu, le vent aux nocturnes dansées, le vent débouclant de saines envies, le vent
souffrant, le vent qui enfin apporte le temps des jappements déserts. »

En lisant ce recueil on voit la vie se déployer sous l’alchimie des mots et le temps passe « qui appartient à la musique de
l’absolu ».

Tout est toujours à recréer dans un monde où « Le seul amour qui gagne / C’est celui du jour qui vient ».

 

J’ai aimé cette lecture qui satisfera les amateurs de poésie les plus exigeants.

 

 

… et l’oiseau voyage

 

 

 

CouvCarmen

 

 

Un article sur « L’oiseau ivre de vent » a été édité dans le magazine Nous, Vous, Ille du Conseil général d’Ille-et-Vilaine

(N°98 . juillet-août-septembre 2012), à la page 51 où figure une sélection de livres envoyés par les auteurs ou éditeurs de Bretagne.

 

Voici la critique du livre (critique présentée avec photo de l’ouvrage) :

 

Poèmes

Ancienne professeure des écoles, Carmen Pennarun s’est tournée vers l’écriture.

En éditant ses poèmes à compte d’auteur, elle fait le pari de toucher quelques lecteurs que ce genre ne rebuterait pas.

Elle devrait y parvenir tant elle sait jouer des mots et des sons.

Mais ce qui frappe le plus, c’est la puissance d’évocation de ses vers.

 

 

.

Paul et Fanny (fin)

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Paul et Fanny

 

 

… Cette décision avait affolé sa mère, avec une tendresse anxieuse, toute
maternelle, elle était parvenue à le conduire chez le médecin, et de fil en aiguille, l’apathie causée par les anxiolytiques aidant, il avait été contraint de voir un spécialiste. Ensuite… il
avait découvert à cet état de « malade » quelques avantages.  Mais le jour où il vit pour la première fois Fanny, il fut pris de
panique ; toute cette vie confortable dans laquelle il s’était installé s’effondra comme monticule d’ordures, il crut entendre sa conscience ricaner de sa petitesse, et ce rire descendit en
cascade le long de sa colonne vertébrale. Tête vide, frissons, jambes en coton, est-ce cela l’effet coup de foudre ? 

 

Elle était trop bien pour lui. Il n’était pas préparé à une telle rencontre, s’il 
avait pensé cela possible, il ne se serait pas laissé gagner par l’apathie, il n’aurait pas sombré dans cet état qu’on appelle ‘ « longue maladie »

 

Ainsi durant des mois il observa Fanny… Il voulait voir si, en sa présence, son corps allait réagir à chaque fois fébrilement. Il
se demandait si cette jeune-fille allait être capable de l’émerveiller chaque jour… si tel était le cas, cela méritait qu’il revoie son schéma de vie et qu’il ose pour elle, pour eux , se lancer
dans la machine à broyer l’humain qu’était le travail à ses yeux. C’est ainsi qu’ il s’est imprégné de la présence de Fanny, qu’il s’est 
« acclimaté » à elle en vivant durant un certain temps dans sa proximité… oh, il ne l’avait jamais  dérangée, il avait su se montrer discret
et il espérait avoir éveillé sa sympathie…

 

Il lui parlerait demain. Il lui proposerait une sortie le dimanche suivant. L’heure était venue de déclarer ses sentiments.
Peut-être n’attendrait-il même pas le lendemain, si la vie le permettait !

 

 

Sa première journée de travail touchait à sa fin et c’est un Paul boosté par de bonnes résolutions qui enfourcha son vélo. Il
était trop tard pour faire un arrêt au bar, mais avec un peu de chance et en pédalant vite, il pourrait peut-être saluer Fanny après qu’elle ait abaissé le volet roulant de la porte du Bar du
centre. C’est cela, Il la surprendrait dans la venelle qu’elle emprunte toujours en sortant par l’arrière cour. Ah, voir Fanny sans attendre l’ouverture du lendemain ! Il s’en réjouissait
d’avance.

