TUMULUS

Tumulus est le titre de mon dernier recueil de poésie. Il est sorti peu avant Noël, publié par les éditions Bleu d’encre.

En première de couverture un de mes croquis.

En quatrième de couverture, ce poème :

il faut

un brin d’amour

pour que penche l’herbe

sous l’impulsion d’une roulade

quand la joie à l’âme renverse

la terre aux pieds du ciel

et que l’on goûte la vie par le nectar

des fleurs de trèfle

Carmen Pennarun

.

Le livre compte 185 p.

son prix :18€ auquel s’ajoutent les frais d’envoi

pour vous le procurer envoyez moi un mail si vous souhaitez un exemplaire dédicacé.

carmen.pennarun@wanadoo.fr

vous pouvez si vous habitez la Belgique le commander auprès de l’éditeur Claude Donnay

claude.donnay58@gmail.com

vous pouvez l’acquérir à la librairie Wallonie-Bruxelles, rue Quincampoix à Paris, juste derrière le Centre Pompidou, soit en allant sur place, soit en le commandant.

.

VOICI UN PREMIER RETOUR DE LECTURE :

J’ai lu deux fois TUMULUS ( Ed bleu d’encre, 2023) de Carmen Penn Ar Run, pour mieux m’en imprégner. Cet épais recueil est comme un chant intime, une exploration des émotions présentes et passées. « Où se situe ma présence sur la trajectoire de mes désirs fauves? /ni impuissance ni peur/ elle suit le chemin de la confiance et de la bienveillance/je pose l’émotion sur la barre haute(…) ». Il me semble tenir à la fois du « journal », de fragments de mémoires et de creuset pour les souvenirs engrangés, souvenirs d’enfance et d’autres plus récents. Le langage est clair et doux même pour aborder les choses graves. L’on perçoit une communion véritable avec une contrée, celle qui est faite de sable blanc, d’ajoncs, de fougères, de mystère et de pierres ( la Bretagne), ainsi que les connexions essentielles et l’empathie qui relient l’auteure à la nature, aux arbres en particulier. « C’est ainsi que je me laisse surprendre par une lumière qui met en valeur un arbre. Un seul. Pourquoi celui-là, aujourd’hui ?(…)Il devient l’unique objet de ma visite et je lui accorde, avec gratitude, quelques instants de présence immobile. Nous sommes deux êtres un temps enracinés côte à côte ».

Martine Rouhart

Elle marche

la clef

n’enferme jamais l’amour

elle ouvre pour lui l’espace

à l’intérieur

le refuge s’illumine

et le glacier se réchauffe

.

au-dehors

tant de merveilles

vers lesquelles nous transportent

des milliers d’ailes

.

l’amour en cage

brûle ses barreaux

ils sont les allumettes du désir

qu’il s’accorde enfin

.

je tourne mon regard vers l’enfant

sage endormi en moi

je ne le prends surtout pas par la main

son somnambulisme guide mes pas

loin des sentes d’hésitations

des fourrés d’évitements

du fléau des illusions

.

une progression vers l’harmonie

je sais maintenant qui est l’étoile

***

début janvier

.

dans les corridors de l’existence

s’aventurent

l’adulte et l’enfant

les venelles du rêve

leur permettent de coexister

.

l’enfant n’est pas né de son flanc

il est le fruit de son esprit

– l’éclosion s’est produite

il y a longtemps

le jour où l’adulte (alors enfant)

a vu éclater la confiance

qu’elle avait en ses protecteurs –

.

l’enfant projette autour de la rêveuse

son regard visionnaire

il porte ses rêves pour elle

en cette nuit des quadrantides

où tombent les étoiles

– il les recueille en son âme –

.

l’enfant-fille est de retour il va la présenter à la rêveuse

mais le premier soir elle ne peut entrer dans la maison

les (grands) parents sont là, alors pour une nuit il la confie

à un ami qui vit dans une roulotte

.

