De nuit, deux amies sur une route

(texte onirique)
.

Elle rêvait
plongée dans le vivant du sommeil
que la pluie sur le toit figurait en débordements
Ainsi vécut-elle
au bord du lac où par le passé son père avait été englouti
heureuse

Elle rêvait
d’une direction à prendre
entre l’Est et l’Ouest
(je crois qu’elles prirent la route vers l’Ouest)
vers une ville au nom latin
oublié depuis mais elles ne perdirent
pas le goût de vivre qui résonnait
sous leurs peurs – tendu

même lorsqu’elles traversèrent
le cimetière où le prêtre
seul vivant rencontré dans la nuit
leur dit qu’elles étaient sur la bonne voie
elles ne pouvaient se tromper
en suivant la route des cent arbres
Ces arbres avaient été torturés
ils avaient subi un greffage
sur leur bois, jeunes – transfigurés
ils seraient reconnaissables
et jalonneraient leur route

L’amie était partie en auto-stop
sans voir les arbres, mais sait-on
ce que voient ceux
qui ne sont pas à nos côtés ?

Je demeurai fière d’elle
à l’arrivée je constatai qu’elle avait écrit de nombreux livres
ignorés de tous. Je les reconnus aussitôt même si son visage
ne figurait pas sur la quatrième de couverture
Elle était blonde, vive, et combien aimable
contrairement à ce qu’affirmait le chauffeur
qui décrivit la route en sa compagnie pénible
On ne porte pas le fardeau de l’imaginaire
sans qu’il paraisse « encombrant » pour ceux qui voyagent en notre compagnie

Peu importe
les livres demeurent
ils ouvrent aux lecteurs
un sens en retour
Peut-être même pourraient-ils voir
les cent arbres martyrs
et par la magie des mots parvenir
à dégrafer leurs carcans – les ramenant
à leur propre nature

.
Carmen P.
Illustration : Balthus – Étude pour le Rêve I ,1935

L’enfant de Syracuse (Les nouveaux amis)

sans-titre

(Je n’ai pas oublié mon personnage. Les fêtes de fin d’année et une panne d’ordinateur justifient mon silence. Je vous souhaite des jours heureux en 2015, même si ce début d’année nous a tous profondément bouleversés. Lucas, l’enfant de Syracuse,  part sur une mauvaise pente… c’est son histoire – telle que son auteur l’a imaginée – il entre dans un cauchemar dont il faudra bien que je le sorte !)

L‘enfant de Syracuse suite ( Les mauvais amis)

Il n’avait pas choisi ses amis au hasard mais une chose est certaine ce n’était pas leur réputation de « mauvais garçons » qui l’avait attiré. Ils avaient fait connaissance lors d’une rencontre de Baseball. Les Skychiefs de Syracuse affrontaient les Indians d’Indiapolis, un match de ligue internationale. L’ambiance, comme toujours, était chaleureuse et la passion commune ignorait les barrières sociales. On échangeait facilement quelques mots. On était prompt à rire, à se taper dans le dos. Lucas aimait ainsi sortir de l’isolement dans lequel le tenait son statut d’enfant unique. Il n’était pas indifférent, il aimait aller à la rencontre des autres, se mêler à la foule des supporters, partager le même enthousiasme – une façon de participer au mouvement joyeux qui accompagne les gestes de la vie et qui se retrouve aussi dans les paroles prononcées quand seul compte l’instant présent et les commentaires sur l’ action qu’un joueur venait d’exécuter – d’offrir aux supporters. Se laisser porter par cette ambiance de stade donnait de la couleur à son existence et il s’abandonnait à cette euphorie. Un abandon de son individualité. Une ouverture aux autres. Le bonheur d’une soirée où manger un hamburger sur le pouce et boire un Honest Tea n’engageait à rien d’autre que savourer un instant de camaraderie sans conséquence.