 

Il fonça au rythme d’une échappée suicidaire, il se voyait déjà descendant de vélo sans freiner, jetant sa monture au fossé, et
sans perdre le moins du monde l’équilibre, dans un bel envol calculé, se présenter face à sa belle rayonnant d’une journée harmonieuse de création de mandalas.
Mais il ralentit à l’approche du bar, Fanny, il la voyait de loin, elle n’était pas seule, elle parlait avec un homme, un homme qu’il ne
connaissait pas, mais dont il aurait pu flairer les intentions à dix kilomètres à la ronde, un homme jeune en bermuda blanc et chaussures bateaux, un touriste quoi, qui ne quittait pas sa Fanny
des yeux en lui parlant et, il ne rêvait pas, il  lui posait même  la main sur l’épaule. Paul ralentit
suffisamment son allure le temps de saisir au passage l’expression du visage de Fanny ; elle souriait et son teint était rose.

 

Paul avait bien pressenti l’urgence dans la journée, mais au quart d’heure près  et à
cause de sa timidité maladive, un autre lui ravissait sa déclaration.

 

Le sourire de Fanny destiné à l’autre, c’était le diable qui inscrivait la mort sur les murs de sa vie… aucune peinture, aucun
amour, aucune autre présence ne pourrait en effacer les tags… il se sentait marqué au fer blanc dans sa chair, il serait banni, à vie, du clan des prétendants au bonheur.

Un peu plus loin,  il faillit aller tout droit au lieu d’amorcer le virage et il se
fit klaxonner par un véhicule. Fanny l’avait-elle remarqué ?

Il avait encore raté une occasion d’être digne, demain il alimenterait encore les potins scabreux des habitués du
bar.

La tête en vrac, les guibolles en plomb…  à peine arrivé chez lui, Paul se jeta sur
son futon  La tête sous la couette, ne plus penser… dormir.

 

— Est-ce que je peux ?

— ….

— Paul, est-ce que je peux rentrer ?

— Qu’on me foute la paix ! grogna Paul en se rétractant encore plus sous la couette.

— Paul… c’est moi Fanny !

— Fanny ! s’exclama Paul, en émergeant d’un bond de son volumineux duvet.

C’était bien Fanny qui se tenait dans l’entrebâillement de la porte de sa chambre et Paul se félicita de ne pas avoir pris le
temps, comme il le faisait habituellement, de se mettre en tenue d’Adam pour dormir.

— Mais Fanny… que fais-tu là ? Comment as-tu eu mon adresse ?

— J’ai fait du stop. Comme tu as failli aller dans le décor, je me suis inquiétée…

Tu ne répondais pas, alors je me suis permis d’entrer, tu avais laissé ta porte entr’ouverte.

— Tu t’es inquiétée pour moi, réellement !?

— Bien sûr. Tu te réjouissais tant à la perspective d’aller travailler, j’ai cru que ta journée s’était mal passée, et je n’ai pas
voulu attendre demain pour avoir des nouvelles. C’est Maurice qui m’a donné ton adresse.

— Maurice !?

— Oui, qu’est-ce que tu crois, c’est un brave sous ses airs goguenards. Il te met en boîte mais il était rudement content,
aujourd’hui, de te voir bouger. Tout comme moi, ajouta-t-elle en rougissant.

 

Et elle rougissait pour lui, Paul… Ah, Fanny !

 

Fanny n’avait plus besoin de dire un mot, Paul avait compris… les tags sur ses murs de tristesse s’effacèrent avec ce
sourire  et Fanny remarqua enfin, sur le mur derrière le lit, un poster géant représentant la Vénus de Botticelli. Tout était parfait, elle défit sa
chevelure, des violettes tombèrent de ses mèches

 

Fanny était la fleur au centre du mandala de la vie de Paul. Il l’avait su au moment où il avait placé le delphinium au cœur de sa
plantation cet après-midi.