le lendemain -seulement – la rencontre a lieu

la rêveuse reconnaît son enfant dépouillée de tout

ensemble ils lissent de leurs doigts ses cheveux

qui reprennent vie et poussent

ils l’habillent

(dans cette maison de garçons il manque un T-shirt pour fille)

.

toute la nuit la rêveuse a cherché un T-shirt avec des paillettes

elle ne l’a pas trouvé

***

surprendre le temps

le suspendre au bout de son coeur

au bout de chaque souffle le sentir vibrer

saisir le point ultime de son éclosion

sans briser sa coquille prématurément

ne pas hâter les choses – indicibles –

son___ prodigieux de son expansion

déferlement de milliers de paillettes

soulevées – dispersées – retombées

l’Or de l’Instant

***

elle marche

son corps défait son esprit

plié en cocotte (minute)

et son âme chiffonnée les suit

jusqu’à ce que le pas coule enfin

libre et que le fleuve irriguant

l’instant devienne plus grand

que maintenant – dans la sérénité

de ce qui adviendra d’ici à là-bas

elle marche

sans calculer son déploiement

déliée de toute attente elle arrive

ses voeux déjà sont exaucés

elle marche

peut-être à livre ouvert

et ce livre est sans fin

.

Carmen Pennarun

les deux sculptures sont de Jurga Martin

Voir le décor à l’envers des fenêtres

Il serait temps que la vie tourne rond

même si en esprit tout est plié

au carré. Il serait temps que roue tourne !

.

Dans cet escalier aux marches irrégulières

où le pas calcule mal l’enjambée

tout est montée et imprévisibilité

.

Au bout de l’effort tourbé d’entraide

ignorée nous accèderons à la lumière

.

Qu’elle soit vivre et terrestre

le ciel n’est pas la rançon de l’épreuve !

.

Se tenir au-dessus des turbulences

sans avoir à les tempérer

serait-il égoïste jouissance ?

***

Elle ne parlait pas mais son regard disait la fièvre. La petite fille, en face d’elle, l’encourageait à s’exprimer. Elle saurait bien grapiller quelque sens car depuis des mois la voix de son aïeule était devenue inaudible et ses propos incohérents.

La parole lui parvint tout à coup, réveillant la mémoire couverte par des années de silence.

« Si je laissais mes épaules s’abaisser, quel serait le risque que je m’écroule ? Redresse-toi, me dit-on, mais un jour l’effacement s’installe jusqu’à l’inévitable, jusqu’à ce que la présence soit gommée aux yeux du monde. C’est douleur de se redresser quand le mal transpire par tous les pores. On l’ignore tant que la souffrance morale n’atteint pas la chair… mais au-delà, quand le corps a absorbé tous les torts, la vindicte s’attaque au souvenir… les morts doivent bien aider les vivants à porter leur part de souffrance… même toi tu me renieras. »

Sur cette malédiction, elle laissa son souffle avoir le dernier mot.

Tout était dit dans la continuité de la douleur.

***

Pour tout horizon

une longue route bleue

aux nuances d’acier

car le bleu turquin

– irrémédiablement –

s’enfonce dans le bleu nuit

.

même l’espoir d’une ouverture

barbeau m’est enlevée

(j’ai froid sans couverture étoilée)

je ne peux atteindre les nuances

aigues marines ou les belles azurées

que par échappées rêveuses

– dans le réel elles sont trop long voyage –

.

de grâce accordez-moi le calme froid

d’un bleu givré __ ses harmonies ouatées

seraient plus douces à porter

elles me protègeraient des billes rondes

– sempiternels reproches –

qui tombent comme boulets de canon

.

entendre ce galop givré !

je suis un champ dévasté

gagné par la tristesse

***

Il est d’immenses chagrins

il en est d’autres qui doucement

font leur lit dans le fleuve amour

Inexorablement ils creusent

sans que le cours ne les y encourage

Ils s’en fichent du courant

ils créent des marmites

provoquent des tourbillons

.

