Prince téméraire 8

1381271566047Ceci est la fin du conte. Je ne le laisserai pas longtemps sur mon blog. Il reste à mon fils  quelques illustrations à réaliser encore et moi je vais m’applique à relire  une troisième fois, puis une quatrième fois…. le texte !

 

__ Quelques temps plus tard, une guerre éclata. Le genre de situation que le Roi avait en horreur, mais qu’il ne pouvait éviter car il avait des voisins belliqueux. Il rassembla ses armées et confia la direction des combats au plus vaillant de ses seigneurs.  Lui-même était trop âgé pour participer à ce conflit, il le regrettait, car il considérait que rester dans un camp retranché pendant que ses hommes se battaient n’était pas digne d’un monarque ! Il  songea avec tristesse au fils adoptif qu’il avait perdu… comme cet enfant généreux aurait bien défendu les intérêts du Royaume. Il le pensait même suffisamment intelligent pour désamorcer  un conflit avant que ne commencent les hostilités, mais l’heure n’était pas aux regrets, la haine grondait dans le cœur des hommes et ne demandait qu’à s’exprimer, à faire son œuvre. Encore une fois !

Sa fille surgit alors, et coupa court ses pensées nostalgiques.

— Père, permettez à mon époux de partir au combat. Redonnez-lui son cheval, même si c’est une vieille carne.

Le roi accepta sans discuter, il exigea seulement que le jeune homme reste à l’écart des autres chevaliers, qu’il les laisse faire leur travail, car un jardinier de toute évidence ne doit pas savoir  manier l’épée.

Encore une fois le jeune homme prit de l’avance, il arriva avant la cavalerie au lieu dit du Champ des batraciens et il fit, à nouveau, semblant d’y être embourbé. Il savait que la répétition de ce scénario ne pourrait qu’attiser le sarcasme des chevaliers, même si  cela n’était pas digne de leur rang. 

Lorsque le Roi vit son gendre dans une posture aussi ridicule, il passa son chemin en feignant de ne rien voir, mais les rires de ses hommes qui contemplaient la scène l’humiliaient profondément. Comme il regrettait qu’aucun des ses chevaliers ne manifeste un peu d’humanité, lui-même ne pouvait aller au-devant du jeune homme, ce geste aurait été interprété comme un aveu, donnant raison au choix de sa fille, choix qui restait une énigme pour lui et qu’il ne pouvait cautionner pour le moment.  

La bataille qui s’engagea un peu plus tard fut terrible… La défaite allait être consommée, la déroute imminente,  quand  surgit de nulle part sur un coursier ailé un homme étincelant comme un soleil,  sa chevelure était d’or et son regard foudroyant. Son sabre s’abattait  avec une énergie surhumaine… Les ennemis, devant une telle apparition, furent pris de panique et ne tardèrent pas à battre en retraite.

Jovan était indemne, sans hésiter il s’entailla un doigt,  puis il galopa en direction des troupes du roi.

On annonça au roi que le brillant chevalier était légèrement blessé, alors le souverain lui fitparvenir, pour bander sa plaie, son propre mouchoir – un mouchoir tissé de fils d’or. Il demanda à voir le chevalier providentiel, mais celui-ci s’était déjà envolé. 

Sur le chemin du retour, l’armée Royale dut repasser par le champ des batraciens. Devinez qui ils virent ? Tête d’ange, ainsi que beaucoup le surnommaient, toujours habillé tel un gueux et barbotant dans la gadoue…

Le roi était consterné !

De retour au palais, le roi fit organiser une grande fête pour célébrer la victoire. Tous les nobles du royaume furent conviés. La Princesse intercéda auprès du roi pour que son mari obtienne lui aussi une invitation. Après le vif sentiment d’humiliation que le Roi avait ressenti, sa fille eut beaucoup de mal à obtenir cette faveur. De guerre lasse le Roi néanmoins céda. Il répondit d’une voix résignée :

— Qu’il vienne, ma fille, mais qu’il soit discret et reste en bout de tablée.

Le jour du banquet, chacun prit la place que son rang lui assignait, et Tête d’Ange s’assit, en dernier, à la place qu’on lui avait réservée, la plus éloignée du Roi.

Au cours du repas les serviteurs apportèrent des rince-doigts, mais n’en proposèrent pas à Jovan qui tira de sa poche le mouchoir tissé de fils d’or que le roi lui avait donné après le combat. Le geste du jeune homme ne passa pas inaperçu, car le Roi surveillait cet invité indésirable du coin de l’œil. Le souverain, profondément intrigué, ne put feindre d’ignorer plus longtemps l’ami  de sa fille, il lui adressa enfin la parole et le fit d’une voix puissante puisque son interlocuteur, conformément à son désir, se trouvait fort éloigné de lui :

— Où as-tu trouvé ce mouchoir ?