 

Cette nuit là, un autre mandala prit forme sur le futon… et le lendemain ce serait 
ensemble que Paul et Fanny arriveraient  au bar du centre. Paul imaginait déjà les sourires sur les visages des trois
« intrigants ».

 

Fin

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Un mandala pour Fanny 

 

« Ça m’apprendra ! » songea Fanny en débarrassant la table que les touristes venaient de quitter. « On ne
parle pas aux étrangers comme aux gens du village. Je me suis montrée bien familière, et d’après son attitude je ne serais pas étonnée de voir revenir ce jeune homme au bar. C’est sans doute
super pour le patron, mais en ce qui me concerne  ça ne laisse rien augurer de bon ! Que de l’embarras, car je ne vais certainement pas m’embarquer dans une histoire de cœur à la
suite d’un simple échange de regards. Maurice a raison, je dois garder la tête froide ! »

 

Fanny pour se distraire de ses pensées se laissa absorber par la  série qui passait
sur l’écran de la TV. Son cœur était à prendre, mais tous ces signaux qu’il envoyait à son corps défendant perturbaient la jeune fille qui était d’un naturel discret. C’était avant tout pour
elle-même qu’elle prenait soin de son apparence, dans les moindres détails, pour elle, qu’elle vivait l’épanouissement féminin  de sa jeunesse,
qu’elle exhalait la  joie innocente de se sentir bien dans sa peau. Elle était coquette, d’accord, quoi de plus normal. Elle était coquette, point
barre, coquette  mais jamais provocante. Elle ne tenait pas à se justifier, mais elle n’assumait pas franchement sa féminité. Cette beauté qu’elle
avait façonnée patiemment  jusqu’aux ongles de ses doigts de pieds, elle s’ingéniait, paradoxalement,  à
la camoufler ensuite. Cela lui demandait une  attention toute particulière de dissimuler ses charmes sous des vêtements qui masquaient sa silhouette
aussi bien que l’aurait fait une burqa ! Mais tous ces efforts étaient inutiles, plus elle s’effaçait, plus elle attirait les regards. … Elle regarda, pensive, la table restée vide dans un
coin de la salle, celle où Paul avait installé son salon de lecture, un espace de calme, à l’opposé du coin enfumé et  des joueurs de
trut

 

Elle revoyait les expressions de Paul, visiblement perturbé par l’incident de ce matin. Sa sollicitude à son égard  avait troublé Fanny. Elle  avait découvert aujourd’hui un Paul qu’elle ne soupçonnait pas, un Paul transformé par
la perspective de travailler. Le jeune-homme nouveau, l’authentique, comme osait l’espérer Fanny,  avait enfin émergé de sa longue rêverie, et la
timidité qu’il affichait habituellement  avait du jour au lendemain fait place à une tendre prévenance. « Ce doit-être un poète ! »
songea-t-elle en souriant intérieurement. Que lisait-il déjà dernièrement ? Fanny tenta de se souvenir de la couverture du livre qu’il tenait entre les mains. C’était un thriller sans doute
historique car les personnages de la première de couverture étaient en habits du XVIIIème… non le titre lui échappait,  mais elle se souvint du nom de
l’auteur ; Liss…

Elle demandera ce livre au libraire. Quand elle l’aura lu, elle aura un bon sujet de conversation et elle pourra aborder Paul sur
un terrain où ils pourront se comprendre.

 

 

Paul avait eu bien du mal à quitter le bar ce matin  Ses pensées le retenaient,
il avait l’impression d’abandonner la belle face à un danger qu’il ne parvenait  pas à définir.

 

 

Fanny, son trésor qu’il protégeait depuis qu’il l’avait découverte. Une protection discrète alors qu’il  donnait l’impression d’être  absorbé par ses lectures. Une protection ridicule quand, pour se donner une
contenance, il s’était laissé aller à consommer des petits blancs en trop grande quantité !

