J’avance comme un âne…

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Cette publication est à placer dans le cadre du thème du mois de la communauté des Passeurs de mots.

J’avais lu ce livre du Cardinal Etchegaray en 1984, il avait alimenté ma méditation qui pouvait être chrétienne, tout autant que bouddhiste, ou simplement moment de sérénité apprécié.

Voici un extrait :

« J’avance, comme l’âne de Jérusalem dont le Messie,
un jour des Rameaux, fit une monture royale et pacifique.
Je ne sais pas grand’chose, mais je sais que je porte
le Christ sur mon dos
et j’en suis plus fier que d’être bourguignon ou basque.
Je le porte, mais c’est lui qui me mène : je sais
qu’il me conduit vers son Royaume et j’ai confiance en lui.
J’avance à mon rythme. Par des chemins escarpés,
loin de ces autoroutes où la vitesse vous empêche
de reconnaître monture et cavalier.
Quand je bute contre une pierre, mon Maître doit être
bien cahoté, mais il ne me reproche rien.
C’est merveilleux comme il est bon et patient avec moi :
il me laisse le temps de saluer la ravissante ânesse
de Balaam, de rêver devant un champ de lavande,
d’oublier même que je le porte.

J’avance, en silence. C’est fou comme on se comprend
sans parler ; d’ailleurs, je n’entends pas trop
quand il me souffle des mots à l’oreille.
La seule parole de lui que j’ai comprise semblait être pour
moi tout seul et je puis témoigner de sa vérité :  » Mon joug
est facile à porter et mon fardeau léger. » (Mat. 11,30).
C’est comme, foi d’animal, quand je portais allègrement
sa mère vers Bethléem, un soir de Noël. Jules Supervielle,
le poète ami des ânes, l’a bien deviné :  » elle pesait peu,
n’étant occupée que de l’avenir en elle ».

J’avance, dans la joie.
Quand je veux chanter ses louanges,
je fais un boucan de tous les diables, je chante faux.
Lui, alors, il rit de bon coeur, d’un rire qui transforme
les ornières en piste de danse
et mes sabots en sandales de vent.
Ces jours-là, je vous jure, on en fait du chemin !
J’avance, j’avance comme un âne
qui porte le Christ sur son dos. »

C’est plein de poésie et je ne saurais rien écrire de mieux sur un âne !

Sur ces mots, je vous souhaite une belle fin de semaine et surtout, n’oubliez pas :

« Avancez lentement. Pensez avec douceur. Regardez le monde avec tendresse et Aimez ! »

🙂

car la nuit sera bleue

 

nuit bleue avec Killian

 

L’enfant devenu grand

interroge la nature

car la nuit sera bleue

quand des larmes du jour

tomberont les mémoires

il faut tendre jouvence

aux parents tonnerre

et couver le pardon

d’un duvet d’innocence

laisser les beaux coups

d’indocilité

édifier notre fougue

la fuite n’est qu’illusoire

la paresse n’a pas sa place

ainsi la vie nous entortille

fredonnant en spirale

l’ascendance de son chant

et c’est m’aille que m’aille

qu’elle nous y implique

.Carmen P.

 

Dans l’arène de la vie

 

Laura Daligan

 

Le taureau dans l’arène

à chaque coup bat de l’aile

la muleta est trempée du sang

versé par ces jeux barbares

qui depuis des générations

à perpette charrient bêtise

 

Le poète est présent

perdu dans ses sensations

frère des âmes- totem

qui crient détresse

 

On ne voit que du rouge

et un habit de paillettes…

le son de l’être se répand

sur la foule hystérique

quand l’estocade finale

arraisonne la souffrance

 

Le poète est au cœur

de l’arène quand il porte

les couleurs de la haine

en mode trouble

 

le cirque est de granit

à ciel ouvert ou se voûte

végétal, le cirque est partout…

et l’aile blanche de la colombe

emporte la robe noire tâchée

par des pacotilles de cruauté

 

Le poète est en somme

martyr car la passion le blesse

il ne donne que ses soupirs

en mode tendresse

 

Carmen P.

(illustration Laura Daligan)

Emily Dickinson

 

Emily Dickinson 2

Si je ne devais dire qu’un nom parmi les poètes que j’aime je citerais Emily Dickinson dont je vous copie deux poèmes extraits du recueil « Car l’adieu, c’est la nuit ».

