Hyper motive-action

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Hyper motive-action

 

 

Que faire de tous ces mots ? Chiffonnés, ils le sont avant de naître ; tendres sépales dans le bourgeon comprimés. Ne faut-il pas
être recroquevillé avant d’oser l’ouverture, accepter les cocons successifs précurseurs de déploiements, attendre l’éclosion ?

À cet instant seulement qui n’accepte aucune 
précipitation
chaque fibre offerte à la vie s’oxygènera.

Parfois le repli terminal surprendra l’homme avant sa naissance… combien sommes nous vivant une existence intra- terre- utérine ?
Souffrance de gestations  qui dépassent le terme… dans l’ inconfort coulent les années tristes de rêves inassouvis.

La vieillesse accueille l’homme  de retour au flétrissement premier, un autre appel à
l’oxygène de l’eau, une attirance de sel… un temps de feu qui aligne la vie sur la matière desséchée, sans envie.

Peut-être vivons-nous sur terre pour apprendre à exprimer au mieux dans notre enveloppe corporelle l’oxygène de l’air, mais le désir
de mots se place sur un autre corps il est d’esprit… J’imagine, douce folie poétique, une enveloppe impalpable de finesse, une enveloppe de lumière qui elle aussi aspire à détendre  sa surface. Si je ne la défroisse  pas, ma naissance n’aura jamais  eu
lieu, ici, comme mon enfant je serai morte avant d’être née.

Les mots se lisent en mode son et lumière, ils empruntent de prunus en prunus l’écho rose que le Printemps diffuse et dans la clarté
d’une larme se déclinent toutes les valeurs. La plus pure est celle que la nature choisit à chaque saison..

Salon du livre de Paris

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Je serai, demain vendredi, au Salon du livre de Paris.
Je serai au stand de Planète Rêvée où je représenterai mon livre jeunesse « Rayon de Lune », mais j’apporterai quelques exemplaires de mon dernier recueil de poésie.
Si vous venez au Salon, arrêtez-vous pour me dire bonjour, même si vous n’avez plus d’enfant lecteur, j’en serai très heureuse !

Attente

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Attente

 

Gris glacis de la brume.. au crépuscule sus-

-pendu.… les goélands sentinelles guettent

la marée   Ribambelle plantée sur la
tangue

un promontoire que menace l’éboulement

 

L’heure est miroir.. et promesse de remous

La mer sera pleine…… …la vague arrive !

 

.

article 2

 

 

L’ article suivant montre de quelle façon je souhaite faire vivre la poésie. Le précédent retrace  mon parcours que le correspondant O F a eu l’amabilité de rédiger. Nous avons parlé
longtemps et j’imagine que ça n’a pas été évident pour lui de rassembler un maximum d’infos sur un article !

C’est vraiment exceptionnel que deux articles sortent, deux jours d’affilée !

Sur cette photo, la responsable de la médiathèque choisit une quinzaine de croquis sur les 47 que je lui ai apportés.

 

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Saveur des mots

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Saveur des mots

 

 

Elle s’en va murmurer poèmes à la nature
souffler ses mots d’amour à la perle d’eau

qui grisolle par temps de ruisseau capricieux

 

La beauté ne s’éclipse pas devant la puissance

elle ne s’incline pas non plus dans la vieillesse

elle est dans une armature pure et rebelle

insaisissable et violente comparse

 

Elle profane l’aurore du cœur

offre ses larmes à ciel découvert

renaît à chaque instant du nid des couleuvres

 

La beauté n’est pas unique

elle surprend par son pluriel

croisé sur un chemin d’ordinaire

et  se dérobe à tout rêve de mainmise

 

La beauté tant fatiguée s’embrume

l’iris précieux où s’affole une pupille

devient judas puis s’abandonne au loups vifs

 

Griffes et dents attaquent sa cataracte

d’un rire de plume la cécité recule

et l’harmonie sourd en grappes de vie

 

elle en  croque un à un les
grains

 

.

La porte

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La porte

 

Leur enfant n’est plus, alors ils ont abandonné la maison, mais ils n’ont pas laissé la porte.

Elle quittera avec eux la vallée où ils vécurent heureux. Il ne faisait pourtant pas beaucoup de bruit ce bonheur, il aurait pu passer
inaperçu, se laisser oublier et durer…

La charrette organise le voyage, des gens, des choses utiles pour l’exil sur terre, et de la porte.