 

Fanny, non,  il ne la laissait pas derrière lui, il l’emmenait avec lui sur la route.
Elle était même plus exactement toujours devant lui. N’est-ce pas pour elle qu’il avait accepté ce travail, qu’il avait pris la décision de cesser de se  comporter comme un adolescent. Pour elle, il allait tourner une page de sa vie !

 

Il remarqua dans la journée les regards du paysagiste. Visiblement son patron croyait que le jeune homme tentait de l’épater par
une belle démonstration d’énergie et par la qualité de son travail. « Mais non, chef, pensa Paul, ce n’est pas pour tes beaux yeux que je m’active ainsi. J’en connais de bien plus beaux,
aussi verts que des émeraudes ! »

 

« Ah, Fanny, pensa-t-il tout haut, le nez dans ses plantations,  tu ne le sais
pas encore  mais je bâtis notre histoire en combinant  les variétés de plantes ! N’est-ce pas une
belle gamme de couleurs ? »

 

C’est ainsi que tout en raclant, binant, et sans voir le temps passer, il conjura le sort contraire et les apparences trompeuses.
Les parterres qu’il réalisait n’étaient pas simple jardinage, on pouvait admirer après son passage des  mandalas fleuris où il avait tissé  deux  destinées, la sienne à celle de Fanny. Les racines étaient  bien
enfoncées dans la terre pour que s’épanouisse enfin son rêve coloré.

Paul avait laissé en
veilleuse son intérêt pour la vie et ses contraintes, mais ça, c’était avant Fanny, quand il ne savait pas pourquoi, pour qui il vivait. Rien ne justifiait à ses yeux le fait de  trimer pour un patron. Après son bac pro, il avait bien essayé de travailler, mais il n’avait rien en commun avec les autres employés qui ne pensaient que boire
un coup à la pause alors que lui préférait s’isoler pour lire. De plus, son patron se méfiait de ses initiatives, il devait se contenter d’exécuter les ordres, alors que dans l’esprit de Paul
germaient de multiples idées, il n’espérait  que le moment de pouvoir faire preuve de créativité dans ce métier qu’il avait choisi, mais ce
moment  ne venait jamais… il n’avait pas supporté longtemps cette ambiance d’éteignoir et il était parti un jour, de lui-même, sans attendre
l’humiliation d’un licenciement… il était parti, bien décidé à profiter de ses vingt ans. Après tout n’allait-il pas avoir toute une vie pour travailler ?

 

 

 

(à suivre)

Paul et Fanny 6 (les joueurs de Trut)

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Théodore Boulard : Les joueurs de Trut

 

Paul et Fanny 6

 

Il s’agissait de bien commencer sa nouvelle vie, ne l’avait-elle pas
gratifié d’un

«mon ami » ? Il chantait encore à ses oreilles ce
mot, véritable sésame pour l’avenir, chaque coup de pédale était ponctué d’un « mon ami » gaillard, vigoureux, il s’en fallut de peu que le vélo ne décolla ! Pour sûr, rien ne lui
résisterait.

 

Au café, les quatre larrons étaient à nouveau réunis,
commentant l’actualité, enfin les derniers  faits divers, se délectant des  rumeurs, les créant au besoin
pour rompre la monotonie avant de se lancer dans les cinq parties de trut du matin. Elles désignaient l’équipe qui paierait l’apéritif, du très sérieux donc puisque le porte monnaie était lui
aussi impliqué.
À les voir on les
croirait tout droit sortis d’une toile de Théodore Boulard !

Occupés qu’ils étaient à se chamailler, c’est à peine
s’ils remarquèrent un petit groupe de cinq marcheurs, deux couples et un homme, qui s’attablait non loin d’eux. Aux dires d’un joueur, l’un aurait adressé un clin d’œil à un des partenaires, ce
qui n’était pas loyal !

« Tout ça pour ne pas payer un coup, c’est sûr que la
mariée est regardante sur les dépenses mais quand même, c’est pas une raison! ».