C’est ainsi qu’il avait rencontré ses nouveaux amis. Rien de prémédité. Rien de malsain. Rien, absolument rien,  lors de ce match, ne permettait de suppose que ces deux amis étaient membres d’une organisation de jeunes qui s’ingéniait à prendre des risques et faire des pieds de nez à la société. Jamais il n’aurait pensé que pour garder ses deux amis il lui faudrait intégrer cette bande. Faire ses preuves, comme on dit. Il le comprit quand on le présenta aux autres dans un local désaffecté du côté de Lakefront où ils l’avaient conduit. Une vague de surprise traversa alors son esprit, mais il se considérait déjà engagé alors il choisit, sans manifester le moindre signe d’hésitation, de se glisser dans ce banc de drôles de poissons – après tout, il n’avait pas à se montrer frileux, on n’était pas en hiver, il ne risquait pas de geler, il s’agissait juste d’apprendre à nager autrement qu’en solitaire et dans une eau plus trouble que d’ordinaire !

Le tout était de ne pas se laisser prendre. L’aventure méritait d’être tentée,  l’idée d’endosser une deuxième personnalité,  comme le docteur Jekylle avec son M.Hyde, exerçait sur son imagination un attraction hypnotique qui balayait toute prudence. Avait-il l’étoffe d’un voyou ? Rien n’était moins sûr. Il le saurait par la pratique.   L’enfant sage de la famille Felding allait devenir un adolescent rebelle. Quelle transformation et quelle perspective de lendemains attrayants !

Sa mise à l’épreuve consistait à voler le sac d’une passante et à le remettre à son ami Ron qui l’attendrait derrière chez lui. Liberté lui était accordée de choisir sa cible, son heure. Personne ne devait savoir comment il allait procéder, seul comptait le fait qu’il revienne avec son trophée avant 8:30 pm – Ron ne devait pas se faire remarquer à poireauter trop longtemps – si les parents de Lucas  étaient absents de la maison, les voisins, par contre, risquaient de s’inquiéter de cette présence inhabituelle.

Couché sur son  lit, la veille du jour fatidique, Lucas échafaudait des plans. Les choses se révélaient beaucoup plus compliquées qu’il n’y paraissait à première vue même si la valeur de son vol était moins importante que le fait de subtiliser l’objet à une inconnue.

Le lieu… il lui faudrait choisir un quartier où il ne risquait pas d’être reconnu. Et comment procéder pour la suite ? Il devait  visualiser toutes les étapes avec une clarté qui seule allait permettre aux évènements de se dérouler à la perfection. Le film mental une fois réalisé, il lui faudrait le passer plusieurs fois sur l’écran de son esprit, sans rien en modifier, afin que la réalité du lendemain colle à   son projet.

Lucas s’endormit tard cette nuit là et dans ses rêves un sac gris argenté s’élevait dans les airs comme une grande voile inatteignable…

(à suivre)

Extraits de Rose Garden

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Rose Garden ouvre ses pages sur sept nouvelles.

Chacune de ces nouvelles nous convie à un rendez-vous avec la nature. Cette nature, on la découvre ordonnée et obéissant à la volonté de l’homme, dans un jardin du Massachusetts, on l’approche, sauvage, sur la Côte bretonne ou sur les Landes de Cojoux, on s’en extirpe quand un cauchemar nous prend dans le labyrinthe du jardin de l’inconscient….

Avec « Rose Garden », la réalité passe une porte, elle pénètre dans un univers où l’animal parvient à communiquer avec l’homme, où la mort poursuit le dialogue avec le vivant…

Les titres des nouvelles (dont je vous ferai une introduction prochainement) :

– Rose Garden
– L’œil de l’ange
– Pauline ou le cri
– Un dimanche en Pays de Brocéliande.
– Amour et Mandala
– Au-delà des cauchemars
– La demoiselle de Saint-Just

 

