Recueil de poésie : L’Escale inévitable

Ce recueil sortira bientôt. Il pourra être commandé auprès de moi ou auprès de la librairie en ligne Publédit. Pour les Rennais je déposerai quelques exemplaires dans les librairies (L’Encre de Bretagne, Le Failler, Le Forum)

Voici le texte de quatrième de couverture :

« RESPIRER, poème invisible, toi !
espace-univers de pur échange et de toujours
au coeur de l’être, et balancier
d’où je me fais, en cadence, advenir. »

Ce quatrain de Rainer-Maria Rilke, relevé dans Les Sonnets à Orphée et traduit par François Dominique, nous révèle tout ce que la poésie peut éclairer dans nos vies.
Ne sommes-nous pas comme l’océan, animés par le perpétuel mouvement de nos émotions ?
Chaque ondulation, chaque tempête permet l’irrigation de notre terre que le soleil de la sensibilité a converti en désert.
Cependant, quelque part en nous veille, plus vif que l’onde qui l’a annoncé, un capitaine.
La poésie invite à l’écoute des éléments, elle entonne un chant auquel notre nature profonde réplique, en canon. Elle ouvre la voie au consentement, à l’harmonie, instaure une respiration nouvelle qui nous permet d’atteindre les rivages apaisés de l’être.
Les mots du recueil de Carmen Pennarun nous embarquent, après une traversée de mer mauvaise, vers un horizon qui n’est autre que celui de l’accueil à soi même.

Prénom : Lucas

Ce n’est pas un dédoublement de personnalité, même si le phénomène peut paraître étrange à l’entendement ordinaire.
Tout se passe comme si il y avait quelqu’un en moi pour qui le prénom « Lucas » était familier.
Le simple fait de le prononcer revient à tirer sur un fil à bâtir et tous les souvenirs imaginaires
échappés d’un ouvrage dont la réalisation m’échappe viennent filer doux leurs soupirs.
Ce prénom, que je ne prononce jamais, vient mourir sur mes lèvres ; il esquisse, sur la langue du cœur, une présence faite de rêves non concrétisés.
Les rêves d’un ancêtre dont je ne serais pas l’unique héritière, mais envers qui j’aurais des devoirs en tant qu’exécuteur testamentaire.
Je dis « Lucas » et je pense peinture, une peinture comme une immense toile d’araignée dans laquelle je me prends les pieds, car la peur m’y enferre, alors que j’ai à l’esprit la conscience de pouvoir rebondir.
Ce prénom appelle une réponse. N’attend qu’un Oui. Lucas est un cri qui ne peut qu’être entendu.
Ce n’est pas le cri du nouveau né, celui qui annonce l’inspire et qui met en route le mécanisme de la vie,
c’est un cri plus mûr, plus rauque, un cri venu du profond du non-être. Un cri qui retourne notre propre terre,
à la recherche de ce qui ne peut plus souffrir l’enfouissement.

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Carmen P.
illustration : Plinio Nomellini

Sens nocturne

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Chaque jour réalise
le plein des sens
que la nuit convertit
en pépites oniriques

Les songes, parfois, conçoivent de drôles d’habitats où il nous est demandé d’éclore à la transparence.

Pureté du regard porté, acceptation et émerveillement,
tout lieu où nous sommes placés répond à nos attentes intimes.

C’est ainsi que d’une serre, je suis devenue la locataire.
Je sortais d’un lieu où j’étais prisonnière, on m’offrait ce jardin d’hiver.

L’horizon, depuis cette maison, derrière ses rideaux de feuilles
ouvrait mon mental à d’autres perceptions.

Les serpents du dehors pouvaient siffler, les regards tenter de percer ce que la pureté était sensée leur soustraire…
en ce lieu je devins caméléon et l’invisibilité m’habilla de sa peau.

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Carmen P.

L’Ensauvagé d’Héloïse Combes

L’Ensauvagé écrit par Héloïse Combes et publié chez Marivole.