Le vent pourra mugir entre les quatre murs, soulever la toiture qui n’a pas su les protéger.

La pluie alors pourra finir le travail, laver, noyer les souvenirs.

Ils s’en foutent des souvenirs, ils emmènent la porte et ils la planteront quelque part, dans un coin joli et tant pis si on ne
les comprend pas. Il faut bien commencer par quelque chose, pourquoi pas par la porte ! Quand elle s’ouvrira, où que ce soit, ils verront entrer la silhouette aimée, et ensuite seulement ils
laisseront le « nouveau » franchir le seuil… et chaque ami sera invité, il apportera sa pierre et la maison se construira de l’intérieur. Le bonheur ne se construit pas autrement. Après
avoir beaucoup erré, la pensée arrêtera leurs pas et  le temps, d’ici ou d’ailleurs se posera, en un lieu fertile où comme un arbre leur cœur tendra
ses  ramilles au souffle du printemps.

Marion et la fée du puits (fin)

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Marion et la fée du puits (fin)

 

Cela faisait beaucoup d’interrogations en peu de temps. Marion ressentait de l’appréhension sans être vraiment inquiète ;
Razunellou lui était devenu un compagnon protecteur et Kador l’avait senti bien avant elle en s’endormant paisiblement à ses pieds dès leur première rencontre. Elle baignait dans un nuage
d’incompréhensions. Elle avait le sentiment d’être à la porte d’un monde inconnu qui ne demandait qu’à l’aspirer mais qui se refusait à elle, à chaque fois qu’elle voulait avancer d’un pas. Elle
percevait également que le gnome, bien qu’il fut de son côté, ne lui donnerait pas les clés si facilement. C’était à elle de les gagner, voilà le défi qui lui était lancé !

 

À quoi penses- tu Demoiselle Marion ?  demanda Razunellou

Per gwirion n’eo ked mad da laret ! persifla t-elle.

Tu retiens bien mes leçons ou tu me fais la tête ?  chuchota t- il comme s’il ne voulait pas être entendu. Marion sourit en son for intérieur, elle venait de comprendre qu’elle n’aurait rien sans
ruser.

Non, je pensais à ma grand mère Rozenn, je n’en ai pas de souvenirs, si ce
n’est que Jeanne me dit toujours que je lui ressemble à s’y méprendre. Tu l’as connue, toi, Rozenn, peux tu m’en parler un peu ? »

C’est vrai, tu as le même visage, les mêmes cheveux, le même sourire et sans
doute aussi la même malice dans les yeux. Quand Rozenn voulait quelque chose, elle parvenait fréquemment à ses fins.

Les yeux de Razunellou se perdirent dans les nuages, il avait rajeuni tout d’un coup en se remémorant un temps à jamais révolu. Il n’y
avait pas de tristesse mais des scènes de lui seul connues, il était inaccessible. Marion s’éloigna un peu à la recherche de plantes, elle devait attendre qu’il revienne de son voyage dans ses
souvenirs. Elle avait repéré un endroit où poussaient des coquelicots. Elle savait cette plante décriée par son père qui la maudissait et la pourchassait de ses champs de blé, elle la savait par
contre appréciée de la Jeanne qui en faisait sécher les feuilles sous son hangar, un peu plus loin quelques touffes de luzerne firent son bonheur. En s’y prenant bien, ce serait là aussi un moyen
supplémentaire de faire parler Jeanne.

Vois comme le soleil est honteux aujourd’hui, il est allé se cacher sous la
jupe de la Marie Jeanne ! Il va bientôt pleuvoir. »

Et Rozenn, tu ne m’en as rien dit, petit rusé ! Je pensais que tu lui parlais
alors que tu t’amusais à prévoir le temps de cet après-midi.

Que voilà une bonne récolte, sais tu à quoi on peut les utiliser tes plantes
?

Non, mais j’ai déjà vu la Jeanne en cueillir beaucoup. Et Rozenn
? 