Nouvelle 1 : Le rat de Boston
Rose Garden (nom d’un jardin de roses à Boston) est une nouvelle en quatre chapitres.
Synopsis :
Gerald habite Boston, lors d’un jogging il rencontre un rat visiblement égaré sur la chaussée. L’animal échappé d’un labo. perturbe la circulation et intrigue les passants. Tout à coup il se précipite vers le jeune homme et ne le quitte plus. Cette intrusion dans l’existence bien rangée de Gerald va l’obliger à fouiller son passé, à penser son avenir autrement, à laisser une place pour que grandisse l’Amour dans sa vie, tout en l’amenant à réfléchir sur la responsabilité de l’homme et de la Science dans ce monde qui nous héberge.
La pensée de Henry David Thoreau accompagne en filigrane, de bout en bout, cette nouvelle.
Deux extraits de ce chapitre 2.
Extrait 1 :
« … Gerald Hoar menait depuis quelques années une existence de célibataire à laquelle il trouvait un certain confort. Il savait par expérience que la passion apporte, passé l’éblouissement des premiers mois, plus de tourments que de plaisirs. Autant il appréciait les uns, dont il ne se privait pas, autant il fuyait les autres. Il était parvenu à convaincre sa famille et ses amis que ce choix de vie était préférable à l’état d’excitation et d’angoisse qui vous colle à la peau quand vous êtes « amoureux ». L’amour, immanquablement, le renvoyait à l’image d’un naufrage, et lui tenait à garder la tête hors de ces remous. C’est donc avec détermination qu’il s’organisa une semaine d’enfer au planning « serré ». Il se laissa absorber par ses occupations habituelles, et de crainte que ce ne soit pas suffisant, il en rajouta même. Ne refusant aucun surcroît de travail, emportant chez lui des dossiers supplémentaires, il parvint à chasser ainsi de son esprit, à chaque fois qu’elle se présentait, la pensée de la jeune femme qui menaçait tant son self- control et dont le sillage sensoriel, le sourire, le son de la voix risquaient de remettre en question l’équilibre d’une vie.
Le rat, durant ces quelques jours, ne provoqua pas de désagréments. Sa présence occasionnait juste un rituel supplémentaire à accomplir. Gerald s’en chargea, comme il s’y était engagé, quand bien même il ne saisissait pas le sens de cette présence dans son appartement. Non, le rat n’était pas un problème, et son chien, Zardoz, semblait s’accommoder de ce nouveau colocataire… « 

Extrait 2 :
« … Dans le bus, bien que prenant la direction de Cambridge, il parvint à détourner ses pensées de Kathleen. Un groupe de jeunes afro-américains, Smartphone en main, écoutait de la musique avec force mimiques et claquements de doigts. Il ferma les yeux, pour tenter de se couper de cette agitation. C’est là que l’image de Kathleen et de sa plastique irréprochable en profita pour surgir. À son insu, elle s’imposa en force sous la forme d’un doux rêve éveillé. Un arrêt un peu trop brutal lui fit perdre l’équilibre et il se retrouva le nez collé sur la poitrine volumineuse d’une femme d’un certain âge. Ceci le ramena à la réalité, bien loin des courbes de sa belle qu’il se voyait déjà caressant. Tout en rougissant du fantasme qui l’avait mis dans une situation ridicule, en public, il se confondit en excuses auprès de la passagère qui le regardait, indignée… « 

 Un autre extrait (le tout début de la nouvelle)
« Y aurait-il un Bon Dieu ? Même pour les rats ? Cette question traversa un instant l’esprit de Gerald, mais bien vite il se ressaisit, la tension qu’il devait maintenir pour maîtriser son chien ne permettait pas de telles divagations mentales.
Ma foi, non, les rats n’ont pas besoin de Bon Dieu, ils se sortent de toutes les situations. C’est ahurissant. Quel flegme ! Quelle intelligence !…
Gerald pensait revenir tranquillement vers Down Town, où il habitait, en empruntant l’avenue du Commonwealth. Il avait couru le long de Charles River et était satisfait de sa performance ; il avait tenu un bon rythme, et ce malgré son chien qui parfois freinait des quatre coussinets et qu’il devait alors traîner sur plusieurs foulées. L’animal n’était peut-être pas un bon compagnon de course, mais d’instinct il savait identifier une présence indésirable.
Le croisement de Commonwealth Avenue et d’Exeter Street faillit être fatal pour le jeune homme.
En même temps qu’il perçut le cri : « Oh, My God! », il entendit un bruit de freinage terrible et réalisa qu’une voiture arrivait sur lui.
Mon Dieu se pouvait-il que ce soit sa fin ?… « 

 