 

Intrigués puis amusés par les quatre lascars, les nouveaux
arrivants retenaient leur souffle, dégustant avec gourmandise cette joute oratoire, du grand spectacle.

— Ne vous inquiétez pas, tous les jours c’est au théâtre
ce matin avec eux. C’est la principale occupation de leur vie, étonnant que vous les ayez surpris d’ailleurs, les clients de passage les ignorent, en général. Vous êtes perdus ?
susurra  Fanny en  approchant de leur table, un grand sourire illuminant son visage.

  Non, nous
randonnons, c’est très agréable de se retrouver au milieu de nulle part, cela nous change de la fournaise parisienne. Votre région a un charme fou et avec ces trognes !

— Chocolat chaud et croissant pour moi…

 

Fanny notait soigneusement les commandes tout en éprouvant
une gêne croissante, une paire d’yeux la détaillait de la tête aux pieds, suivait les courbes de son corps, s’immisçait pour ainsi dire jusque dans ses chaussures. C’est à peine si elle osait
lever la tête afin de mieux visualiser cette paire inquisitrice. En retournant vers le bar afin de préparer ce petit déjeuner, elle ne savait quasiment plus marcher normalement. Elle était chez
elle pourtant, c’était son domaine et elle se trouvait plus empruntée que le jour de son arrivée.

 

— Combien je te dois Fanny ?  C’était Maurice qui venait régler les dégâts selon son expression.

— J’ai l’impression ma petite que l’amour t’a repérée.
Vois-tu ces circaètes qui rétrécissent  leurs circonvolutions au dessus de ta tête, il ne te sera pas facile de jouer  l’anguille et de toujours fuir.

— Cessez de racontez n’importe quoi !

— J’ai des yeux, fais le bon choix et surtout sois
heureuse ma petite.

 

Elle ne se souvenait pas  que ce chenapan puisse se montrer discret, sensible. Il connaissait l’émotion ce vieux grigou ? D’où tenait-il cela , qu’avait- il vécu ? On ne le
connaissait que pour ses frasques verbales, une armure, un maquillage contre des douleurs enfouies ? Fanny n’en pouvait plus de toutes ces interrogations ce matin ! Pour la première fois, elle
semblait avoir le ventre en loques, dans sa tête résonnait le presto agitato de la sonate Waldstein, et Horowitz s ‘en donnait à cœur joie ! Quelle était donc cette journée qui programmait du
remue-méninges à tout va ?

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Paul et Fanny 5

 

 

La porte s’ouvrit peu de temps après devant Paul qui ce jour là, à la surprise de Fanny, était presque aussi matinal que Maurice. Sa silhouette longiligne se détachait sur l’échancrure de lumière
que l’aube dessinait dans le mur face au bar.

 

La jeune fille avait laissé la fenêtre ouverte, de sorte qu’un courant d’air ferma violemment la porte. Paul tenta bien de la retenir, maladroitement, mais il ne fut pas assez rapide et surtout,
il ne put exécuter d’une main un geste rapide alors que de l’autre main, il devait veiller à faire preuve de délicatesse. Simple question de coordination !

 

— Ah v’là-t’y pas le joli cœur qui fait son entrée, en tambours et trompettes siouplaît ! commenta Maurice.

 

— Et ça dérange ce râleur d’anachorète ! répondit Paul qui visiblement ce matin n’avait pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds. Il se dirigea directement vers le bar.

 

— Bonjour Fanny. Ce sera un café pour moi, avec un croissant, s’il te plaît ! Et il enchaîna en tendant à la jeune fille un minuscule bouquet de violettes aux tiges enlacées par un minutieux
tressage d’herbes.

 

— C’est pour toi Fanny. Je les ai vues sur le bord ‘d’un talus et je me suis souvenu que tu aimes les fleurs, alors voilà !