 

Poème 358

Peut-être étais-je trop gourmande

Il me faut — des ciels à tout le moins —

Car les Terres, foisonnent autant

Que les Baies, dans ma Ville natale —

 

Mon Panier ne contient — que — ses Firmaments —

Ceux-là — à mon bras — aisément se balancent,

Quand de moindres ballots sont — Accablants.

 

Poème 598

Le Cerveau — est plus spacieux que le Ciel —

Car — mettez-les côte à côte —

L’un contiendra l’autre sans peine —

Et vous — de surcroît —

 

Le Cerveau est plus profond que la mer —

Car — tenez-les — Bleu contre Bleu —

L’un absorbera l’autre —

Comme l’Eponge — l’eau du Seau —

 

Le Cerveau a le poids exact de Dieu  —

Car — Pesez-les — Once pour Once —

S’ils diffèrent — ce sera comme

La syllabe et le Son —

 

Emily Dickinson

 

Pitres, dans la lumière (note de lecture)

Couverture Pitres, dans la lumière

Pitres, dans la lumière
d’Héloïse Combes
Editions Stellamaris

L’objet livre :
Recueil de prose poétique et de poèmes agrémenté de photographies de l’auteur.
Livre de format 200/140mm, couverture souple. Le livre se feuillette facilement et la couverture ne se gondole pas.

Dans ce live :
L’auteur nous interpelle, nous invite à la fantaisie, à l’oubli du côté étriqué de la vie, à l’exploration du champ de la nature, car notre propre nature humaine ne peut vivre que dans la communion avec l’infiniment petit où se désagrège « toute la lourdeur du monde » que nous subissons. Le bruyant, le clinquant, nous détourne de nos besoins essentiels et, pitres que nous sommes, nous contribuons à cette falsification. Assumons ce rôle de pitre et, « d’un éclat fou de rire irrépressible… à toutes jambes filons dehors. » Allons vers plus de lumière.

Mes impressions :
Qu’est-ce qui mérite d’être considéré « sacré » dans nos vies ? L’amour, nos rêves d’enfants, les souvenirs où l’âme d’une maison nous souffle une chaleur sororale, où la route de nuit dans la voiture familiale éveille l’imaginaire d’une nuit fantastique.
L’auteur nous encourage à rassembler les brisures de nos espérances, à laisser dans nos vies une « place à la liberté, aux rires des lutins, aux jeux des petits princes, aux froufrous des étoiles… »
Héloïse devient muse, elle devient chant et, femme caméléon, nous entraîne dans le jeu de la lumière, insaisissable comme elle, comme « l’éclair roux » d’un écureuil qui passe… alors que l’objectif ne fixe que le visage de l’enfant lutin barbouillé de mûres. Les amours se fondent dans la joie de la vie, dans cette profusion de sensations, de couleurs qui rendent notre Terre, nos villes souriantes tant que demeure un jardin qu’un enfant peut explorer.
À la folie des hommes nous ne pouvons opposer que nos fragilités reconnues. L’or de nos cœurs est la seule valeur qui mérite qu’on s’arrête au moment présent, il est la source qui ouvre la porte vers l’infini.
Comme tout élément de la nature, dit-elle, « Je suis un ange. / De chair qui tremble. / De cœur qui bat. D’âme qui rôde. »
Il faut de l’abandon, il faut du lâcher prise pour se mettre au diapason de la nature, pour entendre vibrer notre propre nature, alors que tant de sons discordants brouillent nos perceptions.
« Un poème se révèle lorsque je m’abandonne ainsi à mon corps et au monde dans ce qu’il a de plus sauvage, de plus simple et de plus grand à la fois. Un poème ne naît pas quand je réfléchis, Ou alors il ne serait pas Vivant.»
C’est bien le vivant dans son continuum qu’Héloïse perçoit au moment tremblant du bonheur présent. « Le passé ne meurt pas. Je chante », « Je chante le présent, je chante l’inconnu », « L’inconnu n’effraie pas. L’inconnu est acquis. Je chante. » « Je chante le présent, je chante le futur… Tout cela bat, ici, au cœur de chaque instant, je chante »

Au final :
Ce livre entonne un chant de vie où les absents, aimés (les pierres de notre château intérieur) laissent entendre leurs vibrations, où la nature devient notre alliée. C’est beau et cette lecture peut réveiller le goût du bonheur dans un monde où la désillusion menace de l’étouffer.