— Seigneur, c’est vous qui me l’avez fait apporter lorsque je me suis blessé lors du combat, répondit Tête d’Ange.

— Prétends-tu être ce héros qui nous a épargné une cuisante défaite ? s’exclama le Roi, incrédule.

Le jeune homme ne répondit pas, il se contenta  de se lever prestement, sortit de sa manche   un crin que personne ne vit et le jeta sur une bougie allumée. Un cheval ailé surgit immédiatement au milieu des convives interloqués. Tête d’Ange, tout en enfourchant l’animal, se défit de ses vieux habits et apparut plus splendide que jamais. Un murmure d’admiration s’éleva et gonfla comme une vague parmi l’assistance. Quand le calme revint, le jeune homme prit la parole :

— Seigneur, je suis votre humble serviteur, et votre dévoué fils, jamais je ne vous ai déshonoré. Vos seigneurs ne vous servent pas comme ils le prétendent, d’ailleurs ils portent mon sceau sur leurs cuisses. C’est moi qui les ai marqués lorsqu’ils ont pris, pour épargner leurs efforts, du lait de phacochère au lieu d’aller au bout de leur mission eux même, et de vous rapporter le remède dont vous aviez besoin.

Le Roi fit vérifier les dires de Jovan. Son gendre avait dit vrai, d’ailleurs le Roi reconnaissait maintenant le jeune homme qui par deux fois lui avait permis de retrouver la vue. Trois fois même, car le Roi prit conscience en son cœur, qu’une cécité mentale lui avait interdit d’imaginer un seul instant, que ce jeune homme, qui avait trouvé refuge dans le parc du château de la ville, puisse être le fils qu’il avait tant apprécié dans son domaine de la montagne et qu’il soit digne d’épouser sa fille. Les erreurs passées ne se rattrapent pas mais pour qu’elles soient pardonnées il suffit de changer d’attitude et de maintenir une ligne de conduite droite. Dans sa sagesse le Roi donna immédiatement une place d’honneur à son gendre. Les autres seigneurs, confus, durent se contenter de places moins enviables, qui peut-être ne correspondaient pas à leur rang mais étaient parfaitement adaptées à l’hypocrisie de leur esprit. Tête d’Ange, dont la valeur était maintenant reconnue dans tout le Royaume, put mener la vie à laquelle il se préparait depuis son plus jeune âge. Il n’oublia pas ses parents de sang.  Il les fit venir auprès de lui afin qu’ils mènent enfin une vie confortable. Dans le parc du château, à l’emplacement de sa cabane, il fit construire un pavillon où ses parents vécurent heureux jusqu’à la fin de leur vie. Le vieux Roi, quant à lui, avait choisi de rejoindre ses montagnes où, loin des intrigues de la cour qui le fatiguaient, il pouvait savourer de paisibles journées. Il ne se sentait plus isolé ni inquiet, son royaume était entre de bonnes mains et le couple princier venait souvent lui rendre visite, grâce au cheval ailé. Quand le vieux Roi mourut, Jovan lui succéda sur le trône. Je vous laisse imaginer ce que fut son règne…

Depuis, il existe quelque part une ville où chaque homme réussit à vivre heureux, exerçant le métier qui lui convient le mieux, consacrant du temps pour les amis et sa famille. Si un étranger parvient à pénétrer dans la citadelle il y est reçu comme un prince, l’accueil y est si chaleureux qu’il n’éprouve plus le besoin de partir. Toute  pensée de méfiance est ignorée des habitants, mais leur gentillesse jamais n’est trahie, car seul un être au cœur joyeux et bien intentionné peut traverser les brumes de l’ignorance et découvrir ce royaume merveilleux.

 

FIN

 Carmen Pennarun

 

 

Prince téméraire 3

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Heureux d’avoir entre les mains le remède à la cécité du roi et ignorant avoir débarrassé la montagne de ses créatures maléfiques, le jeune homme reprit allégrement le chemin du château.  Les brebis qui le précédaient n’avançaient guère vite, de sorte que, porté par son élan, il se retrouva plusieurs fois au milieu du troupeau… l’envie lui prit alors de sauter.  Si quelqu’un avait observé la scène, à ce moment là, il aurait vu  un espèce de pantin dansant et sautant parmi les moutons.  Jovan se savait seul dans la montagne, seul et libre  de donner libre cours à sa joie sans craindre les regards, toujours prompts à se moquer.

Dès que le troupeau fut à l’abri dans la bergerie le garçon se précipita dans les appartements de son protecteur. Il lui tendit un fruit et lui demanda de le manger sans poser de question. Comme par miracle, au fur et à mesure que le roi savourait les quartiers d’orange, la vue de son œil gauche devenait plus nette.