L’enfance de François et Lise s’écoule , heureuse et semi vagabonde, entre l’amour d’un mère au tempérament limpide et gai qui leur laisse entière liberté pour explorer la campagne autour de Gargilesse où ils habitent, et l’attrait de cette nature qui les imprègnera à vie. Cette nature si généreuse leur offre ses chemins envahis de ronces, ses entrelacs de branches, ses essences variées, ses pierres abandonnées – autant de multiples refuges pour ces petits Robinsons qui découvrent un impérissable sentiment de toute puissance, d’équilibre affectif, dans ce monde pour peu qu’il demeure naturel et authentique.

L’Ensauvagé est écrit à la deuxième personne, car la narratrice, Lise, s’adresse à ce frère, trop tôt disparu, ce jumeau de cœur qu’elle n’oubliera jamais et à qui elle dédie le livre, ainsi qu’à « tous ses frères sauvages du Berry ».

Dans le village de Gargilesse les enfants côtoient des adultes qui ont fait le choix – ou non – de vivre, retirés, dans cette région et qui, comme eux, chacun à leur façon, ont appris à entendre, à comprendre, à faire corps avec le paysage.
Cette enfance sauvage n’a cependant pas permis à François d’inscrire ses rêves dans un projet de vie ordinaire. Mener un jour une existence conventionnelle lui était impossible. Il est revenu au village cependant, après en avoir été éloigné par un père inquiet. Il est revenu, tenter de vivre une existence marginale, mais son âme vagabonde l’a emporté vers d’autres lieux, ignorés de tous. Emporté, comme saisi par l’apparition d’un double arc-en-ciel au-dessus des champs. Certains êtres ont cela d’extraordinaire qu’ils fondent leur vie sur la poésie d’un instant.
Lise est restée seule à habiter le village, endossant la magie du présent, tout en portant, par son souffle de vie même, l’amour suspendu au souvenir de ce « frère au talent singulier ».

Ce livre est un enchantement. Un texte à comprendre avec le cœur ; certains êtres ont ce pouvoir d’obéir à des signes que les autres personnes ignorent.
Le visage de l’enfant de première de couverture paraît familier, son regard profond, pourtant éloigné, nous semble si proche.

Un extrait du livre :
« Je ne sais alors ce qui me serre le plus le cœur. Est-ce le fait d’être la seule, l’unique, à connaître ton antre secret, ce drôle de havre en pagaille où, placé sous la protection du Chêne Eclat, ton garde pourfendu, tu passes les nuits clandestines. Est-ce la lumière et cette impression de silence par-delà la musique du réel, comme si nous vivions un moment qui serait à la fois en dehors de l’imaginable et au centre de tout. Est-ce la vision de ce bouquet de fleurs, ce bleu limpide et comme vivant, ce bleu qui, une fraction de seconde, m’a bousculée comme si tout découlait de lui ou qu’il contenait tout en lui, les sons et ce silence, la lumière d’automne et en filigrane une autre lumière encore plus douce, notre enfance déjà en train de s’effacer et pourtant souveraine, une impression que nous pourrions mourir dans l’instant, disparaître de la surface de la terre tout en y demeurant, une sensation à la fois toute simple et vertigineuse d’éternité. »

Carmen Pennarun

Sauras-tu ?

Sauras-tu grandir jusqu’à ce chant d’oiseau
sans maudire le vacarme
des vagues qui charrient la falaise
Sauras-tu attendre
les épousailles du soleil avec les dunes
Sauras-tu supporter
les marées hurlantes de l’hiver
les remous insistants du mésaise
Sauras-tu te hisser
jusqu’à l’insupportable
et enfin délivré
assis près des brisants
compter les aubes qui ne cessent de renaître
et bénir la mer de tous les oublis
où s’envasent tant d’épaves ?

.
Carmen P.
peinture : oil on wood panel de Stanka Kordic

Nos mains

La main se tend vers la lumière
elle ouvre la voie à l’intention du vol
elle l’encourage
à s’affranchir de son appui

le prolongement de la main est l’envol de l’oiseau

par quel miracle
un geste
que cinq doigts couronnent
parvient-il à insuffler l’élan,
alors qu’une pulsion – archaïque –
hurle au manque, aspire à la retenue
de toute vie qui apporte sa part de joie ?
Je t’aime. Je te retiens. Je détrône la liberté
par crainte, par égoïsme, par ignorance face à la vie

le prolongement de l’amour est le consentement à la liberté d’autrui,
à l’heure qui est la sienne, et chacun se retrouve dans la timidité d’un lieu
où l’espace accordé à l’autre rejoint l’espace libéré en soi…

.
C.P.

