Nouvelle chronique sur Rose Garden

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Cette chronique a été écrite par Chris Lilac que je remercie.

Vous pouvez la lire sur son site :

http://lilacgrace.wordpress.com/2014/10/04/rose-garden-carmen-pennarun/

 Sinon, voici le copié-collé de cette critique :

 L’HISTOIRE

Carmen Pennarun vit en Bretagne, elle sait capter la saveur d’instants magiques qu’elle traduit en poésie ou en histoires, aussi délicates que troublantes.
Avec Rose Garden elle s’adresse aux lecteurs adultes en sept nouvelles qui, de Boston à Brocéliande, en passant par la Normandie, les emmènent dans un univers aux frontières du fantastique.
Tous ces signes qui jalonnent l’existence et auxquels les « anciens » étaient attentifs, « sommes-nous encore prêts à les entendre ? », interroge-t-elle.
De cette écoute, de cette faculté à nous laisser surprendre dans un monde où le progrès, souvent, nous dépasse, où la jeunesse se cherche, peut dépendre la courbe d’une vie, quand on permet au merveilleux de s’y glisser.

MON RESSENTI

Un recueil de nouvelles très surprenant car on passe d’un univers bucolique à un univers fantastique, d’un paysage de Bretagne à un paysage américain. J’ai aimé me plonger dans les multiples univers, découvrir les ambiances propres à chacun.

L’auteur a une écriture fluide et poétique à laquelle j’ai vraiment adhéré.

Lire Rose Garden c’est l’assurance d’un bon moment de lecture bien loin des tourments de ce monde qui ne tourne plus très rond depuis quelques temps, c’est aussi l’assurance de lire des textes de qualité et de ne pas s’ennuyer. J’ai aimé la poésie avant chaque nouvelle, posée là comme un préambule à la nouvelle.

Les différents personnages sont tous attachants à leur manière et j’ai éprouvé beaucoup de sympathie pour certains d’entre eux. J’ai voyagé et j’ai même pu sentir les embruns de la Bretagne chère à l’auteur.

Je suis sortie de cette lecture calme, posée et le sourire aux lèvres. Un bol d’air frais nécessaire et salutaire, un livre qui mérite d’être connu.

VERDICT

Offrez-le vous ferez des heureux et offrez-le vous parce que vous le méritez… A conseiller aux amoureux de poésie et d’évasion.

Floraison de muguet

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Floraison de muguet

 

Je rangeais, avec mon fils de 22 ans, qui dans mon rêve était encore enfant,  le garage d’une maison qui devait être la  mienne. Ma chatte Tina, une belle chatte couleur gris-souris, y avait mis un désordre inimaginable et elle avait apporté quantité de cadeaux comme savent nous en offrir nos amis félins. Nous étions fort occupés à  traquer toutes les souris qui occupaient le lieu. Une fois que nous les avions capturées,  nous leur rendions la clef des champs… J’avais, pour mieux dénicher les occupantes indésirables, tout sorti du garage. Tina nous regardait d’un air consterné ; elle réalisait à quel point nous n’appréciions pas ses « présents ».

 

J’ai dû m’absenter, parler à des personnes qui m’ont raccompagnée chez moi. J’étais très embarrassée à l’idée qu’elles voient le désordre que j’avais mis. Mon fils est venu à ma rencontre et m’a dit que je n’avais rien à craindre ; tout était impeccable. Je ne l’ai  pas cru, mais lorsque je suis arrivée à la maison, j’ai  constaté qu’il disait vrai. Le garage était rangé et, à l’extérieur, la pelouse était toute parsemée de muguet. Des compositions faites d’éléments naturels et d’objets personnels provenant de mon garage, animaient ce jardin devenu parc artistique et paysagé… et le parfum léger du muguet enveloppait d’une grâce toute particulière cet espace.

J’ai alors demandé à mon fils, s’il était l’auteur de ce prodige, il m’affirma que non, c’était l’œuvre de sa sœur.

— Mais tu n’as pas de sœur ! dis-je.

— Si, elle est là ! me répondit-il en me montrant une petite fille que je n’avais pas remarquée. C’était une enfant de 7-8 ans, elle  se tenait près de la porte du garage.  Je ne l’avais pas vue ! Elle ne disait  rien. Elle me regardait. Intensément.

Là s’est terminé le  rêve. Nous n’étions pas un premier mai et je n’avais pas de fille.

 

*

 

Certaines nuits, mes pensées se tournent vers l’enfant que j’ai perdue il y a 24 ans.

Nous ne nous sommes jamais connues. Je ne pense pas à elle dans la journée, c’est son souvenir qui s’invite par des chemins de mémoire, grands ouverts en état de sommeil.

Cette enfant, je l’ai vue grandir, ainsi… nous communiquons même si  je n’entends jamais le son de sa voix.

Une nuit elle nous a même présenté son petit ami, elle devait avoir à peu près quatorze ans. Son père, comme tout père d’adolescente, a eu dans ce rêve du mal à accepter cette relation.

 

On n’arrête pas la vie, mes amis !

 

Erin

Préambule de Rose Garden

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Amis lecteurs, pour vous, j’ai rassemblé ces textes. Ils ont pris source dans mon imaginaire et ont croisé, au fil de la plume, le lit de la poésie qui m’est si chère.

Voici donc Rose Garden, du nom d’un parc de Boston où la première histoire a trouvé son estuaire.

C’est encore vers des jardins que je vous invite à vous aventurer, non pour y cueillir des brins de poèmes, comme dans « Tisane de thym au jardin d’hiver », mais pour y rencontrer des personnages qui portent la vie, du mieux qu’ils le peuvent, et aspirent au bonheur.

Chacune de ces sept nouvelles nous convie à un rendez-vous avec la nature. Cette nature, on la découvre ordonnée et obéissant  à la volonté de l’homme, dans un jardin du Massachusetts ; on  l’approche, sauvage,  sur la Côte bretonne ou sur les Landes de Cojoux ; on s’en extirpe quand un cauchemar nous  prend dans le labyrinthe du jardin de l’inconscient.

Avec Rose Garden, la réalité passe une porte, elle pénètre dans un univers où l’animal parvient à communiquer avec l’homme, où la mort poursuit le dialogue avec le vivant.

Nous sommes bien sur Terre pourtant… La nature est le berceau qui reçoit notre espace intérieur. À partir du lieu où la vie nous pose, et après  reconnaissance du  terrain, nous  acceptons  d’y greffer notre être, à moins que  nous préférions la fuite et de nouvelles explorations.

Rien n’arrête le voyageur dans sa marche silencieuse, il transporte sa mémoire en lambeaux avant de parvenir à reconstruire le tissu de la vie. La trame des histoires est un fil d’Ariane qui  porte le sensible jusqu’à l’orée  de résonances amies. Puissiez-vous trouver refuge dans ces jardins et cheminer avec plaisir en compagnie de mes personnages, aussi extravagants soient-ils.

 

Erin

Les cloches de l’invisible

Pour le thème de février de la communauté « Les passeurs de mots ».

 

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Les cloches de l’invisible

 

 C’était l’été de mes treize ans, je lisais encore « Mademoiselle âge tendre » et j’ignorais « Salut les copains ». Toute à mes activités estivales je ne savais pas que le monde béni de l’enfance allait bientôt, pour moi, perdre son charme. Je ne soupçonnais pas, non plus,  que dans quelques jours, on oublierait de me souhaiter mon anniversaire. L’heure allait sonner où le flux de la vie terrestre emporterait mon innocence et, avec elle, ma confiance et l’amitié.

Cette journée du mois d’août changea à jamais le profil de ma vie, mais personne ne le sut.