Nouvelle 2 : L’œil de l’ange
Synopsis :
Estelle participe à un week-end de peinture sur le site dans le jardin de Prévert à Omonvillela Petite. C’est pour elle le début d’une aventure humaine et poétique qui transformera son regard de peintre et l’âme des couleurs qu’elle pose sur sa toile.
Un extrait :
« … Quand ils regardèrent la toile d’Estelle et découvrirent l’ange qu’elle y avait peint, ils eurent une raison supplémentaire de donner libre cours à leur indignation. Un ange – oui – un ange qui, du salon, semblait regarder vers le parc, et celui-ci prenait couleur à partir de ce regard !
— Un ange sexué planant au plafond de la maison de Prévert, s’exclamèrent-ils ! Est-ce de la provocation à l’égard du poète ? Une atteinte à sa mémoire car, comme tout le monde le sait, Prévert était un iconoclaste notoire ? Ce ne pouvait être que pure imagination !
— Ma perspective vous étonne ? répondit Estelle avec complaisance. J’ai voulu peindre le décor en faisant passer le point de vue par le regard de l’ange. Intérieur et extérieur se complètent, se répondent sur la toile. Quand vous visiterez la maison – car vous reviendrez n’est-ce pas ? -, vous verrez cet ange en bois polychrome suspendu à une poutre. De là, il veille sur la paix studieuse du salon. Sa présence peut paraître étrange, mais les chemins de la réceptivité passent par l’acceptation de la présence insolite d’un objet, quel qu’il soit et où qu’il soit.
« L’ange dans cette maison détone, il rompt quelque chose, il dérange, quand on sait les prises de position anticléricales du poète. Voyez-le comme un clin d’œil malicieux à la vie, aux idées des hommes… comme un paradoxe. Mettez cet ange dans une chapelle ou imaginez-le en figure de proue, il devient banal, mais là, c’est de l’art, du grand art !
« Ce n’est pas le putto qui est important, mais sa symbolique. Si vous enlevez l’ange, il aura toujours sa place dans l’espace où il était auparavant, il ne la quittera plus. Vous lui avez accordé le droit d’être, il ne l’oubliera jamais, que ce soit dans la clarté du jour ou dans l’obscurité. Et sur ma toile ce sera pareil. Vous avez remarqué cet ange, mais je vais le recouvrir de peinture, il sera toujours là, on devinera juste sa présence. C’est lui qui m’a permis de construire le tableau, mais il s’effacera et son absence deviendra espace de liberté. Une absence, comme un silence dans un environnement bruyant, comme un vide dans la profusion des choses, un vide qui accrochera le regard, provoquera la question, je l’espère.
« Bon, je vais cesser de m’exalter au sujet de cet être “ange”, dit Estelle, et elle porta son attention vers le portail. Avez-vous remarqué combien cette petite route de campagne, devant la maison, est étonnante ? Voyez cet âne qui passe sans être accompagné !
Ses interlocuteurs eurent à peine le temps de se retourner que l’âne s’était déjà envolé et qu’on entendit braire un coq.
— C’est pré vert ici, et langue de poète ; rien ne doit surprendre !
… « 

 

Nouvelle 3 : Pauline ou le cri
Synopsis :
Adrien, 23 ans, laisse derrière lui les années d’étude. Il est sur le point d’entrer dans la vie active. Un ami peu scrupuleux, qui a sollicité son aide, va le trahir et de ses projets il ne restera plus rien. Adrien est désemparé. Un cri dans la nuit va le sauver.
Un extrait :…
« … Cet état, il le traîne en effet depuis longtemps, il se souvient du jour, pas si lointain – c’était la semaine précédente – où, après des démarches infructueuses pour trouver du travail dans la capitale bretonne, il rentrait chez lui, ignorant les personnes qu’il croisait. Son moral n’était déjà pas merveilleux, et la brume, la même que celle d’aujourd’hui, était comme une bulle où il entassait les idées noires. Il en voulait à son père qui lui mettait tant la pression… la révolte, il la ressentait avec l’intensité de l’adolescence, et pourtant il croyait avoir dépassé l’âge d’éprouver de tels ressentiments… il rejetait la responsabilité de ses difficultés sur ses parents, toujours trop présents, trop aimants. Il se souvint des paroles de son oncle, il lui avait dit qu’on ne peut juger à l’aune d’aujourd’hui les actes des générations qui nous ont précédés. Chacun doit faire face et trouver des réponses aux nécessités et aux contingences de son époque.
Des réponses… il aurait aimé pouvoir en trouver ! Il se serait contenté du bout du nez d’un semblant de réponse. Mais rien… il était coincé dans sa toute jeune vie et le pire était à venir, il ne savait pas que lorsqu’il allait enfin pouvoir sortir du long tunnel des années d’attente, au moment où il allait devenir l’acteur de sa vie… tout allait lui échapper… « 