.
… et toujours la main dans cette pensée confiée à la prose :

Dans le creux de nos mains se lisent nos élans et nos ruptures.
Accepter de desserrer les poings, et les pensées cessent
de se heurter aux freins que nous leur imposons.
Nos rêves tentent de passer la barrière de l’inconscience, et,
au moment même où ils la pulvérisent, nous leur opposons une résistance
qui les fige instantanément, quand elle n’égrène pas leur pouvoir.
Nous avions des rêves, émergés du plus profond de notre ciel,
et nous nous retrouvons avec des oeuvres de terre.
Pourtant, même ces réalisations, ordinaires,
nous devons nous réjouir de les avoir concrétisées.

Les lignes de la main trahissent le tracé de nos désirs dans la réalité de la chair.
Elles se lisent à la lumière du coeur, comme une carte révélant la géologie de notre corps subtil.

.
Carmen P.

Une lettre

.
Quel mot d’amour
vas-tu glisser dans l’enveloppe
du jour ?

Un poème serait bienvenu
mais ne risque -t-il pas
en magnifiant la douleur
de te duper toi-même ?

En vérité, l’amour se délivre
jusque dans l’abondance
du plus parfait
dénuement

Écris l’ordre du pauvre
le peu se partage
divinement

.
Carmen P.

Jour ordinaire

.
au pied du calvaire
la mémoire d’une mère en miettes

.
le cerisier foudroyé
augure pluie de pétales

.
Il ne désespère de rien
l’homme qui a porté sa charge de vie

.
avant les giboulées
la présence des enfants autour du père

.
oubliées les erreurs
les saisons confirment l’amour

.
face au juge
l’arbre familial affermit ses racines

.
le jour retranche
ce qu’il donne d’éternité aux saisons

.
Carmen P.

Bleu, terre et ciel.

Dans le noir et blanc de la vie, écrire perce une ouverture, par cette déchirure s’immisce le bleu…
quand j’écris, les mots filent, se diffusent, dans l’océan des pensées non stratifiées.
Qu’ils gardent leur énergie première, sans l’ombilic d’une reliance.
Leur nature affranchie du moi s’aime à merveille !

.

Quand les derniers éclats
de nos désirs s’effacent
nous soulevant à bout de rêve
l’aurore nous affrète
la prouesse d’une île
qu’un zeste d’amour déplace

.

le bleu était d’enfance
quand la mer était grande
et la pluie, pétillante

l’ange était fraternel
dans tous nos jeux de marelle
sautillant jusqu’au ciel

et les épis d’or des gerbes
préparaient l’abondance
à nos espérances, en herbe

.

Écrire aime à tristesse
Écrire, rive où se l’amantent
tous ces mots qui brouillonnent
les uns à la fuite des autres. Oh, sens !

Les « peau-èmes » graminent , sauvages,
tout se concentre en beauté
et l’envie d’en rire
caresse d’une aile hésitante
l’or des champs
qui toujours sera doux blé
au goût de terre
écumant de revenir.

.
Dès que je bouge, le chat se lève, feignant la synchronicité.
On le croit occupé à quelques frasques, mais non, il nous colle aux basques.
Quand notre regard en retour l’interroge, il minaude d’un air candide.
C’est la vie qui ronronne à mailles serrées, en sa présence,
la solitude devient chimère aussi furtive qu’une souris dont il fait son affaire.

.
le ciel, sévère
et l’âne
sa douceur légendaire

à quelqu’ami
de passage, au pré
faut-il que je braie
ma détresse, cithare

.

J’ai ouvert la cage au ciel
et les oiseaux viennent s’y baigner
puis ils repartent vers d’autres jardins
où roses s’épanouissent les pensées
quand poussent des ailes aux mots passe-muraille.

.
Carmen P.
illustration Ansel Adams

Tigres de paille

Ces textes, regroupés ici, ne sont pas gais. Ils parlent de vie, pourtant.
Promis, les suivants, déjà écrits, seront plus légers !