Le mois d’août, un bien joli mois consacré aux jeux, à la lecture… Mes parents travaillaient continuellement, ils ne prenaient jamais de vacances, ainsi, pour leur fille, chaque matin était l’annonce d’un merveilleux jour de liberté et de créativité.

J’étais fort occupée car nous allions recevoir la famille d’un de mes oncles. Ma mère s’occupait de la partie intendance et restauration, et moi, je prenais en charge les loisirs. Je m’affairais du matin au soir, préparant  de nombreuses activités pour mes cousins et cousines. Je souhaitais tant que leur séjour soit agréable et qu’ils demandent à leurs parents de revenir l’année suivante ! Parfois, l’idée m’effleurait que peut-être mes efforts allaient être vains, que mes cousins n’allaient pas apprécier les loisirs que j’avais imaginé… alors, pour satisfaire chacun, j’essayais de faire abstraction de mes propres goûts, de penser très fort à la personnalité de chacun, en fonction de mes souvenirs de l’été précédent. Ainsi, je ne risquais pas de me planter, même s’il restait une inconnue : en un an, chacun de nous avait pu  changer ! Je chassais vite mes doutes ;  si tous étaient  prêts à  y mettre de la bonne volonté, et moi en premier, pourquoi  penser à un quelconque désagrément et croire que mes propositions de jeux ou de sorties ne motiveraient personne. Les livres, classés par genre, attendaient de piquer la curiosité des lecteurs. Les activités manuelles et les jeux étaient préparés.  Le texte d’une pièce de théâtre était écrit – ne manquaient que les acteurs. Les pochettes de timbres attendaient d’être ventilées équitablement entre collectionneurs et amateurs de belles images…

C’est donc de pied ferme et le sourire au cœur que j’accueillis mes cousins.

Bérengère, l’aînée, me regarda d’un air supérieur, mais elle finit  par s’intéresser aux activités, Pierre, le plus jeune, resta, un premier temps, dans les jupes de sa mère, mais sa timidité ne dura pas, je parvins à l’intégrer à nos jeux. Marie Paule, qui avait le même âge que moi, et était devenue une jolie jeune fille, se montra aussi affable que les années précédentes.

Les cousins piquaient toujours  leur tente dans le pré face à la maison familiale.

Un après-midi, je proposai une promenade en forêt. Seule Marie-Paule accepta… Cela me réjouit, ainsi nous allions pouvoir marcher tranquillement tout en nous confiant nos secrets de l’année écoulée.

Le souffle des espoirs des collégiennes se mêla au chant des oiseaux et au silence des arbres. Jamais la forêt ne trahit les béguins dont elle entendit les noms chuchotés dans ses sentiers. Par moments, nous interrompions nos confidences, et nous nous  poursuivions en riant, puis nous nous  assîmes au pied d’un chêne, le temps de tisser deux couronnes de feuilles et de fleurs. Nous étions heureuses, à l’évidence cette année de maturité supplémentaire n’avait pas détruit nos liens d’amitié… les quelques jours de vacances à vivre ensemble promettaient d’être agréables.

Les couronnes sur nos têtes, nous reprîmes tranquillement le chemin du retour. C’était l’heure du goûter et notre promenade nous avait ouvert l’appétit.

— Attends, dis-je à ma cousine alors que nous longions le mur du cimetière, veux-tu que nous entrions ?

La proposition pouvait paraître insolite, je m’attendais à un refus de sa part. Je l’aurais bien compris, mais Marie-Paule n’était pas de nature contrariante, elle accepta. 

Je devinais, malgré tout,  ses réticences, alors je pris ma cousine par la main. C’est ainsi que nous poussâmes le portail et que, lentement, dans les allées du cimetière, se poursuivit notre curieuse exploration.

Nous nous arrêtions devant les tombes, lisant les dates inscrites sur le marbre, chaque dalle révélait une page de l’histoire de mon village… J’avais beaucoup d’imagination et je me tentais de ressentir ce qu’avait pu être la vie des personnes qui reposaient en terre. Devant chaque tombe visitée, nous déposions une feuille ou une fleur que nous  détachions de nos couronnes. Les gestes étaient calmes, les pensées pures, nous étions  présentes  aux gestes d’offrande et respectueuses du souvenir des morts.

Marie-Paule semblait maintenant rassurée. Tout était si calme en ce lieu. On ressentait le frémissement de l’air. On entendait le bourdonnement des insectes. Pas un homme.  Pas un chat. Au loin, le village. Ici, deux jeunes filles recueillies parmi les tombes.

Avant de quitter ce lieu, je proposai à ma cousine de faire une dernière pause devant le calvaire situé au centre du cimetière. Juste le temps d’une prière silencieuse… Je tenais à prier pour les personnes dont les tombes n’avaient pas arrêté mes pas. Toutes méritaient mon attention car ces personnes avaient vécu, elles avaient aimé, elles avaient foulé le même sol que celui où je me tenais à mon tour. Mes intentions,  je les concentrai dans une courte pensée. Marie-Paule  semblait aussi recueillie que moi.  Un sentiment profond d’amour et de calme était perceptible.

C’est cela Prier.

Je  fis le  signe de la croix, signe que ma cousine  répéta. Signe que nous allions partir.

C’est alors que nous prîmes conscience que quelque chose d’anormal se produisait. Il n’y avait plus de parfum. L’air était devenu statique. Les insectes ne scintillaient plus dans la lumière de l’après midi. Tout semblait étrange alors que nous nous trouvions à la même place quelques secondes auparavant. C’était le même lieu, il n’y avait que Marie-Paule et moi devant le grand calvaire mais, ce silence…  Ah ce silence, à couper le cerveau ! Tous nos sens aux aguets, nous tendîmes l’oreille…  Si, un son, il y avait un son, à peine audible, qui se laissait entendre… un son très léger de clochettes qui semblait venir de loin et progressivement se rapprochait. Ce bruit se multipliait, il  s’intensifiait. Il  prenait son temps pour gagner en volume. Lenteur et célérité se conjuguaient dans cette manifestation sonore qui atteignit un volume étonnant — ce volume, néanmoins,  n’agressait pas les tympans !

Autour de nous,  des cloches sonnaient à toute volée. Nous étions entourées d’une nuée de  cloches invisibles qui sonnaient de façon vertigineuse !

Nous étions au centre du tourbillon.

Marie-Paule s’était agrippée à mon bras et me serrait très fort. Nous étions comme soudées l’une à l’autre par la même stupeur…  Les cloches poursuivaient leur étrange manifestation… Marie-Paule eût un sursaut et me secoua, mais je ne bougeai pas. J’étais comme tétanisée par un phénomène dont je désirais connaître la cause.

Ma cousine me prit la main et me tira violemment : « Viens ! » dit-elle, mais je ne bougeai pas.

Viens ! répéta-t-elle en hurlant.

Son cri me sortit de l’état d’enchantement dans lequel je me trouvais et je repris contact avec la réalité. La panique s’empara de moi. La voix avait suffi pour rompre le charme et pour que la peur de Marie-Paule se communique. C’est la mort aux trousses et toujours main dans la main que nous laissâmes  le cimetière et ses cloches derrière nous. Nous  n’avions  jamais couru aussi vite !

 

À peine arrivées sur le terrain où campaient ses parents, Marie-Paule, toute excitée, raconta ce que nous venions de vivre. Personne n’y prêta attention. On nous demanda de nous taire ; les adultes avaient autre chose à faire que d’entendre des histoire sorties de l’imagination de deux adolescentes !

Quant à moi, je  ne dis rien. À quoi bon !