Il te faudra demander à Jeanne qu’elle t’initie à leurs secrets, cela te
servira beaucoup et ainsi, à mon avis, tu seras dans les pas de Rozenn. Vois ce nuage derrière lequel se cache le soleil, Rozenn y est installée et retourne vers la Roche aux Fées. Elle se plaît
là-bas et y a beaucoup de connaissances, pas toujours agréables d’ailleurs. Sais-tu que les fées n’apprécient pas toujours que les simples humains percent leurs mystères, elles sont capables de
vengeances. Je me souviens d’une jeune et belle bergère qui dans son insouciance ne se préoccupait pas de là où elle allait. Elle fut cependant attirée par le bêlement plaintif d’un agneau, tout
du moins c’est ce qu’elle imaginait avoir entendu, ainsi elle arriva dans le chaos de rochers où séjournaient les fées. Sa présence les fâcha et elles la retinrent prisonnière. Il fallut que les
nymphes de l’étang voisin envoient une mule enchantée afin qu’elle retrouve sa liberté.

Marion, en imagination, chevaucha aussitôt la mule magique, elle se déplaçait rapidement entre les rochers, retenant sa
respiration. Il ne fallait pas éveiller les soupçons. Son cœur battait la chamade ; heureusement que les nymphes avait créé un brouillard épais ! Déjouerait- elle les pouvoirs des
magiciennes ?
Était ce Rozenn cette bergère écervelée ?

 

Un ricanement de Razunellou la sortit de sa rêverie. Quelle ne fut pas sa surprise de voir que dans sa jupe relevée ne se trouvaient
plus les coquelicots, mais une grosse miche de pain.

Pourquoi as-tu pris mes fleurs ? s’indigna Marion.

« Les fleurs sont de saison

Le pain est de toujours ! » rétorqua le gnome en souriant.

« Tu reviendras en mai pour la cueillette. N’as-tu pas songé à un quelconque charme en le voyant fleuris en cette
saison ? »

Marion ne répondit rien, mais sa mine boudeuse révélait à quel point elle se sentait vexée d’avoir été prise en flagrant délit de
naïveté.

« Ne soyez pas susceptible, demoiselle ! » dit une voix. Marion reconnut la voix entendue dans le puits, mais cette
fois-ci elle vit la dame ! Elle se tenait, immense, devant le grand houx. Elle était pourtant de petite taille mais une aura de lumière semblait étirer sa silhouette verticalement. Ses
cheveux ondoyaient, ses vêtements, fluides et d’un vert tendre comme frondaison, dansaient autour de son corps évanescent. Marion était subjuguée.

– Tu t’habitueras aux espiègleries de Razunellou, il t’est apparu car la Jeanne quittera ce monde dans quelques lunes noires. Avant,
elle doit te transmettre son savoir.

Si tu souhaites voler libre comme la mule dans toutes les dimensions.

Si tu veux cueillir l’aurore au drapé du ciel.

Si tu veux puiser l’essence des plantes au limon de la terre,

et garder dans l’écrin de ton cœur l’or du soleil.

Enfin, si tu acceptes d’offrir ta vie à la douleur des hommes

et du bon pain à la gourmandise des fées…

Si tu acceptes tout cela, je t’offrirai ma protection.

Le veux-tu ?

– Oh oui, je veux bien ! s’exclama Marion.

– Alors tu lieras ta joie à la couleur des jours, et moi je me lie à toi pour l’éternité. Tu ne seras plus jamais désorientée.

Approche, Marion. Viens près de moi ! »

Marion comme hypnotisée, s’avança vers Margot. Celle-ci sortit d’une vasque vermeille, en forme de lys, que l’enfant n’avait pas
remarquée, un onguent couleur myosotis. Au contact de l’air il se transforma en cordon frais et parfumé. La fée l’enroula autour du corps de Marion en commençant par les pieds et en remontant
bien au-delà de sa tête. Marion sentit un fluide la parcourir, un courant sorti de terre et qui jaillissait au sommet de sa tête. Elle se sentit légère… légère… à un point tel qu’elle avait du
mal à maintenir ses pieds dans ses deux sabots !

