L’enfant de Syracuse (Les nouveaux amis)

sans-titre

(Je n’ai pas oublié mon personnage. Les fêtes de fin d’année et une panne d’ordinateur justifient mon silence. Je vous souhaite des jours heureux en 2015, même si ce début d’année nous a tous profondément bouleversés. Lucas, l’enfant de Syracuse,  part sur une mauvaise pente… c’est son histoire – telle que son auteur l’a imaginée – il entre dans un cauchemar dont il faudra bien que je le sorte !)

L‘enfant de Syracuse suite ( Les mauvais amis)

Il n’avait pas choisi ses amis au hasard mais une chose est certaine ce n’était pas leur réputation de « mauvais garçons » qui l’avait attiré. Ils avaient fait connaissance lors d’une rencontre de Baseball. Les Skychiefs de Syracuse affrontaient les Indians d’Indiapolis, un match de ligue internationale. L’ambiance, comme toujours, était chaleureuse et la passion commune ignorait les barrières sociales. On échangeait facilement quelques mots. On était prompt à rire, à se taper dans le dos. Lucas aimait ainsi sortir de l’isolement dans lequel le tenait son statut d’enfant unique. Il n’était pas indifférent, il aimait aller à la rencontre des autres, se mêler à la foule des supporters, partager le même enthousiasme – une façon de participer au mouvement joyeux qui accompagne les gestes de la vie et qui se retrouve aussi dans les paroles prononcées quand seul compte l’instant présent et les commentaires sur l’ action qu’un joueur venait d’exécuter – d’offrir aux supporters. Se laisser porter par cette ambiance de stade donnait de la couleur à son existence et il s’abandonnait à cette euphorie. Un abandon de son individualité. Une ouverture aux autres. Le bonheur d’une soirée où manger un hamburger sur le pouce et boire un Honest Tea n’engageait à rien d’autre que savourer un instant de camaraderie sans conséquence.

C’est ainsi qu’il avait rencontré ses nouveaux amis. Rien de prémédité. Rien de malsain. Rien, absolument rien,  lors de ce match, ne permettait de suppose que ces deux amis étaient membres d’une organisation de jeunes qui s’ingéniait à prendre des risques et faire des pieds de nez à la société. Jamais il n’aurait pensé que pour garder ses deux amis il lui faudrait intégrer cette bande. Faire ses preuves, comme on dit. Il le comprit quand on le présenta aux autres dans un local désaffecté du côté de Lakefront où ils l’avaient conduit. Une vague de surprise traversa alors son esprit, mais il se considérait déjà engagé alors il choisit, sans manifester le moindre signe d’hésitation, de se glisser dans ce banc de drôles de poissons – après tout, il n’avait pas à se montrer frileux, on n’était pas en hiver, il ne risquait pas de geler, il s’agissait juste d’apprendre à nager autrement qu’en solitaire et dans une eau plus trouble que d’ordinaire !

Le tout était de ne pas se laisser prendre. L’aventure méritait d’être tentée,  l’idée d’endosser une deuxième personnalité,  comme le docteur Jekylle avec son M.Hyde, exerçait sur son imagination un attraction hypnotique qui balayait toute prudence. Avait-il l’étoffe d’un voyou ? Rien n’était moins sûr. Il le saurait par la pratique.   L’enfant sage de la famille Felding allait devenir un adolescent rebelle. Quelle transformation et quelle perspective de lendemains attrayants !

Sa mise à l’épreuve consistait à voler le sac d’une passante et à le remettre à son ami Ron qui l’attendrait derrière chez lui. Liberté lui était accordée de choisir sa cible, son heure. Personne ne devait savoir comment il allait procéder, seul comptait le fait qu’il revienne avec son trophée avant 8:30 pm – Ron ne devait pas se faire remarquer à poireauter trop longtemps – si les parents de Lucas  étaient absents de la maison, les voisins, par contre, risquaient de s’inquiéter de cette présence inhabituelle.

Couché sur son  lit, la veille du jour fatidique, Lucas échafaudait des plans. Les choses se révélaient beaucoup plus compliquées qu’il n’y paraissait à première vue même si la valeur de son vol était moins importante que le fait de subtiliser l’objet à une inconnue.

Le lieu… il lui faudrait choisir un quartier où il ne risquait pas d’être reconnu. Et comment procéder pour la suite ? Il devait  visualiser toutes les étapes avec une clarté qui seule allait permettre aux évènements de se dérouler à la perfection. Le film mental une fois réalisé, il lui faudrait le passer plusieurs fois sur l’écran de son esprit, sans rien en modifier, afin que la réalité du lendemain colle à   son projet.

Lucas s’endormit tard cette nuit là et dans ses rêves un sac gris argenté s’élevait dans les airs comme une grande voile inatteignable…

(à suivre)

L’oeil de l’ange (suite 3)

L’oeil de l’ange (3)
 
[Estelle et son mari sont partis pour Saint Germain des Vaux avec l’intention de voir le jardin de Gérard Fusberti, mais ils changent d’avis en voyant qu’un cirque s’est installé sur la place. À la fin de la représentation un personnage les intrigue mais ils sont encore plus surpris de découvrir le message d’un mystérieux Lucenzo sur le pare-brise de leur voiture.]