Si cette histoire ne fut tout d’abord pas écoutée, elle eut néanmoins pour conséquence d’écourter les vacances de mes cousins. Ma tante  ne supportait  pas de voir combien l’imagination de sa fille  se décuplait en ma présence.

Contrairement à moi, Marie-Paule parvint à se faire entendre par sa famille. Tous avaient compris qu’il s’était passé quelque chose de suffisamment grave pour qu’on sépare, à jamais, les deux cousines.

 

Carmen P. (Erin)

L’enfant de Syracuse (Volturno)

oeuvre qui a inspiré le texte

oeuvre d’Alechsinsky qui a inspiré le texte

Volturno

Novembre est le mois noir où le ciel s’ouvre à la tourmente d’équinoxe… les âmes des péris en mer seraient-elles blanches des terreurs qu’elles nous inspirent ? Le noir est une couleur de  saison qui nous protège d’un blanc trop lumineux. Se pourrait-il que notre œil, à certains moments de notre vie, ne puisse le fixer ?

Me vient à l’esprit la vision du paquebot noir ; le Volturno. Parti de Rotterdam, chargé d’immigrés et de produits hautement inflammables, il voguait vers New York qu’il n’atteignit  jamais. Onze navires sont venus à son secours, mais le naufrage était inévitable, et envoyer des canots  de sauvetage,  au vu de la puissance des vagues, était pure folie que les hommes, dans leur panique, ont tentée. Onze navires… … et moi je lance un SOS, attendant passivement une aide extérieure, au lieu de sonder ma tempête intérieure, au lieu  de retrouver la confiance qui était mienne, dans l’enfance, quand je savais  cueillir les grappes d’étoiles et que l’inconnu m’apparaissait comme une corne d’abondance riche d’expériences excitantes !

Je suis le cargo noir et mes signaux de détresse se noient dans la nuit. Je repousse mon avenir comme un horizon à grands coups d’hélice. Ma vie est un navire, un espace carcéral que j’ouvre, en pensées, à l’infini liberté du monde. Mes rêves sont des otages dociles en quête d’un ailleurs auquel ils ne croient plus. J’imagine le grand large, je crois espérer  mais, d’escale en escale, je m’enfonce dans un monde intérieur de renoncement et mes cales sont remplies de chimères.

Dans la mer démontée de la vie, je ne suis qu’un fétu… une écorce légère, un simple bois flotté qui n’offre aucune résistance. Même si j’étais arbre aux racines puissantes je ne serais rien face à la force des éléments, car le terrain sur lequel je suis planté glisse, impitoyablement.

Chacun rêve de maîtriser les forces élémentaires et, si le hasard lui permet de les éviter, il se pense invulnérable, mais la lecture de la nature, ou de toute œuvre d’art qui nous transporte,  nous met face à la réalité. Elle est toute autre.

La joie apparaît par intermittences mais ne demeure pas. Le bonheur, comme une lueur, surgit de la nuit, un instant, et y retourne. Le noir n’est pas une demeure à vie, il  est juste la lisière de notre appréhension à vivre, un moment de  confrontation avec le manque absolu de lumière — un manque sidéral, comme  l’espace  qui sépare, ou unit, deux étoiles.

Où est le blanc, où est le noir, quand la masse d’énergie qui soulève, vague après vague, le paquebot que je dessine, se fait successivement violence et calme ? L’obscur est en soi, dans ce corps sans lumière. J’accorde la vie au dehors, au monde extérieur, lui seul semble  posséder la clarté que je me refuse.

« L’encre de Chine est une drogue dure » disait Alechinsky. Alors j’y tremperai mon calame et, le sens de l’existence  qui m’échappe, je l’écrirai par de simples traits sur les blancs d’une feuille. Ils me permettront, peut-être, de concilier la violence et la paix, la beauté que j’entrevois et la mort qui m’envoûte, le dedans  de la tristesse et le dehors de la joie, la nuit d’encre et la voie lactée de mes espoirs.

Volturno, tant de solitude pour un paquebot qui a vu  l’océan basculer dans le vide ! Pourtant, la solitude a quelque chose de fini incompatible avec l’infini qui l’absorbe.

Ma solitude attend le creux de la vague et ne s’inquiètera pas du retour de la tempête. Je laisse les pensées de terre et je m’offre le point de vue du grand large, dessin après dessin, avec au cœur, l’imagination d’un bateau filant vers un ciel immense. Dans le blanc d’une feuille-mer froissée,  le steamer déploie le panache de sa fumée — noir de carbone.

L’enfant de Syracuse

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Syracuse

Syracuse, chantée par le poète,  Bernard Dimey, lui-même.

http://www.youtube.com/watch?v=pYBh9UD-vMU

et ici chantée par son compositeur :

http://arbrealettres.wordpress.com/2013/07/04/syracuse-bernard-dimey/

J’aimerais tant voir Syracuse,

L’île de Pâques et Kairouan

Et les grands oiseaux qui s’amusent

À glisser l’aile sous le vent…

Syracuse, le nid d’où je n’ai pas su prendre mon envol ! Cette ville n’a  pas suffi à mon bonheur, et ce n’est  pas seulement elle qui,  pour moi et mes quinze ans, est  devenue un paradis inaccessible. Elle, si proche, me semble tout autant éloignée que sa jumelle, celle qui flirte avec la mer Ionienne. Ces eaux profondes couvrent une région des plus sismiques, et moi je nage au cœur d’un tourbillon. La vigueur de mon âge me permet de ne pas sombrer, et je vois les murs d’enceinte, sans toutefois parvenir à m’en approcher.

Tel est mon cauchemar. Telle est ma réalité.

Le rêve ne me serait-il plus permis ? Syracuse ne vibrera plus jamais comme un sésame, on m’a retiré la clef de la cité et je n’y serai plus jamais le bienvenu.

M’amuser à glisser l’aile sous le vent de mes espérances dans cette prison qui n’en a pas le nom et d’où j’entends, à l’extérieur, les rafales du souffle de janvier qui, cette année comme les années précédentes, étend l’hiver sur l’état de New-York … et  rejoindre en pensée la plus belle  des villes Grecques ancrée sur le sol de Sicile, voilà ma seule échappatoire. De mon  imaginaire surgissent les façades calcaires de l’île d’Ortigia que le soleil couchant enlumine.

Antique, était ma joie de vivre. Baroque, devient mon entêtement à vouloir quitter la froide Syracuse de mon enfance.

Ce n’est pas un pont qu’il me faudra franchir pour concrétiser mon rêve de voyage.  Non, ce n’est pas un pont qui me sépare de la liberté… mais qui osera me tendre la main depuis le territoire où je me suis enfermé. Le découragement est un obstacle infranchissable, quand on ne connaît pas les rouages d’un système qui nous condamne.

Patience et bonne conduite, me dit-on, mais ce ne sont pas des qualités que l’on trouve chez un adolescent ! Même un nouveau-né participe à sa naissance. Me demander de m’abandonner à la situation actuelle, alors que l’urgence me pousse à vivre, à explorer de nouveaux horizons, est une entrave qui occasionne une douleur hors de toute mesure.

Je ne me suis jamais senti aussi prêt de mourir…

Carmen P.

L’oeil de l’ange (fin)

 

 

L’oeil de l’ange

 

Arrivée aux Saintes-Maries, Estelle rechercha le terrain des gens du voyage. Elle trouva une simple aire de stationnement grossièrement clôturée. Un espace de transit plus qu’un lieu de vie où cependant lui fut réservé un accueil chaleureux…

Elle remarqua tout de suite une caravane entourée d’objets hétéroclites, de fleurs multicolores, de tissus bariolés. Elle pensa que ce pouvait être la caravane d’Anastasia.