« Faudra bien les garder, remarqua Razunelleou, sauf les nuits de pleine lune et à la Saint Jean ! »

La fée Margot avait disparu. Marion n’osa pas montrer sa déception, mais le gnome la rassura : « Tu la reverras, tu es
reliée à elle maintenant. Moi je suis attaché à la ferme, mais toi tu pourras explorer la lande. Tu pourras même rencontrer Rozenn. Je t’ai déjà dit où elle se trouve. Si tu m’as écouté, tu dois
t’en souvenir. »

Les jours suivants, Marion expérimenta ses nouveaux pouvoirs. Elle devenait invisible à volonté, se transformait, volait. C’était
grisant. Malgré tout, elle se montra prudente et n’élargit que progressivement ses sorties hors du réel.

En suivant le chemin des pierres, que les fées avaient laissées choir dans les champs alors qu’elles les transportaient – dur travail
même pour des fées ! – Marion arriva jusqu’à la Roche aux Fées.  Elle remarqua un cercle d’augure ; une empreinte de leurs
danses.  Elle sut que c’est là qu’elle reverrait sa grand-mère.

Marion revenait toujours de ses excursions avant que ses parents ne rentrent, et eux, la voyant absorbée par ses devoirs étaient loin
de soupçonner qu’elle avait pu s’absenter. Pourtant, Marion laissait des indices ; à chacune de ses sorties, elle déposait dans un broc des branchages ou des fleurs qu’elle avait
cueillis.

Jeanne lui apprit à récolter et conserver les plantes. Elle découvrit toutes leurs vertus.

Son père, quant à lui, transmis à sa fille les secrets de la fabrication du pain. Elle avait bien changé la petite Marion depuis son
initiation féérique !

Auparavant, elle refusait de s’intéresser à la « boulange ». Il faut dire que petite elle avait vécu une méchante
expérience ;  elle était tombée dans le pétrin ! Eh oui, curieuse comme pas deux et touche à tout, elle voulait elle aussi brasser la pâte,
alors elle s’était hissée sur un banc, et elle avait basculé dans la maie. Elle avait eu du mal à sortir de l’auge en bois, elle avait craint qu’on ne l’enfourne toute vive ! Maintenant,
avec son cordon magique elle était protégée de telles mésaventures !

Marion assistait son père du mieux qu’elle le pouvait ; elle ramassait les cendres de bois à l’aide du liboudenn et le fournier
lui accordait ensuite le droit d’utiliser le chaud du four.

À chaque fournée, Marion façonnait pour Margot un pain gros comme une lune
pleine et elle apportait son présent auprès du puits où elle  chantait : «  Au doux lait, au bon beurre, le pain n’est point
brûlé ! »

Durant de longues années la ferme fut prospère, mais le hameau se dépeupla quand les hommes partirent travailler à la
ville.  Marion partit à son tour, la dernière… et le site tomba dans l’oubli. On ignora même les mégalithes de Saint-Just jusqu’au jour où un incendie
spectaculaire dévoila la richesse du site.

Les hommes revinrent et Margot les reçut.

Des creusons occupés à forer un puits entendirent alors qu’ils soulevaient un palis : « Va dire à la fille de ta fille,
qu’elle aille dire à la fille de sa fille, qu’elle apporte le pain au four.»

 

Les fées attendent les hommes et jamais ne se lassent. Sommes-nous toujours prêts à leur répondre ?

 

Fin

Marion et la fée du puits (suite 2)

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Marion et la fée du puits (suite 2)

 

 

Marion avait vu Razunellou.

 

Il en était bien question parfois, le soir autour de la cheminée, de Razunellou, mais toujours à  mi-voix et une atmosphère bizarre épaississait à chaque fois le mystère. Àces évocations, Marion avait l’impression que ses parents tentaient de lui cacher quelque chose, de vouloir la préserver  de quelque danger impalpable, mais bon, c’était sans doute un truc d’adultes. Et voilà qu’il était là, devant elle sans que Jeanne ne se sente gênée par leur
rencontre.

Razunellou se mit à chantonner :

«  Allez mon ami,

Viens rouler dans la poussière,

Sauter et rire dans les clairières,

Réjouir nos amies les pierres,

Viens mon ami … »

De la cheminée descendit la mélodie sourde  d’un duo de bombardes en parfait accord avec
la voix déjà bien mûre  du nain. C’était gai, virevoltant, léger comme  l’une de ces gavottes vives où
les jeunes hommes effectuent les sauts les plus spectaculaires possibles afin d’attirer les faveurs de leur princesse de cœur ! Il se disait même que certains s’entraînaient dur avant les
quelques soirées de réjouissances dans le pays ! En tout cas, Marion la préférait à la fameuse danse du loup, très martelée, un véritable rituel sensé chasser les prédateurs des campagnes
mais qui lui faisait faire des cauchemars la nuit suivante.