 

Nouvelle 4 : Un dimanche en Pays de Brocéliande

Une nouvelle courte qui condense toute la magie de la Bretagne. Je ne mets pas d’extrait pour ne pas entamer la magie du texte.

 

Nouvelle 5 : Amour et mandala

Une histoire d’amour dont voici un extrait :

« Les quatre malfaisants n’étaient autres que des retraités un peu poivrots et franchement teigneux qui venaient taper la belote au bar. Pas un jour sans qu’ils y soient, toujours installés à la même table, celle qui leur permettait d’interpeller facilement la barmaid tout en gardant un œil sur la porte, ceci afin de ne rien manquer des entrées et de saisir tous les faits et gestes des habitués. Ils jouaient un drôle de jeu ; c’était à celui des quatre qui saurait balancer la parole la plus provocante, la réplique la plus mordante. Les sarcasmes fusaient, les sous-entendus propageaient leur fiel dans les propos en apparence anodins. Ils savaient repérer les travers de chacun. Le client, par principe suspect, était jaugé, détaillé en moins de temps qu’il n’en faut à la gendarmerie pour contrôler nos papiers. Pierre-Yves était devenu leur bouc émissaire et ils n’ignoraient pas la raison de sa présence au bar. Sur lui, ils exerçaient leurs talents de persiflage, ils ne manquaient pas une occasion de le railler, avec délectation. Une façon de le rabaisser aux yeux de sa belle. Ah oui, il ne passait pas inaperçu ! On pouvait entendre dès qu’il passait la porte du bar :

— Il a bien pédalé, le beau gosse ce matin ?

— Faut voir ses mollets ! C’est un sportif, le gars !

— Eh, tu ne te préparerais pas pour le Tour de France, par hasard ?

— Y ferait mieux de se déclarer, ce benêt. N’est-ce pas, Abigail !

— Atout cœur, renchérissait Momo, le plus pervers de la bande.

— C’est pas à toi de mettre atout, Momo !

— Pas de ma faute. C’est Poulidor junior qui m’a distrait !

Il en allait ainsi à longueur de journée. Quand un client de passage venait à s’aventurer dans leur salle les commentaires redoublaient. Il fallait que ce nouveau venu sache que le gamin était la risée de tous. C’était pure charité chrétienne que de le mettre dans le secret. L’étranger était pris à témoin et s’il ne montrait aucun signe d’agacement, son silence devenait une preuve d’acquiescement. D’une manière ou d’une autre, il participait au lynchage du malheureux…»

 

 

Nouvelle 6 : Au-delà des cauchemars
Synopsis : Une femme accompagne sa grand-mère lors d’un moment difficile dans la vie de son aïeule. Elle écoute les souvenirs qui remontent, les comprend, devient, bien involontairement l’instrument d’un étrange échange.
Extrait :
« Camille se demandait à quoi pouvait bien penser sa grand-mère, il lui semblait, par moments, lire de la colère dans son regard. Colère d’une mère qui aurait souhaité une vie tellement différente, qui… attendait tant de ses enfants, mais eux étaient incapables de répondre à ses attentes. Ils ont passé une vie à s’arracher l’amour d’une mère toujours insatisfaite, à essayer de lui prendre des faveurs matérielles, à se déchirer entre frères, parfois ils en venaient aux poings.
Durant la célébration, Eugénie a versé quelques larmes. Étaient-elles destinées à Daniel, ou était-ce des larmes d’apitoiement sur son propre sort ?
Quand la célébration fut terminée, comme elle l’avait annoncé, elle demanda à sa petite fille de partir. Curieusement, elle semblait soulagée et elle avait retrouvé l’usage de la parole. Elle proposa à Camille un repas au restaurant avant que celle-ci ne la raccompagne chez elle. Eugénie se montrait gaie, était-elle simplement heureuse d’être avec sa petite-fille ? Rien ne différenciait ce repas de ceux que la grand-mère et Camille s’accordaient une fois par semaine. Un moment bien à elles où elles se faisaient mille confidences… « 