Un court extrait :
« Parfois il me semble même que le jour où ma tête aura pleinement accepté l’idée de lâcher prise, de ne réfléchir qu’avec la limpidité de l’eau claire, laissant la juste place à la fusion de mon corps et du ciel, de l’intime et de l’infini, alors j’aurai entre les mains la clef des Mystères. Je serai visionnaire. »

.
Carmen P.

Héloïse chante les textes poétiques qu’elle écrit :

Rue des impressions et Nocturiales

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Rue des impressions et Nocturiales

de Philippe Besse

 

Deux recueils de poésie édités par az’art atelier éditions, Toulouse.

Deux livres qui nous conduisent vers une  méditation urbaine en suivant les pas de l’auteur, même si la mer se trouve repliée quelque part dans un coin de l’esprit.     .

L’objet livre : original, présentation soignée. Le livre de format rectangulaire tient dans la main, donne envie d’être emporté avec soi, d’être ouvert à la moindre occasion. Beau design. Graphisme de pro,  avec reprise, en grisé, des motifs de première de couverture sur certaines pages intérieures. La couverture ne se gondole pas, le livre reste impeccable après plusieurs lectures.

Rue des impressions

 Formes, notes, couleurs tentent de dire en mots choisis l’éphémère et ses questionnements.

L’homme profondément seul, traîne dans les rues de la ville  l’ombre du passé ; sa mémoire au long cours qui le traverse et le dépasse. Il y a la Garonne, sa « lumière en état de fuite », il y a la lune aussi « Elle a lavé le ciel / De craies pointées de bleu / Par l’éponge des mots »

L’ombre se déroule que l’on voudrait étreindre dans le mouvement de la vie, que l’on voudrait voir danser, présence vive, proche de la joie seulement promise.

Le poète s’adresse à l’enfant du temps, l’enfant d’aujourd’hui, quelque soit son âge, soumis à l’inexistence, il aimerait l’inviter un moment à « s’allonger dans le bleuté de ses rêves, dans le vent de sa vie pour couvrir l’horizon de mots de lune »,  à regarder  « ces éclats de phrasé surgir, muses éphémères, tels des soupirs profonds d’anges rieurs »

Nous nous ressemblons dans nos absences, nous passons sur Terre comme des ombres, pour finalement nous effacer. « Ainsi fondu au ciel / à ce coeur d’horizon / J’ai enfin pour chemin / Ce fil effacement »

Nocturiales

 On avance dans ce recueil en « frôlements de nuit », on devient corps fenêtre à l’écoute de l’obscur, des rêves, et du plus profond de notre être.

J’ai particulièrement aimé « Un homme en partance », poème dédié au grand-père de l’auteur. Cet homme « emporté par le vent de la désillusion », dont la « vie se craquelle à l’écho du passé ».

Nos souvenirs sont les chants d’oiseaux du passé « Ils ouvrent la fenêtre des silences / Et pèsent sur le blanc de nos regards / Pour nous montrer le chemin de la vie »… et les éclats de vie passent « par un réseau de fils  tressés des mots »

Mon impression : Cette poésie née de la nuit, s’appuie sur le versant sombre de notre présence au monde. La mémoire se refuse à l’oubli, qu’elle appelle pourtant, mais l’enfant sur la route marche vers son accomplissement. Il naît sans mémoire et abandonnera même ses souvenirs d’enfance heureuse pour entrer au pays de l’Amour ou du Néant éternel. Seuls les pas du moment présent comptent, mais la conscience du temps « nous livre à nous-mêmes et à nos propres doutes ».

Sombre, incontestablement, mais la lumière par éclats vient nous surprendre au détour d’un vers. On devine que le cœur reste toujours borderline de la joie, même si  la lucidité l’en écarte.

 

Carmen P.

Passible d’être

Caras Ionut

.