 

Soudain elle s’aperçut que Kador, pourtant très sourcilleux avec l’étranger d’habitude, s’était couché non loin de ce gnome et, à
entendre ses premiers ronflements, il devait déjà chasser le lapin dans la lande. Marion se détendait.

 Ne crains rien petiote, dit Jeanne, il ne te fera aucun mal. Ecoute-
moi, je vais te conter une partie de son histoire, ce que je crois en savoir, et surtout garde la pour toi, ne t’en vas pas la semer à tout vent ! Razunellou habite ma maison depuis très
longtemps, ma grand-mère me disait qu’il était déjà là du temps de sa grand-mère à elle. Il était arrivé comme ça, un soir de très gros orage et il s’était installé sans autre façon. Depuis son
arrivée on avait remarqué que les récoltes étaient meilleures, que nous avions moins faim au creux de l’hiver. Tu sais, nous autres les petits, avons bien besoin d’aide pour vivoter et ils n’en
sont pas chiches les korrigans quand on ne les moque pas. Par contre, ils savent très bien, par leur espièglerie, te jouer des tours pendables si tu leur manques de respect. J’ai l’impression que
tu lui plais déjà, Je me demande s’il n’a pas remarqué que tu ressemblais comme deux gouttes d’eau  à ton arrière-grand-mère Rozenn. Et Razunellou
n’était jamais loin de Rozenn, il se disait qu’il avait reçu mission des Fées d’Essé de la protéger comme un trésor. On n’a jamais su pourquoi mais longtemps  après sa mort, il n’était pas rare de voir les magiciennes venir lui tenir compagnie au cimetière. C’est un mystère que je n’ai jamais cherché à
percer. 

Le nain, indifférent au bavardage de Jeanne lissa son feutre et quitta la pièce en sautillant, reprenant une nouvelle fois sa mélodie.
Les bombardes invisibles lui emboîtèrent le pas. Avant de sortir, il se retourna et d’une voix très douce, comme un conseil, il lâcha :

Per gwirion n’eo ked mad da laret !  (« Toute vérité n’est pas bonne à dire ! »
chuchota Jeanne ).

Puis il reprit sa ritournelle et s’éloigna.

Marion ne savait plus ce qu’il en était. Était ce un rêve ? Un cauchemar ? Quelque facétie ou mauvais tour que des adultes se plaisaient parfois à jouer aux enfants ? Pourtant, les griffures
sur ses jambes étaient bien là et lui rappelaient douloureusement la réalité.

 Tu m’as l’air d’avoir faim, s’inquiéta Jeanne, veux-tu un petit quelque
chose ? 

La gamine acquiesça de la tête et s’assit sur le banc de chêne. Jeanne souleva le couvercle de la terrine en terre qui trônait sur la
table. Une douce odeur chaude lui titilla les narines et la fit aussitôt saliver. Elle se demanda un court instant par quelle magie, par quel tour de malice, il se pouvait que son plat préféré
soit là, à bonne température ; elle y plongea avec gourmandise sa cuiller sans se poser plus de questions pour l’instant…

 

Le lendemain, quand Marion ouvrit les yeux, elle fut surprise de constater qu’elle avait dormi dans son lit. Elle ne se souvenait pas
s’y être couchée. Sa mère la regardait avec tendresse.

  Qu’est-ce qu’il y a
maman, dit-elle,  pourquoi je ne suis plus chez la Jeanne ?

Tu t’es endormie sur la table après avoir mangé comme une ogresse le Kig ar
farz qu’elle t’avait servi. C’est le père qui t’a portée jusqu’ici ! Cette nuit, tu t’es agitée en vraie diablesse,  ma fille. Pour sûr, tu
t’es montrée bien trop gourmande hier soir, faudra le dire à confesse ! 

Sa mère ne pipa mot  des évènements de la veille. Se pourrait-il que Jeanne n’ait rien
dit ?

 

À peine débarbouillée Marion alla s’enquérir auprès de la
voisine.