I
rêve

J’allais par les méandres
de mon esprit endormi
partir pour un voyage
avec tous mes enfants
et même avec la « petite »
qui n’est pas encore née.
Par cette nuit de neige
je ne l’avais pas habillée
et ma mère me prodiguait
des conseils pour sa sécurité.
.
Elle était là, ma mère
debout, lucide, et jeune…
Oubliée la chaise roulante !
.
Le rêve est la maladie de mémoire
des jours qu’Alzheimer déforme.
Ainsi, aux petits pas des nuits
et des jours qui se suivent
se recrée l’équilibre d’une vie
digne de ton nom, maman,
et je dirai à ta famille
et même à l’enfant
qu’un ventre maternel cocoone,
là-bas, loin de nous seuls,
combien tu fus, pour nous tous,
une mère attentive et aimante.

II
Bernadette

Quand il faut nourrir sa mère comme une enfant,
l’entendre pleurer et appeler sa maman,
on voudrait pouvoir restaurer ses cellules,
dissoudre les chagrins, les peurs cristallisés.
Mais cela ne se peut car un « aimant » plus fort
s’est emparé d’une âme – en passant par le corps,
et toutes les déchéances ici-bas
ne sont que pénible ascension
vers une vie redoutée qu’on ignore.
Les acteurs, dans les coulisses,
tremblent derrière cette tragédie
minutieusement orchestrée
elle défie leur entendement

l’horloge compte des secondes d’éternité douloureuses.

III
Madeleine

« La vieillesse, c’est l’hiver pour les ignorants et le temps des moissons pour les sages », nous dit un proverbe.
La vieille femme s’agite dans son sommeil. De ce lit sécurisé, où il ne lui est même plus possible d’atteindre le téléphone, elle songe à joindre son fils aîné, afin de lui dire qu’elle n’est pas bien, ici ! Ses pensées transpercent le plafond, lévitent au-dessus de la ville, évitent la rocade, survolent les champs et atteignent le sommeil de sa belle-fille.
Message transmis.
Sa belle-fille réveille son mari, et lui annonce : « Ta mère souhaite te parler ! »
Par discrétion, elle a oublié de demander à sa belle-mère ce qu’elle voulait dire à son fils. Le message est donc incomplet. Vraiment, il lui faudra apprendre à poser les bonnes questions, en rêve, afin de devenir une messagère efficace !
Pour en revenir au proverbe, la moisson ne peut plus – dans la réalité de l’existence terrestre – se faire dans la vieillesse. La moisson est de tous les jours, elle accompagne la vie. Aujourd’hui on glane ce qu’on a semé hier. On s’active tant que le corps le permet. Il en faut de l’énergie pour moissonner, autant que pour labourer, à moins de recruter des saisonniers (mais là, est un autre sujet).
En plein champ, au sommet d’une meule de paille, la vieille femme serait reine, laissant à d’autres le labeur, à elle la perception de cette scène de vie agricole…. Mais ici, dans cet Ehpad, elle est tigre de paille et rugit son impuissance.

IV
Joseph

Il a pris son lit et l’a mis dans le salon.
Après soixante ans de nuits communes
il ne dormira plus jamais avec sa femme.
Les cris, les pleurs, les paroles décousues
ne lui apportent que souffrance, et rajoutent
de la confusion dans cette maison que la vie
déserte, laissant le champ libre à la déraison.
Les délires de l’une, après l’insomnie, jettent
l’autre, épuisé, si l’engourdissement le gagne,
dans les catacombes des cauchemars d’où
il ne sort que pour sombrer dans la folie
d’un jour qui a tout d’une jungle…

V
sursaut

Elle avait donné, et son corps vieillissant tentait de reprendre, à rebours du temps,
toutes les bénédictions accordées par le simple fait qu’elle leur ait donné la vie.
N’était-elle pas source ?
L’eau lui était redevable des poissons qu’elle se devait de ferrer avant de partir.

VI
espérance

On peut saisir, par temps d’amertume, le reflet d’un ange dans une flaque de pétrole…
Malgré le noir venu mazouter les œuvres blanches que le temps dégrade,
surgit, inespéré, un liseré chahuté par une vague improbable.
Il vient déposer son offrande de lumière aux pieds du vagabond de l’âme.

Carmen P.