Marion et la fée du puits (fin)
Cela faisait beaucoup d’interrogations en peu de temps. Marion ressentait de l’appréhension sans être vraiment inquiète ;
Razunellou lui était devenu un compagnon protecteur et Kador l’avait senti bien avant elle en s’endormant paisiblement à ses pieds dès leur première rencontre. Elle baignait dans un nuage
d’incompréhensions. Elle avait le sentiment d’être à la porte d’un monde inconnu qui ne demandait qu’à l’aspirer mais qui se refusait à elle, à chaque fois qu’elle voulait avancer d’un pas. Elle
percevait également que le gnome, bien qu’il fut de son côté, ne lui donnerait pas les clés si facilement. C’était à elle de les gagner, voilà le défi qui lui était lancé !
– À quoi penses- tu Demoiselle Marion ? demanda Razunellou
– Per gwirion n’eo ked mad da laret ! persifla t-elle.
– Tu retiens bien mes leçons ou tu me fais la tête ? chuchota t- il comme s’il ne voulait pas être entendu. Marion sourit en son for intérieur, elle venait de comprendre qu’elle n’aurait rien sans
ruser.
– Non, je pensais à ma grand mère Rozenn, je n’en ai pas de souvenirs, si ce
n’est que Jeanne me dit toujours que je lui ressemble à s’y méprendre. Tu l’as connue, toi, Rozenn, peux tu m’en parler un peu ? »
– C’est vrai, tu as le même visage, les mêmes cheveux, le même sourire et sans
doute aussi la même malice dans les yeux. Quand Rozenn voulait quelque chose, elle parvenait fréquemment à ses fins.
Les yeux de Razunellou se perdirent dans les nuages, il avait rajeuni tout d’un coup en se remémorant un temps à jamais révolu. Il n’y
avait pas de tristesse mais des scènes de lui seul connues, il était inaccessible. Marion s’éloigna un peu à la recherche de plantes, elle devait attendre qu’il revienne de son voyage dans ses
souvenirs. Elle avait repéré un endroit où poussaient des coquelicots. Elle savait cette plante décriée par son père qui la maudissait et la pourchassait de ses champs de blé, elle la savait par
contre appréciée de la Jeanne qui en faisait sécher les feuilles sous son hangar, un peu plus loin quelques touffes de luzerne firent son bonheur. En s’y prenant bien, ce serait là aussi un moyen
supplémentaire de faire parler Jeanne.
– Vois comme le soleil est honteux aujourd’hui, il est allé se cacher sous la
jupe de la Marie Jeanne ! Il va bientôt pleuvoir. »
– Et Rozenn, tu ne m’en as rien dit, petit rusé ! Je pensais que tu lui parlais
alors que tu t’amusais à prévoir le temps de cet après-midi.
– Que voilà une bonne récolte, sais tu à quoi on peut les utiliser tes plantes
?
– Non, mais j’ai déjà vu la Jeanne en cueillir beaucoup. Et Rozenn
?
– Il te faudra demander à Jeanne qu’elle t’initie à leurs secrets, cela te
servira beaucoup et ainsi, à mon avis, tu seras dans les pas de Rozenn. Vois ce nuage derrière lequel se cache le soleil, Rozenn y est installée et retourne vers la Roche aux Fées. Elle se plaît
là-bas et y a beaucoup de connaissances, pas toujours agréables d’ailleurs. Sais-tu que les fées n’apprécient pas toujours que les simples humains percent leurs mystères, elles sont capables de
vengeances. Je me souviens d’une jeune et belle bergère qui dans son insouciance ne se préoccupait pas de là où elle allait. Elle fut cependant attirée par le bêlement plaintif d’un agneau, tout
du moins c’est ce qu’elle imaginait avoir entendu, ainsi elle arriva dans le chaos de rochers où séjournaient les fées. Sa présence les fâcha et elles la retinrent prisonnière. Il fallut que les
nymphes de l’étang voisin envoient une mule enchantée afin qu’elle retrouve sa liberté.
Marion, en imagination, chevaucha aussitôt la mule magique, elle se déplaçait rapidement entre les rochers, retenant sa
respiration. Il ne fallait pas éveiller les soupçons. Son cœur battait la chamade ; heureusement que les nymphes avait créé un brouillard épais ! Déjouerait- elle les pouvoirs des
magiciennes ? Était ce Rozenn cette bergère écervelée ?
Un ricanement de Razunellou la sortit de sa rêverie. Quelle ne fut pas sa surprise de voir que dans sa jupe relevée ne se trouvaient
plus les coquelicots, mais une grosse miche de pain.
– Pourquoi as-tu pris mes fleurs ? s’indigna Marion.
« Les fleurs sont de saison
Le pain est de toujours ! » rétorqua le gnome en souriant.
« Tu reviendras en mai pour la cueillette. N’as-tu pas songé à un quelconque charme en le voyant fleuris en cette
saison ? »
Marion ne répondit rien, mais sa mine boudeuse révélait à quel point elle se sentait vexée d’avoir été prise en flagrant délit de
naïveté.