La fougue est en eux

énergie ravageuse

elle affronte des montagnes

lorsque la géographie de la vie

n’offre que doux vallons

.

Mon Dieu, toutes ces lignes d’eau

et combien de dépressions faudra-t-il

avant que les dragons de la jeunesse

cessent de tourmenter les jours

et que depuis les vallées s’entende

la bénédiction de l’eau

tombée dans les bras de la mer

***

Quand je ne serai plus

que mousse sur le muret

ou spore livrée au vent

à la gravité dormante

m’aimeras-tu encore

dis, m’aimeras-tu

sans me repousser

comme substance

indésirable ?

.

nous vivons une période

de grande sécheresse

mon amour

et la fraîcheur

l’enfance de l’âme

ne sait nous en délivrer

.

la tendresse se faufile

lézard, entre les pierres

du souvenir. Pourtant, nous

marchions en confiance

tu me tenais la main

et je te promettais

un beau destin

d’où tu m’as

rejetée

.

l’Amérique, sans doute !

***

Je me fiche de l’Amérique

la vie – avant – était pluie et tendresse

en Bretagne

Je me fiche de la Réussite

les dialogues du silence s(o)uffisent

Ô, de combien de larmes complice !

L’âme sur Terre partout s’acclimate

humidité et moisissures, ici

chaleur et sécheresse, ailleurs

poussière et micro-organismes, ici-bas

De quoi suis-je responsable ?

Ecologie et prophylaxie

montagnes et déserts

tout nous écrase !

L’homme dans sa bêtise

montre du doigt l’autre

– et même père et mère –

L’excès de prudence

ne révèle que la peur

un moteur d’action

de réactions

Paratonnerre ridicule

pour culture aux pieds chaussés

je suis née coiffée d’amour

et je me fiche de l’Amérique

Re(de)vient enfant de Bretagne, mon amour !

***

Il apportait du coeur à chacune de ses tâches. Le soleil brillait entre les ombres de ses phrases, elles hissaient la parole comme branches que la multitude des troncs reliait au grand sol.

Il y avait de l’humus au creux de ses mains et c’était comme si de tous ces débris végétaux renaissait le chant des oiseaux épris de terre.

Des miettes, la vie faisait son pain. Que dis-je, elle faisait son feu. Un feu blanc où tout n’était que crépitement de joie et unité.

Il avait un soleil dans le coeur et il parvenait à communiquer avec les soleils que chaque vie, chaque manifestation, contenait.

Nous demeurons dans le pourtour des choses alors que leur noyau est joyau incandescent. Nous ne nous soumettons qu’à l’épreuve de la résistance. Au-delà de la résistance… une dimension autre.

***

Je contemple la vie

celle qui se meut

avec un R de rien

un R perdu – à l’infini

.

Mon regard perce la mouvance

avant que je ne me lance

mais tout en moi déjà frémit

dans l’anticipation de la houle

.

Mon déploiement

n’est qu’une amplification

de l’ intention

L’instant oscille

avant de basculer

acquis à l’envergure

il s’appuie sur l’air

.

En joue !

*

Carmen Pennarun

L’appel des saisons

.

les catalogues arrivent

légère est la robe

et le tee-shirt petit

on annonce une saison

où l’on se déleste d’un poids

vestimentaire______avec sourires

.

et moi je me débats

en démarches infertiles

et moi je m’épuise

en balancements stériles

.

père

entre la fragilité de ton corps vieilli

et le respect à témoigner pour

le zeste d’énergie qui te tient

je suis là, à tes côtés

je n’attends aucune louange

encore moins un bénéfice

.

le temps est donné, ajusté, ici

il est perdu pour l’écriture

les projets. Les loisirs sont rayés

du calendrier. La lumière vient

de l’abandon à l’instant pauvre

qu’aucun catalogue n’habille

d’un voile d’insouciance

.

le corps s’incline face

à la nudité des sentiments

.

je pose sur mes genoux

le livre de la vie

.

l’écrire plus tard ?