Quand elle demanda à parler à la fille de la défunte, l’un des hommes se dirigea vers la caravane d’où sortit Lisa Reinhardt. Estelle fut frappée par la ressemblance entre cette femme et la jeune trapéziste du cirque. Soit, il s’agissait de la même personne, soit, Lucenzo avait dit vrai, Luana avait une sœur jumelle.

« Je t’attendais annonça la jeune femme, il était dit que tu viendrais, tu as apporté le putto? »

Estelle sortit de son coffre la statuette de bois qu’elle avait emmaillotée dans un batik.

« Je te remercie, tu es mon amie. Grâce à toi je vais pouvoir rendre un dernier hommage à ma mère en respectant ses dernières volontés. J’avais promis à Anastasia que cet ange qui avait disparu de sa vie serait retrouvé et l’accompagnerait jusqu’au ciel. La caravane, avec tout ce qui lui a appartenu, partira en fumée, mais l’Ange, lui, se reposera en terre, à ses côtés. Ainsi doivent être les choses pour que tout soit en ordre chez nous les Gens du voyage – comme vous nous appelez.

Estelle assista à la cérémonie. Il y eut des pleurs, il y eut des chants, mais quand la jeune fille déposa l’ange à côté du corps de sa mère, on entendit dans l’éclatant silence de la chambre mortuaire, les plus douces paroles de l’amour retrouvé, dites par la voix même de la personne tant aimée par la gitane[]eton put voir la chambre un instant s’éclairer comme jamais palais ne fut***.

Dès son retour en Bretagne, Estelle reprit le tableau, inachevé depuis son départ précipité d’Omonville-la-Petite.

Le regard de l’ange avait pris pour elle une toute autre signification, et sa peinture le reflétait. Le jardin de Prévert, sous son pinceau, s’animait maintenant de tons beaucoup plus chauds que ceux qu’elle avait observés sur place. La vie cachée derrière l’ombre de chaque massif semblait sur le point de surgir et d’emmener le témoin de sa présence non pas dans un univers bucolique mais dans une ronde impérieuse constellée d’étoiles invisibles ; un tableau criant de dynamisme. Estelle savait bien que cette évolution dans son aptitude à saisir les jeux de lumière, elle la devait à l’histoire qu’elle avait entendue et qui l’avait transportée bien loin de la campagne normande et de l’aura d’un poète qu’elle appréciait particulièrement. On donne à sa vie, songeait-elle, une direction et tout à coup le mouvement s’accélère, nous conduisant au-delà de tout ce qu’on avait imaginé. Et c’est fabuleux !

Estelle, après avoir entendu l’histoire de la famille contée par Lisa, avait eu le sentiment de se retrouver devant une page d’Histoire dont l’ange était le seul vestige.

Le père d’Anastasia, d’après ce que lui avait dit Lisa, vivait en Bohême vers les années 1930. Il façonnait des fleurs et des sculptures en bois et allait vendre ses productions artisanales en frappant aux portes. Il était toujours bien accueilli car ses oeuvres en bois sculpté étaient originales et d’un prix modique. Certaines dames attendaient même avec impatience de découvrir ses nouvelles créations. Un jour il fut remarqué par un artiste sculpteur dont l’Art avait été jugé « dégénéré » par l’idéologie nazie.

L’homme avait trouvé refuge, un temps, auprès des Fils du vent. Il avait l’intention de se tourner vers l’Art sacré. Il le fit après la guerre. C’est auprès de cet illustre maître que Lazlo, le grand-père de Luana et Lisa, progressa et entreprit de sculpter un ange. Il ne s’arrêta pas là ! L’idée lui vint de construire un carrousel ; l’œuvre de sa vie. Anastasia avait vu ce manège achevé, mais ses filles n’avaient pas eu ce bonheur. Quand leur mère en parlait, des étoiles plein les yeux, elles imaginaient les animaux-sauteurs montés par des enfants émerveillés qui pouvaient se voir tourner dans les miroirs – sortes de kaléidoscopes incrustés dans le bois dont était habillé l’axe central du manège. Tous les animaux étaient différents. Lazlo les avait créés en respectant les souhaits de sa fille. Lapin, chèvre, chien, lion, cerf… tous tournaient au son de l’orgue sur ce manège plein de motifs végétaux et de masques qui s’enroulaient autour des rires des enfants et souriaient de leurs joyeux étourdissements. C’était magique !

Tout en haut du chapiteau, le père d’Anastasia avait placé l’ange. La première, et la dernière pièce de son œuvre.

« La dernière pièce ? » avait relevé Estelle.

« Oui, la dernière, car le manège a été démantelé durant la guerre, les pièces ont été brûlées. Seul l’ange a été préservé. Mais voilà… durant une période de misère, la famille a dû vendre tout ce qu’elle possédait et l’ange a disparu – alors que grand-père avait fait jurer à ma mère de ne jamais s’en séparer. On savait que le putto se trouvait en Normandie. Mais où ? Tous les ans, en été, le cirque partait en représentation dans cette région. Lucenzo sillonnait alors les rues des villes et des villages, il tendait l’oreille, il allait visiter certaines maisons… En vain. Jusqu’au jour où il a surpris une conversation entre une artiste et un touriste dans un certain jardin… Tu connais la suite ! »

La suite… Estelle la traduisit dans sa peinture. Elle savait que seules Lisa et Luana sauraient lire ce tableau, alors elle le leur expédia dès qu’il fut terminé. Toute autre personne resterait au seuil, les pieds dans le réel, même si le peintre avait tenté de rendre visible l’âme du peuple manouche, cette âme qui par le biais d’un ange était entrée dans la maison de Prévert et dans sa propre vie.

« Te aves baxtalo ! – Chance à vous et à toute votre famille », avait-elle juste écrit sur l’envers de la toile.

 

Fin

 

*** Les derniers sacrements dans Histoires de Prévert

 

L’oeil de l’ange (suite 3)

L’oeil de l’ange (3)
 
[Estelle et son mari sont partis pour Saint Germain des Vaux avec l’intention de voir le jardin de Gérard Fusberti, mais ils changent d’avis en voyant qu’un cirque s’est installé sur la place. À la fin de la représentation un personnage les intrigue mais ils sont encore plus surpris de découvrir le message d’un mystérieux Lucenzo sur le pare-brise de leur voiture.]

 

Ils suivirent sans mot dire la route côtière jusqu’à Omonville la Petite. La grande bâtisse normande où ils séjournaient était austère, ils le savaient,  mais ce soir là, elle leur parut particulièrement inhospitalière. À peine la voiture fut-elle garée derrière l’hôtel qu’ils se tournèrent l’un vers l’autre. Ils reconnurent dans leurs regards la même inquiétude, ils y lurent le même questionnement : «  Comment cet homme avait-il pu découvrir où ils logeaient ? »

Toute tentative de réponse ne pouvait être que supposition. Inutile ! Mieux valait ne pas se prêter au jeu des hypothèses. Le risque était grand, par ce procédé, d’amplifier leur angoisse.

Ils avaient trouvé refuge au hameau du Mesnil dans un hôtel perdu au bout du petit village, tout autant perdu, d’Omonville-la-Petite et « on » les avait suivis, alors qu’ils ne se savaient même pas surveillés !

Un sentiment d’insécurité accompagnait leurs pas alors qu’ils traversaient le hall, glacial, mais ils ne le laissèrent pas entrer avec eux dans la chambre du  rez-de-chaussée,  avec vue sur  jardin, où ils se sentaient si bien. Le soir, ils se rendirent même à pied sur la plage de L’Anse de Saint-Martin, toute proche. Ils n’allaient pas gâcher leur week-end !