 

Nouvelle 7 : La demoiselle de Saint-Just
Synopsis : Je ne dirai rien de plus ; une immersion au cœur de la Bretagne.
Extrait :
« … Marion vit que la cruche était vide. Elle décida d’aller chercher de l’eau au puits.
Elle se glissa sous la partie basse de la porte et le vent d’hiver s’engouffra dans la pièce.
Le seau, pourtant vide, était bien lourd pour elle, son bois frottait contre ses mollets. Arrivée au puits, elle se pencha par-dessus la margelle car il lui sembla entendre une voix, la voix de sa mère.
— Maman ! cria-t-elle, surprise.
Le vent soufflait plus fort, couvrant les voix. Pour mieux entendre, l’enfant se pencha davantage. Elle perçut distinctement :
— Va dire à la fille de ta fille, qu’elle aille dire à la fille de sa fille qu’elle apporte le pain au four !
Elle se recula d’un bond et vit, en face d’elle, sur le bord du puits, un lutin au visage caché par les larges bords de son feutre. Le regard affolé de la fillette chercha un repère rassurant autour d’elle, elle vit filer un lièvre… et quand ses yeux osèrent revenir au puits, le lutin avait disparu. Elle resta momentanément pétrifiée jusqu’à ce que la panique s’empare d’elle et qu’elle détale, à toutes jambes, laissant le seau sur place. Elle s’affala au milieu de la cour de la ferme, se releva sans prêter attention à son genou écorché. C’est une Marion tout essoufflée qui poussa enfin la porte de la maison et se précipita près du lit clos. Le crucifix était bien là, planté au milieu du mur ; elle était sauvée ! Elle s’agenouilla et commença à réciter les prières qu’elle connaissait par cœur. Cette litanie la calma, elle put s’adresser, avec ses mots d’enfant, à son Seigneur du ciel, le seul capable de la protéger de la sorcellerie dont elle avait été le témoin.
— J’ai pas été mauvaise, dis ? Je suis bien allée à la messe et même aux vêpres dimanche ! J’veux pas être transformée en pierre comme les Demoiselles. J’ai peur dans la lande toute seule, les ajoncs sont piquants et j’ai besoin de ma maman. Où est maman ? Dis, elle n’est pas tombée dans le puits, au moins. C’est pas elle qui m’appelle. J’veux pas aller dans le puits. J’veux ma maman. Maman ! Maman !
Marion était une enfant remuante, un vif-argent comme disait sa grand-mère. Une petite fille qui aimait qu’on lui conte, encore et encore, la légende des demoiselles de Cojoux, ces jeunes filles qui avaient fauté et que la colère divine avait transformées en pierres levées. Entendre cette histoire était inquiétant, certes, mais Marion aimait frissonner en l’écoutant. Elle prétendait ne pas craindre ces sortilèges car elle affirmait, crânement, ne pas redouter le diable qui pourrait toujours courir pour l’attraper. Comme elle aurait aimé, si on ne le lui avait pas interdit, vérifier par elle-même son courage, en sortant dans la lande quand le ciel, noir comme le cul d’un chaudron percé, lançait ses éclairs et faisait virer les schistes au mauve ! Les adultes avaient-ils raison de la prévenir des dangers de ce monde et d’un autre, encore plus obscur ? Elle commençait à le croire.
L’heure était venue pour Marion, en l’absence de ses parents, de découvrir le charme inquiétant de Saint-Just, cet espace sacré que les hommes ont chargé de leur présence depuis le Néolithique. La lande regorge d’esprits et de maléfices, autant qu’il y a ici d’ajoncs d’or, de schistes bleus, de grès rouge, de poudingue, de filons de quartz, tous en parfait accord quand il s’agit d’animer le paysage et d’enflammer les imaginations.
Kador, le chien, s’approcha doucement de l’enfant, il avait compris le désarroi inhabituel de sa maîtresse. Il lui léchait le visage en geignant comme s’il voulait absorber la tempête de ses larmes. Marion, cette fois-ci, était insensible aux attentions de son fidèle compagnon. Elle n’était qu’une petite fille submergée par l’angoisse et secouée de pleurs incoercibles. Seuls les bras de sa maman auraient pu la calmer.
Le chien, impuissant face à ce chagrin, se mit à hurler à la mort. Ces chants de détresse, pleurs et hurlements mêlés, attirèrent une voisine qui s’en revenait, du moulin de l’Étang du Val, par le sentier.
— Mais que se passe-t-il dans cette maison ! dit la brave femme… « 