.

Peut-être quand sera tombée

la dernière dent de lait

et qu’aucune souris

ne passera

.

plus jamais

.

car l’enfance se sera effacée

avec toutes ses billes et que

le pouvoir guérisseur des pierres

se révélera utopique

— aucune larme ne viendra

redorer leurs vibrations —

.

sonne l’or de l’instant qui veille

sur la petite fille ennoyée

.

il y a trop de pleurs en son coeur

ils ignorent l’heure de la marée

qui vers les yeux les fera

déferler en buée

que la chaleur

dissipera

.

sel sur la peau

sable et coquillage

et milliers de petits crabes

.

courant au-delà des mots

avec une joie sans nom

.

Carmen Pennarun

Gwin Zegal

Traverser les terres avant d’apercevoir

le petit port discret de Gwin Zégal

Au bois de ses arbres pieux je vais

arrimer mes mots et quelques peines

La descente est cruelle

jusqu’à la mer et ses merveilles

.

La digue est de granit, elle abrite

une anse émeraude où dansent

les fleurs-bateaux, où respirent

les poèmes-marguerites dont la vie

ne tient qu’à quelques troncs

Je les aime, un peu…

.

La descente est à risque

jusqu’à la crique

mais la mer est d’azur

et j’ai une peur à mettre à flots

afin qu’elle danse la joie tranquille

avec les coques amarrées

.

Les îlots rocheux font sentinelles

ils laissent la mer courir

entre leurs jambes et bondir

telle un chat en furie

tant que les marguerites

se balancent, protégées

Je les aime, beaucoup…

.

À mer haute, les bateaux

rêvent de traversées fantastiques

mais les arbres les retiennent

ils n’ont plus que leurs racines

tandis que les branches

fantômes interrogent

le vent. Lorsque la mer

est basse, la conscience

du sable suffit au repos

de chacun, ils sont là

les uns bien plantés

les autres bien accrochés

il n’y a plus d’attente

.

Parfois, les marguerites

dans leur écrin de granit

rose ont échangé des mots

à marée basse avec les poètes

sans attaches qui leur ont dit 

les aimer, passionnément…

.

.

Carmen Pennarun

À mes oiseaux, envolés

Une femme paratonnerre, à l’âme chanteresse, gravite en son jardin. Elle virevolte comme une butineuse. De quel miel se compose sa patience ? À quelle distance se propage son amour ?

En compagnie des muses, elle veille sur les sources des sons et des couleurs, et elle arrange ses rosiers de sorte qu’ils grimpent sur l’échelle des grâces.

*

décembre ressenti

aux pôles de son être

en pleine canicule estivale

pourtant____le froid

.

les enfants____de dos

elle les voit partir

vers le monde immense

– il déploie sa carte

où il leur suffit de pointer le doigt

pour de rire et pour de vrai –

.

elle demeure petite fille

abandonnée

seule au milieu d’une famille

de doutes

la laisse au coeur

avec une mère

qu’il a fallu soutenir

sans que lui convienne le décompte des ans

.

elle a gardé son inquiétude à distance

respectable – comme un chaudoudou

que personne n’aurait pu lui ôter

elle l’a gardée avec une détermination sauvage

devant laquelle même Dieu ne pouvait que s’incliner

.

La tour Eiffel, elle l’avait décalquée, il y a longtemps

sur les rêves de ses descendants, quand son père

s’était égaré dans la capitale et qu’à chaque fois

devant eux, elle se dressait. Elle était devenue

l’aiguille de leur boussole (elle ignorait que la vieille dame

annonçait – plus à l’Ouest – la statue de leur Liberté future)

.

et la fleuriste avec son sourire à la française

la demoiselle des jardins, la belle coccinelle

dans l’ ordre des mots coléoptères, soulève

ses poèmes autant qu’ elle compose

de bouquets de roses. Elle ne rougit pas

non, elle ne rougit pas de ses points noirs

ni de son pacte avec la vie

.