Le lendemain matin quelle ne fut pas la surprise d’Estelle en tirant les rideaux : l’homme à la gabardine grise était installé sur un des transats du jardin !

Elle appela son mari : « Viens voir, c’est incroyable ! »

Michel regarda, pâlit d’abord, s’empourpra ensuite, puis lâcha : «  Mais il se prend pour qui cet homme avec ses ch’veux d’ange** et sa barbe de fleuve***, il se prend pour qui pour se permettre de venir nous narguer jusque sous notre fenêtre dès les premières heures du jour ? »

Michel et Estelle se rendirent sur la terrasse où les petits-déjeuners étaient servis.

Des tables et des chaises aux couleurs vives contrastaient avec la façade sombre.

La journée aurait pu s’annoncer belle si seulement il n’y avait pas eu cet homme, là sur le transat, cet homme qui ne tarda pas à venir s’installer sur la table voisine de la leur.

Hélène semblait absorbée par le fumet de son thé, tandis que Michel disparaissait derrière le journal qui lisait. L’homme commanda un café noir. Michel s’agita subitement sur sa chaise, il  lança plus qu’il ne posa le journal près de la tasse de sa femme et pointa du doigt le titre d’une petite affaire locale : «  Vol d’un ange dans la maison de Jacques Prévert ».

« C’est donc cela ! » chuchota Estelle .

L’homme se leva et sans façon vint jeter un coup d’œil sur le journal par-dessus l’épaule d’Estelle.

« Vous avez lu ? » dit-il  et, sans attendre la réponse,  il poursuivit :

« Je sais ce que vous imaginez, mais vous vous trompez. Permettez-moi de vous expliquer ! »  Il prit sa chaise et vint se placer à côté d’Estelle.

«  Je suis bien l’auteur de ce vol mais je ne suis pas un cambrioleur. Libre à vous d’appeler la police mais avant, accordez-moi le temps d’une histoire, Madame. »

Madame regarda Monsieur tandis que  l’homme poursuivait :

« Ce n’est pas un vol car cet ange n’a qu’une valeur sentimentale.

Ce n’est pas un vol même si  cet ange a été vendu, à bas prix, par l’un des nôtres. C’était une  erreur. La famille avait besoin d’argent et nous n’avions pas mesuré l’attachement d’Anastasia à cette sculpture… Ce jour là, l’ange  est parti avec bien d’autres objets artisanaux.  Anastasia ne s’en est jamais remise. Nous avons cherché longtemps le Putti chez les brocanteurs, dans les braderies. Sans succès… jusqu’à l’autre jour  où quelqu’un  vous  a entendue parler d’un ange, et l’a reconnu sur votre tableau. C’est la main de Dieu qui nous a conduit  jusqu’à vous, alors je vous confie l’ange. Je vous ai laissé un papier avec toutes les indications pour entrer en contact avec Lisa, la sœur jumelle de Luana. Elle veille sa mère, Anastasia, qui vient de mourir. On vous guidera jusqu’à elle, aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

« Mais pourquoi Luana ne ramènerait-elle pas cet ange elle-même ? »

L’homme, après avoir déposé l’objet emballé dans du papier journal sur les genoux d’Estelle ; s’était déjà éloigné.

«  Nous sommes en tournée ! » clama-t-il. 

«  Impossible ! » rajouta-t-il en faisant un geste d’impuissance.

« Mais enfin ! Mais enfin ! » répétait sans cesse Michel interloqué.

« Ne t’inquiète pas, le rassura Estelle, je partirai seule. Je sais que tu dois être à ton poste lundi, on trouvera bien une solution pour ton retour ; un  covoiturage si ça te dit ! »

Michel toujours sous l’emprise de la stupeur, acquiesça.

Ce qu’aucun d’eux n’osa dire, c’est que l’idée d’aller à la gendarmerie ne les effleura même pas ; ils redoutaient qu’une malédiction ne leur tombe dessus au cas où ils trahiraient la confiance du « gitan ».

 

(à suivre)

 

*   Un matin rue de la colombe dans Histoires de Prévert

**  de même

*** Les derniers sacrements dans Histoires de Prévert

L’oeil de l’ange (suite 2)

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L’œil de l’ange (suite)

 

 

 

 

 

[Estelle après une journée de peinture dans le jardin de Prévert à Omonville la Petite — où l’ange qu’elle a représenté sur la toile semble
intriguer les visiteurs — quitte les lieux avec son mari. Ils ont l’intention de se rendre à St Germain des Vaux.]

 

 

 

 

 

………Les choses ne se passèrent pas exactement comme prévu. Ils prirent bien la direction de St Germain des Vaux, mais au lieu de tourner à
gauche et de prendre la petite route qui montait vers le paisible jardin de Gérard Fusberti, l’ami de Prévert, ils furent attirés par une musique dont le tempo les ravit de leur propre chemin
pour les conduire au-delà du réel. C’était une musique où la joie, démesurée, explosait dans un débordement de lamentations. La détresse et l’exaltation parlaient  par les notes venues des violons, de l’accordéon, de la clarinette, du cymbalum. Tous les instruments s’accordaient à faire vibrer les émotions humaines en les
menant  à leurs paroxysmes. Cet enchantement  émanait de la place où un cirque avait dressé son
chapiteau.

 

Estelle et Michel se regardèrent amusés. Comme ce cadre, habituellement si calme, se trouvait transformé par cette ambiance ! Le plus
petit port de France, où quelques bateaux ancrés paraissaient de loin n’être que miniatures  destinées à renforcer une ambiance  marine, devenait le théâtre d’un foisonnement de sons, de mouvements !

 

Leur journée, depuis le matin, vécue sur le mode détente consacrée à l’ ouverture aux joies simples de la nature et de l’art, semblait
visiblement être prise en otage par un tourbillon… Quel contraste !

 

Flonflons, boniments, cris et courses d’enfants joyeux… une belle agitation les entourait et les conduisit jusqu’aux camions peints de vives
couleurs. Ils purent lire le nom du cirque et n’en furent pas surpris ; c’était le cirque « Reinhardt ». Un détail, cependant, les frappa de stupeur ; une ribambelle de
petites fleurs et d’étoiles mêlées entourait ce nom et cette ribambelle provenait d’une guirlande qu’un angelot tenait entre ses mains. C’était le portrait craché de l’ange sis dans l’ atelier de
Prévert !

 

—Puisque nous sommes là, allons donc voir le spectacle ! proposa Estelle, quelque chose
m’intrigue et me retient… comme s’il était vital pour moi de m’immerger dans ce capharnaüm.

 

Ce cirque tzigane se caractérisait par l’absence de faune venue d’Afrique ou d’Asie. Tous les numéros ne
devaient leur beauté, et leur poésie, qu’à la dextérité des gens et de quelques animaux savants, qui n’étaient autres que des chiens, des chats ou des chèvres domestiques. Un jeu de miroirs
grossissants permettait aux spectateurs, assis sur  les gradins, de voir les scènes avec un volume et un effet multiplié, ils en appréciaient les
moindres détails

Vint le tour de Luana, la trapéziste, elle était aussi
équilibriste et voltigeuse. À la voir si souriante, ravie, épanouie, volant ainsi au-dessus de la piste, on s’attendait à tout moment à admirer  un
saut de l’ange — la foule espérait  la cueillir dans ses bras. À trop lever les yeux vers le ciel du chapiteau, on s’égare toujours un peu  en
 rêvant récolter quelques paillettes !