— Maintenant, dit le garçon, je peux vous donner la deuxième orange et votre œil droit guérira lui aussi, mais, en échange, entendez ma requête, donnez- moi les deux clés qui sont encore accrochées à votre ceinture !

Tout à l’impatience de recouvrer une vision parfaite, le roi n’hésita pas un instant. Lorsqu’il lui tendit les clefs, Jovan crut remarquer que le vieil homme souriait. 

Ne dirait-on pas qu’il  me lance un clin d’œil malicieux ?

La curiosité du jeune homme allait enfin être satisfaite !

Les portes s’ouvrirent non pas sur des trésors mais sur les salles des fontaines… des fontaines d’eaux vives protégées comme des merveilles par des animaux féériques. Dans la première salle un cheval ailé se reposait auprès d’une source dont l’eau brillait comme de l’or. Le jeune homme s’en approcha, il se pencha, ses cheveux entrèrent en contact avec le flot et ils se couvrirent de reflets d’Or.

Dans la dernière salle, un âne aux ailes déployées semblait prêt à s’envoler  à tout moment. Il était le gardien de la fontaine des eaux d’argent. Cette fois encore, le jeune homme se sentit irrésistiblement attiré par l’onde précieuse, il la recueillit dans le creux de ses mains. L’eau était fraîche il s’en aspergea le visage. Deux gouttes perlèrent et dans ses yeux vinrent se noyer. Il cilla sous la sensation d’un picotement. Son regard, tout à coup, s’illumina d’un éclat lunaire qui vint renforcer la détermination naturelle de ses yeux gris-bleu.  Ces transformations, Jovan ne les remarqua pas lui-même mais elles ne passèrent pas inaperçues auprès du roi. Elles étaient le signe d’un baptême spécial que le vieil homme avait permis, un don que le jeune homme portait avec beaucoup d’innocence mais qui ne manquerait pas d’attirer la convoitise.   

À l’abri des murs du château de la montagne, sous l’attention toute paternelle du roi et celle pleine de prévenance et d’amitié de son valet,  la vie s’écoulait sereine et le garçon vécut des jours heureux. Il sut se rendre  utile, le travail ne manquait pas.  Parfois il prenait sa houlette et partait accompagner le troupeau.  Avec les bêtes il s’enivrait de l’air des alpages. Le roi était un grand érudit et il aimait  instruire son fils lors des longues soirées au château. Ainsi s’écoula un temps où Jovan accumula des connaissances. Il apprit facilement, car sa mémoire était prodigieuse, et le roi commença à redouter le jour où il n’aurait plus rien à  transmettre à son protégé. L’accablement marquerait cette date, mais le roi était sage il savait que la jeunesse ne peut se satisfaire de vivre au rythme d’un vieil ermite. La vie de Jovan devait s’accomplir, il lui dirait avant de prendre garde à son apparence, combien le monde est cruel et sème le trouble dans les esprits… mais cela pourrait bien attendre encore quelques jours !

En effet, plus vite que l’angoisse du roi ne le laissait présager, cette vie privilégiée commença à devenir pesante pour le jeune homme. Il aurait aimé  rencontrer d’autres personnes, découvrir la ville, pourquoi pas. L’animation qui y règne doit être passionnante comparée à l’ennui des jours cousus de petits bonheurs comme il le connaissait dans cette montagne, sans jamais l’avoir laissé paraître aux yeux de quiconque ! 

Un matin dès le lever du soleil, le berger se rendit près de la fontaine d’or où l’attendait le cheval qui était devenu son confident. Quand il lui fit part de son intention de quitter le château le cheval se cabra de joie et lui fit entendre d’ un hennissement.

— J’attendais ce moment depuis ton arrivée au château. J’en ai assez d’être une gargouille de fontaine, de brimer mon élan, de faire comme si j’ignorais avoir des ailes ! Mais je dois te dire que le Roi ne nous laissera pas partir facilement, il enfourchera l’âne et cet animal est plus rapide que moi…

— Que faut-il faire alors pour réussir à nous enfuir ?

— Ignores-tu que dans les contes, des objets magiques nous tirent de toutes les épreuves !

— Des objets magiques ? Je n’en connais pas !

— Eh bien, prenons au hasard,  une étrille, une poignée de paille et une cravache… ça fera l’affaire !

Le jeune homme ne se posa pas plus de questions, le cheval semblait s’y connaître en matière de protection magique,  il lui laisserait volontiers  ce domaine tandis que lui ne se fierait qu’à son intuition. Bien des aventures lui avaient appris à composer  avec les  caprices du destin ; en cas d’ennui il suffit de ne pas se laisser impressionner, de garder à l’esprit l’image claire de ce qu’on désire et d’aller de l’avant. Il se hâta de réunir les trois objets magiques, le cheval refusant de partir sans ces accessoires, puis il sauta sur le destrier et s’envola.

À suivre…