Camille Claudel

Le visage se dégage du marbre

son expression – pensive –

pénètre la structure de la matière

Conscience vive saisie par une minéralité

dont elle ne parviendra jamais à émerger

entièrement.

.
Cela lui serre le cœur

cela ne sert à rien

tout cet amour

toute cette passion

et ce carcan

impossible à pulvériser !

.
Si elle pouvait du bloc

où repose sa tête

creuser ses formes…

elle n’a même pas de buste

elle n’est même pas femme

tous ses attributs sont violés

par une loi du silence qui l’empêche

d’être

.
Si elle pouvait de ce bloc

se mouvoir et créer

Mon Dieu :

Modeler

Dégrossir

Tailler !

.
Prendre à plein corps

ces images mentales

qui la hantent

ces images mentales

qui existent

déjà

en esprit

ces images mentales

qui n’attendent

que ses mains

et la liberté

d’agir

pour naître

au monde

.
Naître au monde

duquel on l’a soustraite !

.
Elle aurait tant voulu laisser parler ses mains

consacrées au tourbillon de la création

.
Peut-on créer par les vides de son existence

une œuvre perceptible au monde qui l’attend ?

 
Carmen P.

photo de G. Pennarun, prise en juillet  2016 au Peabody Essex Museum de Salem, où se tenait une exposition : Métamorphoses, dans le secret de l’atelier de Rodin.

L’enfant de Syracuse (Volturno)

oeuvre qui a inspiré le texte

oeuvre d’Alechsinsky qui a inspiré le texte

Volturno

Novembre est le mois noir où le ciel s’ouvre à la tourmente d’équinoxe… les âmes des péris en mer seraient-elles blanches des terreurs qu’elles nous inspirent ? Le noir est une couleur de  saison qui nous protège d’un blanc trop lumineux. Se pourrait-il que notre œil, à certains moments de notre vie, ne puisse le fixer ?

Me vient à l’esprit la vision du paquebot noir ; le Volturno. Parti de Rotterdam, chargé d’immigrés et de produits hautement inflammables, il voguait vers New York qu’il n’atteignit  jamais. Onze navires sont venus à son secours, mais le naufrage était inévitable, et envoyer des canots  de sauvetage,  au vu de la puissance des vagues, était pure folie que les hommes, dans leur panique, ont tentée. Onze navires… … et moi je lance un SOS, attendant passivement une aide extérieure, au lieu de sonder ma tempête intérieure, au lieu  de retrouver la confiance qui était mienne, dans l’enfance, quand je savais  cueillir les grappes d’étoiles et que l’inconnu m’apparaissait comme une corne d’abondance riche d’expériences excitantes !

Je suis le cargo noir et mes signaux de détresse se noient dans la nuit. Je repousse mon avenir comme un horizon à grands coups d’hélice. Ma vie est un navire, un espace carcéral que j’ouvre, en pensées, à l’infini liberté du monde. Mes rêves sont des otages dociles en quête d’un ailleurs auquel ils ne croient plus. J’imagine le grand large, je crois espérer  mais, d’escale en escale, je m’enfonce dans un monde intérieur de renoncement et mes cales sont remplies de chimères.

Dans la mer démontée de la vie, je ne suis qu’un fétu… une écorce légère, un simple bois flotté qui n’offre aucune résistance. Même si j’étais arbre aux racines puissantes je ne serais rien face à la force des éléments, car le terrain sur lequel je suis planté glisse, impitoyablement.

Chacun rêve de maîtriser les forces élémentaires et, si le hasard lui permet de les éviter, il se pense invulnérable, mais la lecture de la nature, ou de toute œuvre d’art qui nous transporte,  nous met face à la réalité. Elle est toute autre.

La joie apparaît par intermittences mais ne demeure pas. Le bonheur, comme une lueur, surgit de la nuit, un instant, et y retourne. Le noir n’est pas une demeure à vie, il  est juste la lisière de notre appréhension à vivre, un moment de  confrontation avec le manque absolu de lumière — un manque sidéral, comme  l’espace  qui sépare, ou unit, deux étoiles.

Où est le blanc, où est le noir, quand la masse d’énergie qui soulève, vague après vague, le paquebot que je dessine, se fait successivement violence et calme ? L’obscur est en soi, dans ce corps sans lumière. J’accorde la vie au dehors, au monde extérieur, lui seul semble  posséder la clarté que je me refuse.

« L’encre de Chine est une drogue dure » disait Alechinsky. Alors j’y tremperai mon calame et, le sens de l’existence  qui m’échappe, je l’écrirai par de simples traits sur les blancs d’une feuille. Ils me permettront, peut-être, de concilier la violence et la paix, la beauté que j’entrevois et la mort qui m’envoûte, le dedans  de la tristesse et le dehors de la joie, la nuit d’encre et la voie lactée de mes espoirs.

Volturno, tant de solitude pour un paquebot qui a vu  l’océan basculer dans le vide ! Pourtant, la solitude a quelque chose de fini incompatible avec l’infini qui l’absorbe.

Ma solitude attend le creux de la vague et ne s’inquiètera pas du retour de la tempête. Je laisse les pensées de terre et je m’offre le point de vue du grand large, dessin après dessin, avec au cœur, l’imagination d’un bateau filant vers un ciel immense. Dans le blanc d’une feuille-mer froissée,  le steamer déploie le panache de sa fumée — noir de carbone.