Mais ma petite, il faut savoir que
toute vérité n’est pas bonne à dire, lui rétorqua la vieille femme.  C’est la première leçon que tu dois retenir, elle vaut de l’or car ce sont les
korrigans qui me l’ont transmise. Cette pensée tu la gardes là, dit Jeanne en pointant son index noueux sur la tempe de l’enfant,  là, dans un coin de
ta tête, et elle viendra sonner bombarde avant que tu ne parles pour dire des bêtises qui affoleraient les braves.

Cette perspective des plus bruyantes affola Marion qui depuis son plus jeune âge fuyait le talabarder et le bruit sourd de sa
bombarde. Son père se moquait d’elle lorsqu’il la voyait partir en se bouchant les oreilles, il disait qu’elle n’était pas une vraie Bretonne pur beurre !

D’abord ce n’était même pas vrai, parce que Marion adorait le beurre et en plus elle n’avait pas à avoir honte de ses peurs.
N’avait-elle pas  vu Razunellou ?

Il est où Razunellou ? demanda-t-elle à Jeanne.

Tu ne le verras que le soir, lui répondit Jeanne qui penchée sous le linteau
de la cheminée pestait contre les bûches qui n’étaient pas assez sèches.

Marion sortit dans la cour, elle ne pût s’empêcher d’aller traîner près du puits où tout semblait « normal ». Elle
chantonnait malgré tout : «  Razunellou, hou hou hou, Razunellou où es-tu ? Razunellou pieds de bouc ! ».

Tout à coup les branches du grand houx se mirent à trembler sans que le moindre souffle de brise ne vienne à passer, et Marion
entendit un bruit de clapotis comme si  des gouttes de pluies barataient l’eau d’une mare. Mais il ne pleuvait pas. Alors l’enfant prêta l’oreille,
au-delà des bruits familiers de la ferme, et elle entendit :

Un, deux, trois,
cresson !  une comptine  récitée  par une voix
d’aigrette.

T’en fais pas fiston, répondit une voix charmante

V’la la fille du fournier d’à c’t’heure, la fille de la fille de la fille de
Rozenn, dame Margot ! reprit la voix d’aigrette.

Celui qui ne cuit pas le pain n’est que cherchou de pain ! Damoiselles
ou damoiseaux mettez donc la main au feu et à la pâte ! déclara la voix de Margot.

Alors Marion regarda sous le houx et elle vit Razunellou  qui semblait attendre, le
menton posé dans le creux de sa main, de l’autre main il portait à la bouche un brin d’herbe qu’il mâchait.

– Ah, je savais bien que je te retrouverais ! s’exclama Marion

– Ben oui, qui croit ses rêves les voit, et moi j’suis toujours là aux services des cœurs  de bon aloi !

– Razunellou, faut pas mâcher n’importe quoi ! sermonna Marion.

– N’importe quoi ! Du thym sauvage.  N’importe quoi ? Tu ne te souviens pas que
la Jeanne t’a sauvé la vie avec de la tisane de serpolet alors que tu allais mourir du chapelet ?!

Marion avait entendu cette histoire, mais elle ne se souvenait pas de sa vie de bébé. Elle savait que Jeanne soignait
les maladies des enfants en recommandant aux parents d’aller chercher dans la nature des simples. Qu’est-ce qui guérissait les malades ;  la
nature, les prières de Jeanne ou la confiance des parents qui prenaient le temps de cueillir les plantes, qui laissaient  lentement frémir  le breuvage destiné à l’enfant ? Le temps donné, n’est-il pas marque d’amour, un signe d’appel ou de rappel à la vie ?  

En suivant le cours de ses pensées Marion ressentit le goût de la diète qu’elle avait vécue alors qu’elle était enfant malade. Les
souvenirs étaient intacts, elle portait encore en elle la saveur de serpolet, de la mie de pain longuement mâchée. Le korrigan semblait lui ré-infuser sa mémoire, non pas seulement au niveau du
savoir, mais surtout par  les sensations.

« Pas de vie sans eau

Eau saveur des simples

Simple comme du bon pain ! » fredonna Razunellou.

Ces invocations eurent sur Marion un effet étrange, elle éprouva une sorte de vertige et elle entendit, comme dans un
rêve,  la voix de Margot la fée, venant du puits,  dire : « Puisque tout meurt,
cessons ! »

 

(à suivre)