Mariée dans son jardin

*

Sur les lèvres des hommes se lisent des prénoms

ils sont comme autant de veilleuses sur les chemins

du monde. Un long murmure atteint la ville

Elle n’a pas besoin de murailles, les prénoms

de lumière l’éclairent. La flamme passe vive

d’un enfant d’hier à l’enfant de demain.

.

À toutes les Lucies, à toutes les Annas

À tous les Lucas, à tous les Evans

un message, un baiser, une bénédiction

un roc pour poser les pieds

et des ailes aux talons

pour les nuits

sans lune

afin

qu’à l’aube

s’ouvrent toutes

les roses qui chantent

chaque prénom possédé d’amour

.

Carmen Pennarun

(photo personnelle)

Un noyau de colère

Il apportait du coeur à chacune de ses tâches. Le soleil brillait entre les ombres de ses phrases, elles hissaient la parole comme branches que la multitude des troncs reliait au grand sol.

Il y avait de l’humus au creux de ses mains et c’était comme si de tous ces débris végétaux renaissait le chant des oiseaux épris de terre.

Des miettes la vie faisait son pain. Que dis-je, elle faisait son feu. Un feu blanc où tout n’était que crépitement de joie tendue vers l’unité.

Il avait un soleil dans le coeur et il parvenait à se relier aux soleils que chaque vie, chaque manifestation, contenait.

Nous demeurons sur le pourtour des choses alors que leur noyau est joyau incandescent.

Nous ne nous permettons que l’épreuve de la résistance. Au-delà de la résistance… existe l’épreuve du feu qui ouvre à une dimension autre où nous attendent les dragons.

***

« Laisse-moi être en colère ! »

m’a-t-il dit, alors je me suis

tenue au-dessus des turbulences

sans songer à les tempérer

dans l’orbite

inatteignable de la paix

.

Amour !

.

Pour tout horizon

une longue route bleue

aux nuances d’acier

.

Le bleu turquin

– irrémédiablement –

s’enfonce dans le bleu nuit

l’espoir d’une ouverture

même barbeau nous est enlevée

(il fait froid sans couverture étoilée)

on ne peut atteindre les nuances

aigues marines ou les belles azurées

que par échappées rêveuses

– dans le réel elles sont trop long voyage –

De grâce, accordez-nous le calme froid

d’un bleu givré __ ses harmonies ouatées

seraient plus douces à porter

elles nous protégeraient des retombées

de vrilles, dures comme boulets de canon

.

Entendre ta fureur, oh, dragon

Afin de ne pas demeurer champ

dévasté que gagne la tristesse !

***

.

Il est d’immenses chagrins

il en est d’autres qui doucement

font leur lit dans le fleuve amour

.

Inexorablement ils creusent

sans que le cours ne les y encourage

Ils s’en fichent du courant

ils créent des marmites

provoquent des tourbillons

La fougue est en eux

énergie ravageuse

elle affronte des montagnes

lorsque la géographie de la vie

n’offre que doux vallons

.

Mon Dieu, toutes ces lignes d’eau

et combien de dépressions faudra-t-il

avant que les dragons de la jeunesse

cessent de tourmenter les jours

et que dans la vallée la bénédiction

de l’eau se fonde dans les bras de la mer ?

***

Elle ne parlait pas, mais son regard disait la fièvre. La petite fille, en face d’elle, l’encourageait à s’exprimer. Elle saurait bien grappiller quelque sens car depuis des mois la voix de son aïeule était devenue inaudible et ses propos incohérents.

La parole lui parvint tout à coup, réveillant la mémoire couverte par des années de silence.

« Si je laissais mes épaules s’abaisser, quel serait le risque que je m’écroule ? Redresse-toi, me dit-on, mais un jour l’effacement s’installe jusqu’à l’inévitable, jusqu’à ce que la présence soit gommée aux yeux du monde. C’est douleur de se redresser quand le mal transpire par tous les pores. On l’ignore tant que la souffrance morale n’atteint pas la chair… mais au-delà, quand le corps a absorbé tous les torts, la vindicte s’attaque au souvenir… les morts doivent bien aider les vivants à porter leur part de souffrance… même toi tu me renieras. »

Sur cette malédiction, elle laissa son souffle avoir le dernier mot.

