Paul et Fanny 3
Un chauffard le frôla dangereusement, de frayeur Paul faillit en perdre l’équilibre. Il préféra mettre pied à terre et poursuivre sa route en marchant sur le bas-côté, son vélo à la main.
Le trajet retour promettait d’être interminable, mais au moins il aurait la vie sauve et pourrait revoir sa belle demain !
Arrivé à son appartement il s’affala sur son futon, laissant son chat se rouler en boule contre lui et se laissant lui-même couler dans un sommeil tourmenté.
Sa mère était venue, elle avait déposé un bocal de potage ainsi qu’un plat mijoté par ses soins, mais tout cela allait attendre que le fiston retrouve l’appétit et prenne le temps de réchauffer
son repas au micro-onde !
Les lendemains matins étaient toujours pénibles. Mais pourquoi diable succombait-il à ce désir d’alcool ! Les pinsons le réveillèrent par leur chant et son esprit embrumé ne put même pas savourer
cet instant. En ouvrant sa porte-fenêtre, pour prendre un bol d’air, il surprit son chat aux prises avec une pie, la situation, cocasse, lui donna envie de rire mais cette gaîté soudaine
stimula sa gueule de bois. Mince alors, il ne sera pas frais aujourd’hui devant la si belle Fanny. De quelles couleurs allait-il la voir parée aujourd’hui ?
En ce jour de Printemps, la vie lui avait déjà envoyé deux raisons d’être joyeux, il sentait que le bonheur, il suffirait de le saisir comme on cueille une fleur, mais lui, la fleur qu’il
convoitait se prénommait Fanny et elle n’était pas accessible – du moins le pensait-il.
« Ah, Fanny, ma petite fleur enfermée dans une serre saturée de vapeurs d’alcool et entourée d’esprits tordus ! »
soupira-t-il … en se rasant.
La jeune fille, au même moment, était en train de se préparer. Assise devant sa coiffeuse elle essayait de faire tenir dans ses cheveux des fleurs de saison.
Il faut dire qu’elle était coquette, Fanny ! Les fleurs naturelles étaient sa touche d’originalité depuis peu, sa marque d’élégance. Sa mère, une femme charmante, l’avait élevée du mieux qu’elle
avait pu, elle lui avait transmis l’habitude du détail qui change tout. Avant, elle utilisait de simples accessoires pour agrémenter sa coiffure ou ses tenues de coupe classique… une façon de
respecter la féminité en elle.
Sa mère avait des talents de couturière, et le moindre morceau de tissu sous ses mains expertes se transformait en petite robe sobre, mais de bon goût pour sa fille. C’est grâce à ce tour de
magie que Fanny n’avait jamais attiré l’attention sur elle à l’école. On n’aurait jamais soupçonné que sa mère ne savait pas lire, et que sa fille et elle vivaient dans la pauvreté.
Ce matin Fanny était consternée. Quelle idée elle avait eu de se teindre des mèches d’une magnifique couleur fuchsia. La couleur en elle-même n’était pas déplaisante, mais il fallait bien
reconnaître qu’elle absorbait les délicates nuances des fleurs.
La preuve était là, l’artifice jamais ne rivalisera avec le naturel !
Un jour Fanny avait reçu une carte postale représentant le Printemps de Botticelli, et depuis, elle se réveillait chaque matin un quart d’heure plus tôt, temps qu’elle accordait à se coiffer
patiemment en intégrant des fleurs à sa chevelure. Tout en se parant elle pensait au mystérieux admirateur. Il avait écrit quelques mots au dos de la carte, lui révélant qu’à ses yeux elle était
belle comme la Vénus de la carte.
Ce fut une révélation pour Fanny. Sa beauté qui auparavant passait inaperçue, sembla du jour au lendemain illuminer sa personne. Elle était aimée !
« Pourquoi ne s’est-il pas dévoilé autrement, pourquoi est-il si discret et surtout qui est-il ? »
Les questions attendraient car elle devait rapidement sortir de son rythme indécis et choisir ses fleurs. Les pervenches, les violettes ne seraient pas pour aujourd’hui, on ne les remarquerait
pas avec ce maudit fuchsia. La teinture n’était pas définitive, Dieu merci !
« Allons, se houspilla-t-elle, il faut se décider en espérant avoir la main heureuse. Surtout, ne pas piquer n’importe quoi afin de ne pas ressembler plus à une composition d’Arcimboldo qu’à la
Vénus de Botticelli ! »
Les jonquilles tranchaient trop, restaient les pâquerettes, les premières de la saison !
Fi des hésitations, le jour allait être sous le signe de cette petite fleur des prés !
Fanny fixa donc quelques pâquerettes sur sa blonde et souple chevelure balayée de rose. Elle releva ses mèches de façon désinvolte, et ce fut une Fanny résolue qui sortit de sa chambre sans jeter
un dernier regard vers le miroir.
(à suivre)