 

Un pause

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Une pause
 
 
je viendrai moins
et c’est certain
une décision
au goût amer
du chant d’action
impose ornières…
 
Carmen P.
 
Un poème en cadeau, il est de Charles Le Quintrec :
 
Premier matin
—————–premier jardin
———————————–une lumière
Circule sur l’étang où s’ébattent des grues
Des enfants font des ricochets dans le soleil
Des femmes endormies – dormeuses demi-nues
Appellent des amours qui s’envolent joufflus
Vers les vignes
——————-le vin cette année sera clair
Allons les beaux enfants ! prenez votre musique
Et que danse la vie que nous aimons, la vie
Qui fait belle la femme au jardin que j’ai dit
Dans le premier matin où le mystère vibre.
 
 
Charles Le Qunintrec in La source et le secretAfficher la suite

Les cloches de l’invisible

Pour le thème de février de la communauté « Les passeurs de mots ».

 

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Les cloches de l’invisible

 

 C’était l’été de mes treize ans, je lisais encore « Mademoiselle âge tendre » et j’ignorais « Salut les copains ». Toute à mes activités estivales je ne savais pas que le monde béni de l’enfance allait bientôt, pour moi, perdre son charme. Je ne soupçonnais pas, non plus,  que dans quelques jours, on oublierait de me souhaiter mon anniversaire. L’heure allait sonner où le flux de la vie terrestre emporterait mon innocence et, avec elle, ma confiance et l’amitié.

Cette journée du mois d’août changea à jamais le profil de ma vie, mais personne ne le sut.

Le mois d’août, un bien joli mois consacré aux jeux, à la lecture… Mes parents travaillaient continuellement, ils ne prenaient jamais de vacances, ainsi, pour leur fille, chaque matin était l’annonce d’un merveilleux jour de liberté et de créativité.

J’étais fort occupée car nous allions recevoir la famille d’un de mes oncles. Ma mère s’occupait de la partie intendance et restauration, et moi, je prenais en charge les loisirs. Je m’affairais du matin au soir, préparant  de nombreuses activités pour mes cousins et cousines. Je souhaitais tant que leur séjour soit agréable et qu’ils demandent à leurs parents de revenir l’année suivante ! Parfois, l’idée m’effleurait que peut-être mes efforts allaient être vains, que mes cousins n’allaient pas apprécier les loisirs que j’avais imaginé… alors, pour satisfaire chacun, j’essayais de faire abstraction de mes propres goûts, de penser très fort à la personnalité de chacun, en fonction de mes souvenirs de l’été précédent. Ainsi, je ne risquais pas de me planter, même s’il restait une inconnue : en un an, chacun de nous avait pu  changer ! Je chassais vite mes doutes ;  si tous étaient  prêts à  y mettre de la bonne volonté, et moi en premier, pourquoi  penser à un quelconque désagrément et croire que mes propositions de jeux ou de sorties ne motiveraient personne. Les livres, classés par genre, attendaient de piquer la curiosité des lecteurs. Les activités manuelles et les jeux étaient préparés.  Le texte d’une pièce de théâtre était écrit – ne manquaient que les acteurs. Les pochettes de timbres attendaient d’être ventilées équitablement entre collectionneurs et amateurs de belles images…

C’est donc de pied ferme et le sourire au cœur que j’accueillis mes cousins.