 

Cette attention, toute minuscule qu’elle fût, toucha Fanny. Un instant elle imagina le jeune homme sautant prestement de vélo pour cueillir de ses larges mains les tendres violettes. Il s’était
arrêté pour elle… c’était la première fois qu’un client manifestait à son égard un geste si simple, si frais, si mignon !

 

L’image du jeune homme élégant rencontré l’année passée lui revint en mémoire. Sa technique de séduction était de toute autre nature. Bien sûr il l’avait complimentée pour son physique, mais elle
rougit encore en pensant au malaise qu’elle avait éprouvé lorsqu’elle découvrit l’énorme pourboire qu’il lui avait laissé. Il dépassait largement le prix de la consommation. Il l’avait regardée
dans les yeux en lui demandant un rendez-vous… et elle avait mal réagi ; elle avait refusé d’un bloc et le pourboire et le rendez-vous. Non mais, pour qui l’avait-il prise, une fille naïve,
facile à séduire ? C’est qu’il ne suffisait pas d’être beau gosse pour plaire à Fanny, encore fallait-il que le prétendant eût de bonnes manières !

 

Elle n’imaginait pas que Paul, ce garçon si gauche après quelques verres de blanc, ce garçon qui semblait ne pas savoir quoi faire de sa vie — à part squatter le bar et lire des thrillers à
longueur de journées, puisse manifester une telle élégance de cœur.

 

Paul tendait toujours le bouquet de minuscules violettes que Fanny, absorbée par ses pensées n’avait pas pris. Il sembla deviner ses questionnements et bredouilla :

 

— C’est que je suis paysagiste… enfin, j’ai mon BEP, même si je ne travaille pas depuis quelque temps. Mais ça va s’arranger, à partir d’aujourd’hui, je suis à l’essai pour deux jours au Parc
Floral d’à côté.

 

— Pardon, dit Fanny en prenant les fleurs et en les déposant dans un verre à liqueur qu’elle avait rempli d’eau. J’étais distraite. C’est un bien beau métier, paysagiste !

 

— Ouais, renchérit Maurice, un métier pour cul-terreux !

 

— Ah non, rétorqua Fanny qui n’intervenait pourtant jamais dans les conversations des clients — mais là elle se sentait concernée. C’est un métier d’artiste ; avoir la main verte est un don, non
une tare. Je ne vous permets pas d’insulter quelqu’un qui essaie de…

 

— Il essaie rien du tout ma brave fille, s’obstina Maurice, il t’la dit, il n’a même pas commencé !

 

— C’est ça, vous voulez le décourager. Grand merci à vous !

 

Et elle continua d’essuyer nerveusement un verre qui se brisa dans ses mains.

 

— C’est malin ! s’exclama Paul en fusillant Maurice du regard, et il se précipita de l’autre côté du comptoir où Fanny se passait la main sous l’eau.

 

— Allez file mon ami, lui dit-elle, tu vas être en retard pour le démarrage de ton job.

 

Sans trop bien comprendre, il gloussa de plaisir et après avoir consulté sa montre, il se hâta vers la sortie. Paul afficha un petit sourire ironique en croisant le « nuisible » plongé dans une
supposée lecture du quotidien local, d’une discrétion…

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Paul et Fanny

 

 

La jeune fille était sûre de son fait et éprouvait une délicieuse sensation de déjà vécu, elle se souvint alors de la première fois où elle reçut des compliments comme jamais aucun homme ne lui
en avait fait. Elle avait découvert à quel point elle pouvait plaire, et elle s’était surprise à envisager l’avenir avec un autre regard. L’espoir n’était-il pas là à portée de main ! Ce jour là,
elle s’en souvenait comme si c’était hier, elle avait agrémenté sa chevelure de fleurs d’azalées très fines, très petites mais elles avaient suffi. C’était il y avait un an et demi… et depuis,
rien… Le doute s’insinuait à nouveau dans sa vie. Il s’insinuait et avec quelle rapidité ! Dans ce petit coin de campagne, il fallait, pour venir ici, ou le vouloir ou être totalement dépourvu
du moindre soupçon d’orientation !