J’ai le cœur si vaste
qu’on m’oublie dans le décor
un jour de sons monocordes
révélera l’indifférence

La peau de l’âme transpirera
il n’y aura plus rien à aimer
le vide se gorgera de baume
à cueillir avec des antennes

À tous les âges face à la solitude
surgie par hasard ou par nécessité
j’acclimate l’en phase et la self attitude

J’ai la peine aussi légère
que ma présence sur Terre
le temps frivole se libère
je le dilate à ma fantaisie

Mon rythme se plie à la lenteur
puisque personne ne me presse
les fenêtres s’ouvrent sur la vie
le vent m’en apporte la pruinescence

À tous les âges face à la solitude
surgie par hasard ou par nécessité
j’acclimate l’en phase et la self attitude

.
Carmen P.

(photo : Caras Ionut)

Ce poème a été mis en musique par Michel Bonnassies. Il peut être écouté ici :

http://www.le-crayon-du-parolier.com/t11823-passible-d-etre-garance-michel-bonnassies

Quelques instants

photo : Lizzy Gadd

photo : Lizzy Gadd

Les instants se succèdent, impriment leurs sensations sur le tableau de nos mémoires. Voici quelques impressions, un peu en vrac, beaucoup en liesse, toujours cueillies au plus près d’un frisson buissonnant de poésie.

Le conscient endormi

repousse l’inconscient

– il trouble son sommeil –

Le monde des songes

ne s’ouvre qu’aux anges.

Se laisser porter par le fauve du jour. S’abandonner quand rien ne paraît vraiment nécessaire. Laisser à l’intérieur tous ces poèmes étalés comme autant de jupons inutiles. Fanfreluches jaunies sur lesquelles la poudre azurante n’opère plus aucun miracle, d’ailleurs leur  dentelle ne découpe que la grisaille. Passer du froid à la douceur presque printanière ramollit la terre… chaussons nos sabots et privilégions  la nature, préférons la boue des chemins à ces mots qui ne se tissent que dans le mental.

Les édifices que les saisons assaillent
désolent ma vision des ordonnances humaines
mais lorsque la marée se charge d’une épave
elle ponce la coque autant que mes humeurs
dans l’ensablement méthodique de l’œuvre vive

Et si la poésie n’était que l’enfance d’un regard
effleurant le fond de l’insondable qu »elle désire
après une lente gestation de la pensée ?

J’ai temps chaviré
les saisons du corps
J’ai temps décillé
les cimes du ciel
que l’espace se défait
de sa brume de chanvre
et m’envoile de ses brins
aux penchants dits sauvages

 

(impressions à la pointe du Grouin)

La vague bondit
aux genoux de la falaise
elle reste de pierre

L’eau coeur que le vent enfle
jamais n’atteindra sa face

(Envie de douce harmonie)

Rien de plus précieux
que les instants faits mains
à suspendre au bouton de la porte
avant d’ouvrir – grand – la maisonnée
au vent fleuri du dehors embrassé

 

Carmen P.

 

Questionnement

 

Donnadieu Rémy Photographer

.

Il en est des comportements humains comme de la structure de la Terre ; le vulgaire et le fluant en forment l’écorce, ils recouvrent l’essence ciel d’un noyau inaltérable, à toute étoile pareil.

Parfois quelque éruption ou tremblement parvient à déchirer la peau terrestre obstruée par les   manipulations convenues dont nous négligeons les ressorts, dont nous feignons même de ne pas être un contributeur zélé.

Tout ce que l’on voit en surface demeure le grossier, qui inévitablement renvoie le profond, le subtil à l’invisibilité. Si nous ne voulons pas avancer masqués, il faut accepter d’être perçu dans l’insignifiance par notre choix du déni d’apparences – ces apparences qui seules nous révèlent au monde, prompt à juger, à placer chacun dans une case.

Sommes-nous déterminés à vivre  l’approche de l’essence des choses que ce soit dans l’Art, dans la Littérature, dans tous les domaines qui nous structurent fondamentalement ? Sommes-nous prêts à avancer en écartant la fange des idées molles, en contournant les strates vulgaires, en plongeant dans l’immonde ? Sommes-nous prêts à traverser le miroir qui impose une image déformée à notre regard premier, tout en évitant de produire nous-mêmes des actes, des pensées qui troubleraient davantage la vision d’autrui, rajouteraient de l’écorce à la douleur intime, densifieraient l’opacité de l’empreinte  humaine dans ce qu’elle a de plus grégaire ? 

 

Erin (Carmen P.)

Photo : Rémy Donnadieu