Tout était dit dans la continuité de la douleur.

le ciel n’est pas la rançon de l’épreuve !

.

Carmen Pennarun

illustration : Chen Hui 1959

Joséphine

:

Cicatrices

La peur des dangers lui était devenue étrangère depuis que son père l’avait soulevée, la portant haut au-dessus des crocs du chien.

Les chiens de ferme n’étaient pas des compagnons de jeu pour les enfants. Malheur à ceux qui auraient commis l’imprudence de se glisser dans leur niche. Joséphine, en toute innocence, avait eu cette idée… mais le père aimant veillait !

C’était avant la guerre. Avant qu’il ne soit appelé. Avant qu’on ne le lui enlève.

Depuis, Joséphine avait peur de Rien.

Je vous vois venir. Non, elle n’avait pas peur de Rien, elle avait peur, réellement peur, de Rien, de l’innommé, de l’impensable.

La peur est humaine que l’inhumanité accorde à sa monstruosité.

*

Adieux

La maison s’éloignait sur le tableau noir de la nuit

ou alors c’était le train. L’appel les avait enfermés dans un nuage

sombre où les larmes brouillaient déjà les mémoires.

L’enfant, derrière la grille, se tenait, debout

le chien dormait dans sa niche

et le père sur le champ d’honneur s’était couché.

*

Elle avait peur le soir et ne se couchait jamais sans vérifier qu’un fantôme ou quelque monstre ne se cachât point sous le lit. Cela amusait beaucoup l’enfant. L’expérience la plus cruelle pour Joséphine fut la nuit où elle dut dormir dans la maison en construction que son fils bâtissait pour sa famille. Une seule pièce était aménagée, la chambre de l’enfant.

[…]

Les esprits, grand-mère n’en voulait pas, la vie était assez compliquée comme ça, c’est pourquoi elle chassait les fantômes chaque soir avant de s’abandonner au sommeil. Elle les traquait derrière les fourrés des meubles, dans les sous-bois du lit, la moindre ombre était pour elle celle d’un bandit des grands chemins, elle avait le pouvoir de se rétracter ou d’étirer sa terreur sur le mur, qui du coup semblait se rabattre sur l’infortunée.

Alors l’enfant vérifiait qu’aucune présence ne se tînt sous le lit. Elle contrôlait l’armoire et l’espace entre les vêtements suspendus, elle secouait les doubles rideaux, tandis que Joséphine, à genoux sur le lit, s’accrochait au sentiment de sécurité qui ne comptait que sur l’innocente ronde d’une petite fille.

Carmen Pennarun

Je suis Marie, la « petite reine de la cité »

.

Depuis son plus jeune âge ses actes étaient guidés

par la nature. Elle respectait les lois des vents

des marées. Ne lui en demandez pas la raison

prenez ses notes comme autant d’instantanés

Elle était imprévisible pour qui ne savait pas lire

les signes que Terre envoyait, ceux que les passeurs

des voix de la nature – nos animaux – traduisaient

.

N’accusez pas le liseron s’il étouffe vos rosiers

seul le jardinier ordonne la nature

hélas, elle ne connaissait rien à l’horticulture

elle laissait l’enfant faire ses premiers pas

quand de lui-même il parvenait à maîtriser la loi

de l’équilibre en direction de ce qui l’attirait.

Elle se gardait de s’exclamer par crainte

de le surprendre et de stopper son élan

.

Elle était le témoin silencieux – pierre

levée qu’une vibration joyeuse animait

Elle entendait le chant de la vie et le frémissement

des arbres surpris par l’agitation humaine

Elle entendait

.

la voix de son père, celle de sa mère

un écho d’amoureux, une tonalité

pour elle seule. Son berceau était construit

de bois. Son père pourtant, n’était pas menuisier

mais il avait su chantourner les barreaux

pour son fils. Pour un fils ?