« Perdu n’a rien à voir avec éperdu » , souriait elle, un rien déçue.

 

 

Quel était ce manque qui l’envahissait, cet inconnu dont elle ressentait un besoin de plus en plus important chaque jour ? Elle ne croyait pourtant pas au prince charmant, sa mère lui avait bien
répété que ce n’était souvent qu’illusions de courte durée. Il suffisait de regarder, d’écouter ces quatre vieilles canailles qui chaque jour s’attablaient au café ! C’était ça les lendemains ?

 

 

Et pourtant, elle se plaisait au Bar du Centre, les patrons lui faisaient une confiance totale, lui en laissaient pour ainsi dire l’exploitation comme elle l’entendait, trop heureux qu’ils
étaient de se consacrer entièrement au restaurant. Il n’y avait pas beaucoup de passage, mais ils avaient su s’adapter aux évolutions et ils avaient développer les repas à domicile chez les
seniors des communes environnantes. Une clientèle en pleine expansion ! !

 

 

Fanny prenait conscience ce matin que depuis quelque temps déjà des changements s’opéraient en elle, complètement à son insu ; des petites vaguelettes sournoises attaquaient sa falaise de bonne
humeur permanente, de vitalité à toute épreuve. Il y avait un petit moment déjà qu’elle trouvait ses soirées plus longues, plus mélancoliques, ses disques résonnaient moins entre les murs de son
petit appartement, on la trouvait plus rêveuse, moins à l’écoute.

 

 

– Bon, je vais être en retard pour ouvrir ! marmonna-t-elle en allongeant sa foulée. Il n’empêche, elle avait un grand manque en elle, un grand manque à côté d’elle, cela se précisait, elle en
avait assez d’être seule, de se parler à elle même, de voir sa vie réglée par l’horloge de la monotonie quotidienne et surtout ces soirées … Comme elles étaient longues, la pendule devait devenir
fainéante elle aussi, ses aiguilles tournaient moins vite, elles n’allaient quand même pas dire qu‘elles prenaient leur temps elles aussi ! Mais alors ….

 

 

– Si ça continue, tu ne seras même à l’heure pour servir l’apéro ! »

C’était Maurice qui faisait les cent pas, baissant et relevant sans cesse sa casquette.

Lui, les aiguilles devaient se mettre à courir dès qu’il ouvrait un œil le matin afin de l’expédier au loin ! Ah, ce Maurice, il s’ennuyait aussi tout seul mais il avait toujours été incapable de
retenir quelqu’un près de lui.

 

 

Fanny sourit, se garda bien de répondre, accéléra le pas, passa par la petite cour et entra au bar par la porte de service. Sans tarder, elle actionna les volets, alluma les machines à sous, un
peu de musique également, la même qu’hier et que le mois dernier d’ailleurs, ouvrit la porte principale et fila vers la machine à café. C’était reparti ! Maurice vint s’asseoir à sa place , posa
son couvre chef sur la chaise derrière lui et commença à touiller le café qui venait d’arriver.

 

 

(à suivre)

Une cage de Lune

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  (La nuit de Noël, tableau de 1956 – Paul Delvaux -) 

 

 

Une cage de Lune

 

 

 

un point rouge suit
les lignes de fuite
et les travées d’ombre
tendent au sol leurs bras
vers l’enfant restée

 

une fleur rouge
figée sur le quai
encage là-haut
ses sanglots
dans l’astre muet

 

nuit bleue thoracique

 

.

 

 

Poème écrit pour le blog mil et une qui a proposé ce tableau. pour thème de la quinzaine

 http://miletune.over-blog.com/

 

Le poète au moulin

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les livres ouvrent des portes sur les façades tristes

leurs chemins pas à page y déposent l’envie

et moi je me dénude en lignes de non retour

car la farine des mots grommelle à la source

 

des larmes en presse-papier et l’angoisse en eau vive