Marion et la fée du puits
Marion était bouleversée, désorientée ! Tout d’abord pétrifiée par cette avalanche inattendue de mots
incompréhensibles qui éveillèrent en elle des visions anachroniques, elle s’imagina perdre la vie. Puis, le choc s’atténuant, la frayeur la saisit, elle prit les jambes à son cou et s’enfuit en
courant – insensible aux ronces et aux ajoncs vêtus d’or qui lui griffaient méchamment les mollets.
Pour la première fois, elle passa devant les demoiselles de Cojoux sans y prêter attention et pourtant …. combien elle aimait se faire raconter ou se remémorer ce qui n’était qu’une légende,
fabuleuse certes, mais si délicieusement inquiétante, quand même ! Saint Just regorgeait de ces sortilèges et maléfices parsemés sur la lande
incrustée de schistes mauves et bleu, de grès et de poudingues de Montfort. Jugez plutôt, un dimanche après midi, Le Tout Puissant s’était fâché rouge, en une seconde, le ciel s’était obscurci et
avait fait place à un cul de chaudron strié d’éclairs et de coups de tonnerre monstrueux. Il y avait un moment qu’il réprouvait l’attitude de trois filles du Vieux Bourg qui chaque dimanche
préféraient aller danser à Saint Just plutôt qu’aller à vêpres. Cela suffisait, on ne pouvait défier son autorité plus longtemps. La colère divine les transforma en trois blocs de pierre fichés
là, dans la lande sur ce magnifique tapis de bruyères, dans des positions où l’équilibre semblait fort instable ! On appela ces mégalithes les demoiselles de Cojoux.
Marion n’était pas des plus obéissantes, elle avait le caractère bien trempé. Et voilà que l’incompréhensible surgissait
! Etait-ce son tour de subir un châtiment suprême ? Arrivée toute essoufflée dans la maison, elle se jeta à genoux sous le crucifix accroché près du lit-clos de ses parents. Après un rapide signe
de croix, elle marmonna les prières rituelles avant d’implorer le « tout puissant ».
« Que se passe-t-il ? Que fait maman dans le puits et pourquoi veut-elle que j’aille dire à la fille de la fille …… le pain dans
le four ? Maman ……Maman !… »
Kador s’approcha doucement de l’enfant, il avait sans doute compris la douleur et le désarroi de sa maîtresse. Il geignait lui aussi,
lui léchant le visage comme s’il voulait absorber la tempête de larmes qui venait d’éclater. Marion avait perdu pieds. Incapable de réfléchir. Incapable de se souvenir du message entendu.
Insensible aux attentions de son fidèle compagnon. Elle n’était qu’une petite fille submergée par l’angoisse et ses pleurs incoercibles, seuls les bras de sa maman pourraient les calmer.
Le chien impuissant à calmer Marion se mit à hurler à la mort, il avait conscience de la gravité de ce qui se passait.
Ces chants de détresses, pleurs et hurlements mêlés, attirèrent une voisine qui s’en revenait du moulin de l’étang du Val par le sentier.
« Mais que se passe-t-il dans cette maison ! », dit la brave femme en posant sa panière.
Elle releva le menton de l’enfant et vit son visage inondé de larmes, elle lut ainsi
dans ses yeux une panique qui sortait de l’ordinaire.
« Maman est dans le puits… elle veut qu’on lui porte du pain… », réussit à articuler Marion.
La paysanne comprit aussitôt ; elle avait tant de fois, lors des veillées, entendu cette histoire contée par la voix du barde, et
puis, ne disait-on pas qu’elle-même tenait ses pouvoirs de « guérisseuse » du petit peuple ? Elle connaissait bien des mystères.
« T’en fais pas ma toute petite, ta maman n’est pas au fond du puits, je l’ai vue partir aux champs ce matin avec les hommes. Ils
vont bientôt rentrer, et toi, ne te languis point.
Viens donc chez moi en attendant ! »
La femme prit l’enfant dans ses bras, car la pauvrette avait les jambes trop faibles pour tenir debout. Elle n’était pas bien lourde
la gamine, pour sûr ses parents ne lui donnaient pas assez à manger ! Il lui serait facile de la porter jusqu’à sa chaumière, de l’autre côté de la cour.
Elle se garda bien, d’inquiéter l’enfant en lui disant que c’était une Fée qu’elle avait entendu, et que celle-ci
sortait toujours dans le but de ravir une enfant. Oh, la dame du puits n’avait pas de méchante intention, car la vie qu’elle préparait à l’enfant lui
épargnerait bien des épreuves – la fée les avait devinées
dans le futur de l’enfant.
Ah mais, cela n’était pas dans l’ordre des choses ! La Jeanne était là, et serait vigilante, elle saurait satisfaire les esprits
de la nature et renvoyer dans le monde des légendes ces créatures !
Il se préparait sûrement de grands malheurs pour que les esprits se réveillent et viennent ainsi perturber la vie des humains.
En passant la porte, Marion jeta un coup d’œil méfiant à l’intérieur de la pièce ;
elle vit, assis sur une pierre plate, que sa mère laissait toujours près de l’âtre, un drôle de personnage.
C’était une espèce de nain, habillé comme un garçon de ferme, son gilet était brodé de
motifs qui ressemblaient à des feuilles de lierre, et il portait avec élégance un feutre à larges bords. Quand il releva la tête pour regarder Marion, l’enfant découvrit une face fripée qui lui souriait malicieusement. Des yeux bridés du gnome filtrait une étrange lumière.
Marion lui trouva un visage de fouine, mais non… et elle se mit à frissonner… le visage du garçon ressemblait à une face de rat ! Elle se serra
encore plus fort contre la poitrine de la Jeanne.
Marion avait vu Razunellou !