.

Début d’automne. La nature tapissait déjà

le sol de feuilles pour l’avenir. Une enfant

avait trouvé un nid dans le corps d’une jeune

fille. Ses parents allaient quitter la chambre

de bonne où la tenancière les regardait

d’un mauvais oeil. L’enfant attendait

C’est dans une cité, la première construite

à l’appel de l’abbé Pierre, que les eaux annoncèrent

une naissance dans l’urgence. L’enfant prématurée

tardait à voir le jour. Pourquoi faut-il trop souvent

enfanter dans la douleur ?

.

La peur de perdre la mère et l’enfant

ouvrit le coeur du père, ainsi il put accueillir sa fille

Elle devenait miracle. Il l’appela Marie

.

Entre les barreaux de son lit Marie entendait

tous les sons que la vie lui apportait

elle sut faire tenir les mots debout bien avant

qu’elle ne se dressât sur son matelas

et c’est sur le tremplin des mots qu’elle apprit

à grimper pour mieux voir ce qui mijotait

dans le chaudron de la vie

.

Elle sut très tôt que les mots bien souvent

contredisent ce que les coeurs dans leur langage

lui révélaient. N’était-elle pas Reine, première enfant

née dans cette cité ; un chaland où tous les miséreux

apprivoisaient leur dignité ? Elle symbolisait l’espoir.

.

Carmen Pennarun

photographie : Staihis Vlahos

L’arbre d’eau

David Joaquim

L’arbre d’eau

poésie d’une péniche

ainsi nommée

.

de Rennes à l’écluse du Boël

elle s’offre une escale

à Pont Réan où elle décide

de virer de bord

d’une lente manoeuvre

.

spectacle sur les berges

car la belle prend

la largeur de la Vilaine

.

je me suis souvenue

de Gigi Bigot

une conteuse que j’avais vue

avec mes petits élèves

.

la cale de rouge tendue

bruissait des rires

que la parole nomade

confiait aux âmes

jeunes puis elle filait

sur l’eau berçante

comme une matrice

.

les souvenirs sont étoiles

et l’enfance est un Art

qui les engrange toutes

*

*

n’être qu’une seule fois

moi toute entière

chair et eau

lumière et mots

.

libérée de la sécurité

amniotique. Loin

du giron de la douceur

où se noie la confiance

.

shame on me quand plane l’ombre

de l’aile d’un rapace dont je suis la proie

confondue

.

ne plus cacher mon visage

dans le creuset de mes mains

laisser le ciel inonder mon âme

.

il y a bien assez de sel sur Terre

je me refuse aux leurres de surface

.

mon coeur est une vallée

où affluent les cours d’eau

venus disperser les poisons

dans le lit du sentimentalisme

.

l’amour guide ma navigation

dans l’originalité de mes mémoires

baignées du chant de l’univers

.

la marque de la honte doit s’effacer

afin d’ouvrir l’espace au poème

il fraie en eaux profondes

.

seul mon être réconcilié

avec mon moi m’aime

ose s’en approcher

.

et mes paroles ne s’alignent

sur les actes que s’ils sont en voie

de congruence

.

la musique d’une vie

se joue sur un clavier flottant

*

*

je pense à vous, saisons,

ô vase fragile de l’instant

dépêché, quand l’hésitation

laisse en suspens l’urgence

d’un affleurement

.

j’incline vers l’astre solaire

la courbe du jour – entre tumulus

et passeur d’eau

.

je vais d’une rive du temps

à l’autre

j’engrange tous les couchants

jusqu’à ce que lèvent d’autres promesses

vives comme l’aube

.

quand glissent lumières en ombrelles

et que jonquilles et iris retrouvent

leur chant tandis que grimpent les saveurs

.

en secondes d’éternité

.

Carmen Pennarun