« Ne soyez pas susceptible, demoiselle ! » dit une voix. Marion reconnut la voix entendue dans le puits, mais cette
fois-ci elle vit la dame ! Elle se tenait, immense, devant le grand houx. Elle était pourtant de petite taille mais une aura de lumière semblait étirer sa silhouette verticalement. Ses
cheveux ondoyaient, ses vêtements, fluides et d’un vert tendre comme frondaison, dansaient autour de son corps évanescent. Marion était subjuguée.
– Tu t’habitueras aux espiègleries de Razunellou, il t’est apparu car la Jeanne quittera ce monde dans quelques lunes noires. Avant,
elle doit te transmettre son savoir.
Si tu souhaites voler libre comme la mule dans toutes les dimensions.
Si tu veux cueillir l’aurore au drapé du ciel.
Si tu veux puiser l’essence des plantes au limon de la terre,
et garder dans l’écrin de ton cœur l’or du soleil.
Enfin, si tu acceptes d’offrir ta vie à la douleur des hommes
et du bon pain à la gourmandise des fées…
Si tu acceptes tout cela, je t’offrirai ma protection.
Le veux-tu ?
– Oh oui, je veux bien ! s’exclama Marion.
– Alors tu lieras ta joie à la couleur des jours, et moi je me lie à toi pour l’éternité. Tu ne seras plus jamais désorientée.
Approche, Marion. Viens près de moi ! »
Marion comme hypnotisée, s’avança vers Margot. Celle-ci sortit d’une vasque vermeille, en forme de lys, que l’enfant n’avait pas
remarquée, un onguent couleur myosotis. Au contact de l’air il se transforma en cordon frais et parfumé. La fée l’enroula autour du corps de Marion en commençant par les pieds et en remontant
bien au-delà de sa tête. Marion sentit un fluide la parcourir, un courant sorti de terre et qui jaillissait au sommet de sa tête. Elle se sentit légère… légère… à un point tel qu’elle avait du
mal à maintenir ses pieds dans ses deux sabots !
« Faudra bien les garder, remarqua Razunelleou, sauf les nuits de pleine lune et à la Saint Jean ! »
La fée Margot avait disparu. Marion n’osa pas montrer sa déception, mais le gnome la rassura : « Tu la reverras, tu es
reliée à elle maintenant. Moi je suis attaché à la ferme, mais toi tu pourras explorer la lande. Tu pourras même rencontrer Rozenn. Je t’ai déjà dit où elle se trouve. Si tu m’as écouté, tu dois
t’en souvenir. »
Les jours suivants, Marion expérimenta ses nouveaux pouvoirs. Elle devenait invisible à volonté, se transformait, volait. C’était
grisant. Malgré tout, elle se montra prudente et n’élargit que progressivement ses sorties hors du réel.
En suivant le chemin des pierres, que les fées avaient laissées choir dans les champs alors qu’elles les transportaient – dur travail
même pour des fées ! – Marion arriva jusqu’à la Roche aux Fées. Elle remarqua un cercle d’augure ; une empreinte de leurs
danses. Elle sut que c’est là qu’elle reverrait sa grand-mère.
Marion revenait toujours de ses excursions avant que ses parents ne rentrent, et eux, la voyant absorbée par ses devoirs étaient loin
de soupçonner qu’elle avait pu s’absenter. Pourtant, Marion laissait des indices ; à chacune de ses sorties, elle déposait dans un broc des branchages ou des fleurs qu’elle avait
cueillis.
Jeanne lui apprit à récolter et conserver les plantes. Elle découvrit toutes leurs vertus.
Son père, quant à lui, transmis à sa fille les secrets de la fabrication du pain. Elle avait bien changé la petite Marion depuis son
initiation féérique !
Auparavant, elle refusait de s’intéresser à la « boulange ». Il faut dire que petite elle avait vécu une méchante
expérience ; elle était tombée dans le pétrin ! Eh oui, curieuse comme pas deux et touche à tout, elle voulait elle aussi brasser la pâte,
alors elle s’était hissée sur un banc, et elle avait basculé dans la maie. Elle avait eu du mal à sortir de l’auge en bois, elle avait craint qu’on ne l’enfourne toute vive ! Maintenant,
avec son cordon magique elle était protégée de telles mésaventures !
Marion assistait son père du mieux qu’elle le pouvait ; elle ramassait les cendres de bois à l’aide du liboudenn et le fournier
lui accordait ensuite le droit d’utiliser le chaud du four.
À chaque fournée, Marion façonnait pour Margot un pain gros comme une lune
pleine et elle apportait son présent auprès du puits où elle chantait : « Au doux lait, au bon beurre, le pain n’est point
brûlé ! »
Durant de longues années la ferme fut prospère, mais le hameau se dépeupla quand les hommes partirent travailler à la
ville. Marion partit à son tour, la dernière… et le site tomba dans l’oubli. On ignora même les mégalithes de Saint-Just jusqu’au jour où un incendie
spectaculaire dévoila la richesse du site.
Les hommes revinrent et Margot les reçut.
Des creusons occupés à forer un puits entendirent alors qu’ils soulevaient un palis : « Va dire à la fille de ta fille,
qu’elle aille dire à la fille de sa fille, qu’elle apporte le pain au four.»
Les fées attendent les hommes et jamais ne se lassent. Sommes-nous toujours prêts à leur répondre ?
Fin