Il y eut des jongleurs, il y eut des clowns, mais jamais le
spectacle ne donna dans la farce, Estelle et Michel ne regrettèrent pas cet intermède dans leur journée, tout ici était poésie !

Après le spectacle des clowns, une musique d’errance et de
rédemption, les plongea dans  l’illusion d’une angoisse… Ils reconnurent Luana, mais cette fois-ci elle avait perdu ses ailes. Elle avait revêtu une
longue robe-fourreau noire, très ajustée et fendue jusqu’en haut de ses-cuisses. Elle était ligotée à une cible géante. En face d’elle Enzo se tenait, immense et impressionnant. Quelques cris
éclatèrent quand sortit le premier couteau de l’ombre de sa manche. L’effet de surprise passé, on demanda à plusieurs personnes dans l’assistance de donner, à tour de rôle, chacun trois chiffres
inscrits sur la cible. À peine les chiffres nommés les dagues fusaient, tantôt de la manche gauche, tantôt de la droite.

Un trouble palpable s’installait parmi le public qui devenait
acteur du jeu, flirtant avec la belle  et l’instant possible de  sa mort –  mais du côté bourreau ! Il n’y avait aucune trace d’ empathie pour la victime. Heureusement, il n’y eut pas de mort non plus — seule l’angoisse de l’une et
le voyeurisme sadique des autres firent des estafilades dans les bonnes consciences  et se trouvèrent, au final, poignardés sur la cible
assassine.

À la fin du numéro, la musique cessa, faisant place à un lourd
silence. Le noir de la pression meurtrière qui avait été partagée par tous, resta perceptible durant quelques minutes avant de se dissiper. Sur la piste, le rouge n’était pas entré en scène et on
délivra Luana de ses liens,  seul un léger tremblement sur ses lèvres persistait. Une révérence et la musique, joyeuse, vint effacer l’intensité
dramatique des instants précédents.

Une  phrase de
John Lennon s’imposa alors à Michel : « Un rêve que l’on vit seul reste un rêve. Un rêve que l’on partage est une réalité.» Un frisson le parcourut, il ne se savait pas aussi
cruel !

Lui parvint, comme un flash, l’image d’un homme qu’il avait vu
passer durant le spectacle. Il avait tenté, alors,  d’attirer l’attention de sa femme, mais elle était trop absorbée et lui-même s’était bien vite
laissé envoûter par la fascination du spectacle.

 

Sorti du chapiteau, délivré des effluves musicales et voyageuses de cet
univers tzigane, la mémoire lui revenait.

—As-tu remarqué cet homme étrange, long et maigre qui a
traversé la piste, il est passé derrière la cible ? demanda-t-il à Estelle

— Je n’ai vu que la cible et la pluie de couteaux
!

—Je me suis demandé si, sous sa gabardine grise, ne se cachaient pas des échasses. Il portait
un paquet emballé dans du papier journal et il semblait vouloir le dissimuler  sous un pan de son vêtement.

— Un exhibitionniste ? voulut plaisanter Estelle.

— Non, ce n’est pas une blague, il avait un air fautif, mais peut-être est-ce l’angoisse du
spectacle qui me fait lui prêter de tels sentiments.

— Allons, oublions tout cela mon chéri, répondit Estelle d’un ton rassurant, une bonne nuit de
sommeil dans notre charmante auberge et tu auras oublié ce personnage !

 

 

Arrivés à leur voiture, ils virent, sur leur pare-brise,  un flyer où était représenté le visage
de la belle Luana, tout auréolé  d’étoiles.

—Tu le gardes en souvenir ! ne put s’empêcher de suggérer Estelle. Mais son regard malicieux s’éclipsa bien vite quand elle eut retourné
le flyer. Quelqu’un y avait laissé un message !

 

« Je fais parti de la troupe d’artistes itinérants. Je possède un objet que je souhaiterais vous confier. Je viendrai vous rejoindre à
votre hôtel demain matin. Ne partez pas sans que nous nous soyons rencontrés. » Signé : Lucenzo

 

 

(à suivre)

 

 

 

Une musique :

 

http://www.youtube.com/watch?v=kq8HQQ0qUeI

 

Rose Garden

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Rose Garden

 

 

 

Un jardin enclos au cœur flou de la ville

écrin baigné de roses où le soleil s’incline

Épris de caresses un ange décline

en vaguelettes ses plumes en élytres.

 

Le vitrail des couleurs pétale sa lumière

dans le bastion végétal où rien ne dérange

le calme solennel de l’instant naturel ;

un trouble se dépose au flanc de mes rêves.

 

…..………………………………………Carmen
Pennarun

 

 

 

Chapitre 1

 

 

Le rat de Boston

 

 

« Y aurait-il un Bon Dieu ? Même pour les rats ? » Cette question  traversa un instant l’esprit de
Gérald, mais bien vite il se ressaisit, la tension qu’il devait maintenir pour maîtriser son chien ne permettait pas de telles divagations mentales.

« Ma foi, non, les rats n’ont pas besoin de Bon Dieu, ils se sortent de toutes les situations.

C’est ahurissant. Quel flegme ! Quelle intelligence ! »

Gérald pensait revenir  tranquillement vers Down Town où il habitait en empruntant l’avenue du
Commonwealth.  Il avait couru le long de  Charles River et était satisfait de sa performance ; il avait
tenu un bon rythme et ce, malgré son chien qui parfois freinait des quatre coussinets et qu’il devait alors traîner sur plusieurs foulées. L’animal n’était peut-être pas un bon compagnon de
course, mais d’instinct il savait identifier une présence indésirable.

Le croisement de Commonwealth Avenue et d’Exeter Street  faillit être fatal pour Gérald.

En même temps qu’il perçut le cri : « Oh, My God! », il entendit un bruit de freinage terrible et réalisa qu’une voiture arrivait sur
lui.

Mon Dieu se pouvait-il que ce soit sa fin ?!

Non, la voiture s’était arrêtée juste devant lui et  le chien de Gérald tirait sur sa laisse en
aboyant. D’ailleurs son chien n’était pas seul à aboyer, d’autres aboiements et  des cris de stupeur, de dégoût, se propageaient autour de
lui.  Mais ce n’était pas lui qui était à l’épicentre de ce mouvement de panique, non, ce n’était pas vers lui que les regards convergeaient ; un peu
plus loin, sur la chaussée, un rat immobile les regardait.

Gérald retourna sur le trottoir où les piétons s’étaient tous arrêtés pour regarder le spectacle incongru d’un rat qui s’était  matérialisé au milieu de la chaussée.

Durant quelques minutes la circulation était devenue un véritable capharnaüm.  Le rat, figé,
attendait que la vie urbaine s’organise autour de sa personne ; chaque véhicule devait contourner l’obstacle, et les cyclistes l’éviter. Il attendit jusqu’à ce que tous reprennent leur rythme.
Les voitures, les vélos, leur trajectoire, droite. Les piétons, leurs déambulations bavardes, celui-ci avec son voisin, celui-là avec son i Phone.

Dès qu’un premier véhicule ignora sa présence, le rat se mit en mouvement, il partit d’abord en diagonale rapide, et s’arrêta – s’il avait
poursuivi dans cette direction et à la même allure, il aurait fini sous les roues d’une Dodge qui passait. Elle ne réussit pas à mordre dans sa vie car le rat  s’arrêta, juste à temps, puis il bifurqua.

Il allait et venait sur la chaussée, sans jamais s’approcher du caniveau qui devait pourtant être son objectif. En marchant ainsi par avancées,
arrêts, retours,  en  lignes droites ou en diagonales, l’animal cherchait sa route dans un labyrinthe
mental connu de lui seul. Pour Gérald qui l’observait, ce n’était qu’une progression hasardeuse dont l’issue fatale était prévisible.