 

Ils suivirent sans mot dire la route côtière jusqu’à Omonville la Petite. La grande bâtisse normande où ils séjournaient était austère, ils le savaient,  mais ce soir là, elle leur parut particulièrement inhospitalière. À peine la voiture fut-elle garée derrière l’hôtel qu’ils se tournèrent l’un vers l’autre. Ils reconnurent dans leurs regards la même inquiétude, ils y lurent le même questionnement : «  Comment cet homme avait-il pu découvrir où ils logeaient ? »

Toute tentative de réponse ne pouvait être que supposition. Inutile ! Mieux valait ne pas se prêter au jeu des hypothèses. Le risque était grand, par ce procédé, d’amplifier leur angoisse.

Ils avaient trouvé refuge au hameau du Mesnil dans un hôtel perdu au bout du petit village, tout autant perdu, d’Omonville-la-Petite et « on » les avait suivis, alors qu’ils ne se savaient même pas surveillés !

Un sentiment d’insécurité accompagnait leurs pas alors qu’ils traversaient le hall, glacial, mais ils ne le laissèrent pas entrer avec eux dans la chambre du  rez-de-chaussée,  avec vue sur  jardin, où ils se sentaient si bien. Le soir, ils se rendirent même à pied sur la plage de L’Anse de Saint-Martin, toute proche. Ils n’allaient pas gâcher leur week-end !

Le lendemain matin quelle ne fut pas la surprise d’Estelle en tirant les rideaux : l’homme à la gabardine grise était installé sur un des transats du jardin !

Elle appela son mari : « Viens voir, c’est incroyable ! »

Michel regarda, pâlit d’abord, s’empourpra ensuite, puis lâcha : «  Mais il se prend pour qui cet homme avec ses ch’veux d’ange** et sa barbe de fleuve***, il se prend pour qui pour se permettre de venir nous narguer jusque sous notre fenêtre dès les premières heures du jour ? »

Michel et Estelle se rendirent sur la terrasse où les petits-déjeuners étaient servis.

Des tables et des chaises aux couleurs vives contrastaient avec la façade sombre.

La journée aurait pu s’annoncer belle si seulement il n’y avait pas eu cet homme, là sur le transat, cet homme qui ne tarda pas à venir s’installer sur la table voisine de la leur.

Hélène semblait absorbée par le fumet de son thé, tandis que Michel disparaissait derrière le journal qui lisait. L’homme commanda un café noir. Michel s’agita subitement sur sa chaise, il  lança plus qu’il ne posa le journal près de la tasse de sa femme et pointa du doigt le titre d’une petite affaire locale : «  Vol d’un ange dans la maison de Jacques Prévert ».

« C’est donc cela ! » chuchota Estelle .

L’homme se leva et sans façon vint jeter un coup d’œil sur le journal par-dessus l’épaule d’Estelle.

« Vous avez lu ? » dit-il  et, sans attendre la réponse,  il poursuivit :

« Je sais ce que vous imaginez, mais vous vous trompez. Permettez-moi de vous expliquer ! »  Il prit sa chaise et vint se placer à côté d’Estelle.

«  Je suis bien l’auteur de ce vol mais je ne suis pas un cambrioleur. Libre à vous d’appeler la police mais avant, accordez-moi le temps d’une histoire, Madame. »

Madame regarda Monsieur tandis que  l’homme poursuivait :

« Ce n’est pas un vol car cet ange n’a qu’une valeur sentimentale.

Ce n’est pas un vol même si  cet ange a été vendu, à bas prix, par l’un des nôtres. C’était une  erreur. La famille avait besoin d’argent et nous n’avions pas mesuré l’attachement d’Anastasia à cette sculpture… Ce jour là, l’ange  est parti avec bien d’autres objets artisanaux.  Anastasia ne s’en est jamais remise. Nous avons cherché longtemps le Putti chez les brocanteurs, dans les braderies. Sans succès… jusqu’à l’autre jour  où quelqu’un  vous  a entendue parler d’un ange, et l’a reconnu sur votre tableau. C’est la main de Dieu qui nous a conduit  jusqu’à vous, alors je vous confie l’ange. Je vous ai laissé un papier avec toutes les indications pour entrer en contact avec Lisa, la sœur jumelle de Luana. Elle veille sa mère, Anastasia, qui vient de mourir. On vous guidera jusqu’à elle, aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

« Mais pourquoi Luana ne ramènerait-elle pas cet ange elle-même ? »

L’homme, après avoir déposé l’objet emballé dans du papier journal sur les genoux d’Estelle ; s’était déjà éloigné.

«  Nous sommes en tournée ! » clama-t-il. 

«  Impossible ! » rajouta-t-il en faisant un geste d’impuissance.

« Mais enfin ! Mais enfin ! » répétait sans cesse Michel interloqué.

« Ne t’inquiète pas, le rassura Estelle, je partirai seule. Je sais que tu dois être à ton poste lundi, on trouvera bien une solution pour ton retour ; un  covoiturage si ça te dit ! »

Michel toujours sous l’emprise de la stupeur, acquiesça.

Ce qu’aucun d’eux n’osa dire, c’est que l’idée d’aller à la gendarmerie ne les effleura même pas ; ils redoutaient qu’une malédiction ne leur tombe dessus au cas où ils trahiraient la confiance du « gitan ».

 

(à suivre)

 

*   Un matin rue de la colombe dans Histoires de Prévert

**  de même

*** Les derniers sacrements dans Histoires de Prévert