Si l’on avait dessiné le trajet du rongeur à la craie sur le bitume, une spirale sénestrogyre serait apparue, une spirale au tracé certes
tremblotant, mais qui se rapprochait à coup sûr de la bouche d’égout.

À aucun moment l’animal n’était passé sous une voiture. Comme pourvu d’un radar, il créait son parcours entre les véhicules en mouvement. Sa
démarche saccadée, faite d’arrêts brusques et de reprises spontanées, ressemblait à une danse bien orchestrée avec les monstres de la technologie montés sur roues, une danse dont la chorégraphie
tenait compte de l’obstacle  juste avant  qu’il surgisse. Le rat montrait à Gérald, qui l’observait, une
improvisation ingénieuse et impeccable face au danger.

 

C’est ainsi que le guerrier-rongeur sut maîtriser cette périlleuse situation, dans l’apparente indifférence générale. Le joggeur, lui, n’avait
rien perdu de la scène et son chien en grognait d’indignation.

 

Gérald fasciné par l’étonnante démonstration du rongeur restait figé sur place…  Il dut bien
admettre que le proverbe : « Il y a un bon dieu pour les ivrognes ! » était en train de devenir une vérité absolue devant ses yeux. Sauf, qu’il ne savait pas si l’animal était groggy ou si cette
providentielle « immunité » contre les accidents avait pour cause la nature même de ce Buster !

Buster, le nom qui s’était imposé  à son esprit alors qu’il observait le rongeur et qu’il pouvait
constater à quel point les animaux de cette espèce sont intelligents. Oh, il avait bien entendu parler de l’intelligence des rats, mais franchement, ce sujet était le cadet de ses soucis, jusqu’à
ce jour !

 

La circulation s’était maintenant stabilisée au carrefour de Commonwealth Avenue et d’Exeter Street. Gérald était le seul passant à ne pas avoir repris le rythme de sa propre marche. Son chien, que la scène n’amusait plus — il avait compris que
son maître ne lui permettrait pas de courser le rongeur —  s’était  couché, résigné, à ses pieds, en
attendant le bon vouloir de celui-ci.  Il jetait  de temps en temps  vers lui un regard perplexe.

Le rat, contre toute attente, ne s’était pas faufilé dans la bouche d’égout. D’un bond, il s’était retrouvé sur le trottoir opposé, d’où
il  regardait maintenant Gérald avec insistance et… sans la moindre hésitation, il fonça tout à coup dans sa direction à une vitesse déconcertante.
Gérald n’eut pas le temps de réagir. S’il resta de marbre, ce n’était pas, chez lui signe de self-control, son corps réagissait par une tétanie
émotionnelle  à  la peur causée par l’animal — appréhension doublée  par la crainte de paraître ridicule aux yeux des passants s’il s’était laissé gagner par la panique.

Le rat le contourna par trois fois puis, passant entre ses jambes, il vint se planter juste en face de Gérald. Le rat regardait l’homme, comme
il le faisait avant, mais cette fois-ci ils étaient tous deux sur le même trottoir !

Gérald, debout, rigidifié dans un aplomb théâtral, et comme hypnotisé,  ne tenait plus que par la
puissance du regard de l’animal.

 

Coup de foudre à  Commonwealth Avenue ! Coup de
foudre par rat prémonitoire !

 

 

Gérald était dans une confusion extrême. Cet état il le devait sans doute, à une quelconque phobie héréditaire des rongeurs ou à une déficience
visuelle qui  lui faisait prendre un écureuil pour un rat ! À moins que… Oui. Voilà l’explication : il était en plein rêve ! Il aurait
suffi d’une  sensation physique – un pincement – pour sortir de ce cauchemar dont il ne voyait pas l’issue.

Sensation physique… passer en revue le corps… crispation à droite… d’une poigne de fer, sa main serrait la laisse du chien, au plus près de son
collier.

Sensation physique… trois impacts sur sa jambe gauche ; petits bonds du rat qui tentait de s’agripper à la jambe de son jogging.

 

« Putain de rongeur ! »

 

Là, malgré sa tétanie, Gérald réagit, il attrapa l’animal par la peau du cou — comme il l’aurait fait d’un chaton — et l’amena face à son visage
pour le foudroyer de son regard d’homme. Envolée la peur, yeux dans les yeux, à trois pouces de distance, l’homme et le rat se comprirent.

 

 OK, dit Gérald, allons à la maison ! Et il mit le rat, qui ne broncha pas, dans
son sac à dos.

 

C’est alors qu’une jeune femme, que Gérald n’avait pas remarquée auparavant, s’approcha de lui et souffla à son oreille.

 

« Thanks! » et elle lui glissa dans la main une carte de visite avant de traverser au
feu en courant.

 

Gérald ouvrit sa main et lut :

 

Kathleen Singer

Harvard Museum of Natural History

Department of Organismic and Evolutionary Biology

Boston, MA

 

Gérald glissa le bristol dans la poche de son jogging et s’empressa de rentrer chez lui. La présence du rat dans son dos lui fit monter les
étages quatre à quatre. Qui sait s’il n’allait pas lui prendre l’envie, à cet animal, de ronger son sac de  sport, un Eastpak, super pratique mais pas
prévu pour le transport animalier !

 

Il trouva dans son cagibi, derrière les boîtes à chaussures, la  cage de son défunt cochon d’Inde.
Il se félicita de ne pas l’avoir jetée et y déposa  le rat sur un lit de journaux rapidement froissés.

« Ce n’est que provisoire, sieur Buster. Ne t’attends pas à plus de confort.  Demain
j’aviserai, pour l’heure je décompresse et crois moi, c’est avec plaisir que je vais t’ignorer à partir de maintenant et pour le restant de la soirée ! »

 

Gérald gratifia  son chien de quelques caresses, il 
lui offrit sa ration de croquettes et comme pris  de remords en balança quelques unes dans la cage de l’indésirable rongeur, puis il s’affala sur son
canapé. Devant lui, sur la table basse, un verre de bière et, à côté de lui, un sachet , bien mérité, de ses Dunkin’s Donuts préférés.

 

Il alluma la télé, la chaîne où les infos passent en continu, ce qui lui permettait de laisser errer ses pensées tout en  ayant une chance de mémoriser l’ensemble de l’actualité. Les émotions de cette soirée ayant grandement affecté son aptitude au raisonnement, il se laissa
bientôt gagner par un doux engourdissement… la trêve fut de courte durée, il sortit de sa torpeur quand il crut reconnaître, en gros plan sur l’écran, un visage qui ne lui était pas inconnu. Et
pour cause c’était lui !

Les yeux écarquillés, il lut les sous-titres… Non, on ne parlait pas de lui aux infos.  Aussi
incroyable que cela puisse paraître, cet homme était son sosie — Bradley Anderson, un éminent directeur de recherche, Le spécialiste des rongeurs au Musée d’Histoire Naturelle  de Harvard.

 

Cette ressemblance, quelle coïncidence !

 

« Mais… Oh, My God, dit-il en se levant précipitamment, le bristol de la  jeune femme ! Qu’en ai-je fait ? »

 

Il alla chercher dans la corbeille à linge la carte qu’il avait oubliée dans sa poche.

Cette K. Singer l’avait manifestement confondu avec M. Anderson ! Qu’attendait-elle de lui ? Quelle histoire ! My God quelle histoire !

 

Son chien que l’agitation de son maître inquiétait, sauta sur le canapé. Gérald, rassuré par cette présence dépourvue d’ambiguïté, finit par
s’endormir.

 

Le lendemain il se réveilla en catastrophe ; il n’avait pas de temps à perdre. Avant de se rendre à son poste de travail, à dix heures, il
avait l’intention d’éclaircir cette affaire de rat qui décidément prenait une drôle de tournure.

Avant de partir, Gérald enferma l’animal dans le cagibi. Il se méfiait des instincts de son compagnon canin et il avait comme le sentiment qu’il
lui fallait  veiller sur la sécurité du rongeur, même si pour l’instant il en ignorait les raisons.

 

 

Il prendrait le bus pour aller à Cambridge. Il pesta car il ne retrouvait plus sa Charlie Card. Il chercha de la monnaie ; il lui faudrait payer cash le trajet.

Arrivé à Cambridge, il traversa le site de l’université de Harvard et eut bien du mal à se frayer un chemin devant l’imposante statue de John
Harvard qu’une délégation d’étudiants japonais mitraillait avec force exclamations. Gérald sourit ; que d’honneurs pour une statue qui de notoriété publique est le symbole d’une triple
imposture*… il leva les yeux vers le visage de bronze impassible du pasteur  qu’il ne s’était
jamais donné la peine de regarder et, quelle ne fut pas sa surprise, d’y découvrir ses propres traits ! Statue des trois mensonges*,
ok, mais statue apte à provoquer la confusion dans un esprit jusqu’à ce jour sain, c’était une autre affaire ! Non, c’en était trop, dans quel
univers évoluait-il depuis sa rencontre avec le rat ?

Gérald se ressaisit, il avait une première énigme à résoudre. « Harvard, on règlera ce problème plus tard ! »

Il arriva au Musée d’Histoire naturelle et demanda à l’accueil un entretien avec K. Singer.

« Mais Monsieur Anderson vous pouvez aller dans son bureau ! » répondit la secrétaire.

Gérald allait s’empêtrer dans des explications quand il vit arriver la jeune femme.

 

« Ah, dit-elle, vous êtes l’inconnu à qui j’ai remis ma carte hier. Je vous avais tout d’abord pris pour M. Anderson ; vous lui
ressemblez tellement ! Même Z. one vous a confondus !  Mais en repensant,  après coup, à votre attitude face à lui, j’ai compris ma
méprise.» 

 

Kathleen était une femme à l’allure sportive. Sa démarche décidée, la souplesse qui accompagnait le moindre de ses mouvements renforçaient sa
féminité et Gérald était littéralement foudroyé par ses charmes. Tandis qu’elle lui expliquait le parcours de Z. one, lui,  n’avait d’yeux que pour ce
chemisier de soie qui s’animait sous la respiration de la jeune femme. Gérald, emporté par ce souffle, voguait en pleine mer où il admirait à loisir des voiles à la couleur de ce chemisier, des
voiles gonflées par l’alizé de ses désirs. Dans le flot des paroles qui lui échappaient,  il parvint tout de même à comprendre que Z .one et Buster,
son nouveau colocataire, n’étaient qu’un seul et même individu.

 Il se ressaisit et releva son regard ; du corsage, il passa aux yeux de Miss Singer, là où il
lui était permis de plonger.

La jeune femme qui n’ignorait pas l’impression qu’elle suscitait généralement chez les hommes, lui fit remarquer.

– Vous semblez distrait, M. Hoar. Si je vous importune, dites-le moi ?

Gérald piqué dans son orgueil tenta de se justifier en évitant de sombrer dans le ridicule. Mieux valait jouer la carte de la sincérité.

– Veuillez m’excuser Miss Singer, j’étais parti dans des égarements esthétiques, mais je les préfère, je vous assure, à ceux déclenchés par ma
rencontre avec ce rongeur qui, d’après ce que j’ai compris,  ignore les  égouts de notre ville !

Ce compliment à mi-mots sembla embarrasser l’admirable  sibylle. Elle en rougit mais sut rapidement se ressaisir. La femme, en elle,
éprouvait le besoin de prolonger la rencontre,  la scientifique, quant à elle, souhaitait clarifier les pensées du jeune homme que les évènements
rocambolesques de ces dernières heures avait rendu confuses. Des explications s’imposaient.

– Venez, dit-elle, je vous offre un café, ce sera plus agréable pour discuter.

Face à face à la cafétéria, Gérald se montra particulièrement attentif à la scientifique, il n’avait pas besoin de se forcer pour la suivre, il
lisait sur ses lèvres, il buvait ses propos, il se savait incapable de résister à toute demande par cette bouche annoncée…

-« Z.one est un très vieux rat de laboratoire issu d’un clonage involontaire. Vous pourrez voir dans notre musée un spécimen de Rattus norvegicus qui n’est autre que notre Z.one naturalisé.

– Vraiment !

– Eh oui !  Les rats sont, pour nous scientifiques, des organismes modèles dont nous étudions la longévité.  Nous répertorions les facteurs qui favorisent le rallongement de leur espérance de vie. Z.  s’est révélé être un individu particulièrement intéressant, il
nous a étonnés par son intelligence qui dépassait largement celle des autres individus. Le groupe est très hiérarchisé, vous savez,  et Z avait pris
un tel ascendant sur les autres rats, que ceux-ci en étaient arrivés à ne plus prendre aucune initiative. Ils se laissaient vivre, et ils vivaient bien. Ils abandonnaient à  Z toutes les prises de risques ! La situation au labo devenait critique ;  les rats se multipliaient et
le fait même d’avoir des descendants prolongeait la vie des vieux rongeurs qui continuaient de plus belle  à procréer.

Vous souriez, mais nous avons dû euthanasier des rats en nombre ! C’est là que le stress s’est installé chez les rongeurs, à un  point tel que le travail de plusieurs années allait être anéanti. Nous avons décidé de nous séparer de Z. en le remettant en liberté dans les rues de Boston,
une liberté surveillée. Nous savons la formidable capacité d’adaptation de ce rat, son ascendant sur ses congénères, avec lui nous allons prolonger nos expériences de labo sur le terrain.

J’ai un service à vous demander, dit-elle, avec un sourire à faire déborder la mer par-dessus les digues de ses dernières réserves,
pourriez-vous garder Z. quelque temps ? Il reviendra vers vous puisqu’il sait où vous habitez et qu’il ne fait pas de différence entre vous et M. Anderson. Nous vous demanderons juste de le
laisser sortir durant la nuit et de noter vos observations quotidiennement. Vous verrez combien il est facile de communiquer avec Z.

          Mais vous oubliez  que j’ai un chien ! protesta-t-il mollement.

          Votre chien n’a rien à craindre de Z.

          Ce n’est pas ce que je voulais dire !

          Je sais ! Affaire conclue ?! dit Kathleen en se levant et en déroulant sa longue silhouette. »

 

Gérald se leva comme hypnotisé, il suivit la vague de la silhouette et à la sortie  du fast casual, « Le bon pain » où la consommation d’un café avait suffi à le faire chavirer, il se surprit à promettre, tout en serrant la main de
Kathleen, de prendre bien soin de Buster-Z. one.

 

La jeune femme s’éloigna, elle traversa en courant Harvard square puis disparut…et Gérald se retrouva avec un rat sur les bras et cet espoir fou
de la revoir…

 

* Statue des trois
mensonges
 :

Ce n’est pas J. Harvard qui a posé mais un étudiant, 250 ans après la mort du
pasteur.

– erreur sur la plaque : la date de la fondation est 1636 et non 1638.

– deuxième erreur sur la plaque : J. Harvard n’est pas le fondateur mais un donateur.