Bérengère, l’aînée, me regarda d’un air supérieur, mais elle finit  par s’intéresser aux activités, Pierre, le plus jeune, resta, un premier temps, dans les jupes de sa mère, mais sa timidité ne dura pas, je parvins à l’intégrer à nos jeux. Marie Paule, qui avait le même âge que moi, et était devenue une jolie jeune fille, se montra aussi affable que les années précédentes.

Les cousins piquaient toujours  leur tente dans le pré face à la maison familiale.

Un après-midi, je proposai une promenade en forêt. Seule Marie-Paule accepta… Cela me réjouit, ainsi nous allions pouvoir marcher tranquillement tout en nous confiant nos secrets de l’année écoulée.

Le souffle des espoirs des collégiennes se mêla au chant des oiseaux et au silence des arbres. Jamais la forêt ne trahit les béguins dont elle entendit les noms chuchotés dans ses sentiers. Par moments, nous interrompions nos confidences, et nous nous  poursuivions en riant, puis nous nous  assîmes au pied d’un chêne, le temps de tisser deux couronnes de feuilles et de fleurs. Nous étions heureuses, à l’évidence cette année de maturité supplémentaire n’avait pas détruit nos liens d’amitié… les quelques jours de vacances à vivre ensemble promettaient d’être agréables.

Les couronnes sur nos têtes, nous reprîmes tranquillement le chemin du retour. C’était l’heure du goûter et notre promenade nous avait ouvert l’appétit.

— Attends, dis-je à ma cousine alors que nous longions le mur du cimetière, veux-tu que nous entrions ?

La proposition pouvait paraître insolite, je m’attendais à un refus de sa part. Je l’aurais bien compris, mais Marie-Paule n’était pas de nature contrariante, elle accepta. 

Je devinais, malgré tout,  ses réticences, alors je pris ma cousine par la main. C’est ainsi que nous poussâmes le portail et que, lentement, dans les allées du cimetière, se poursuivit notre curieuse exploration.

Nous nous arrêtions devant les tombes, lisant les dates inscrites sur le marbre, chaque dalle révélait une page de l’histoire de mon village… J’avais beaucoup d’imagination et je me tentais de ressentir ce qu’avait pu être la vie des personnes qui reposaient en terre. Devant chaque tombe visitée, nous déposions une feuille ou une fleur que nous  détachions de nos couronnes. Les gestes étaient calmes, les pensées pures, nous étions  présentes  aux gestes d’offrande et respectueuses du souvenir des morts.

Marie-Paule semblait maintenant rassurée. Tout était si calme en ce lieu. On ressentait le frémissement de l’air. On entendait le bourdonnement des insectes. Pas un homme.  Pas un chat. Au loin, le village. Ici, deux jeunes filles recueillies parmi les tombes.

Avant de quitter ce lieu, je proposai à ma cousine de faire une dernière pause devant le calvaire situé au centre du cimetière. Juste le temps d’une prière silencieuse… Je tenais à prier pour les personnes dont les tombes n’avaient pas arrêté mes pas. Toutes méritaient mon attention car ces personnes avaient vécu, elles avaient aimé, elles avaient foulé le même sol que celui où je me tenais à mon tour. Mes intentions,  je les concentrai dans une courte pensée. Marie-Paule  semblait aussi recueillie que moi.  Un sentiment profond d’amour et de calme était perceptible.

C’est cela Prier.

Je  fis le  signe de la croix, signe que ma cousine  répéta. Signe que nous allions partir.

C’est alors que nous prîmes conscience que quelque chose d’anormal se produisait. Il n’y avait plus de parfum. L’air était devenu statique. Les insectes ne scintillaient plus dans la lumière de l’après midi. Tout semblait étrange alors que nous nous trouvions à la même place quelques secondes auparavant. C’était le même lieu, il n’y avait que Marie-Paule et moi devant le grand calvaire mais, ce silence…  Ah ce silence, à couper le cerveau ! Tous nos sens aux aguets, nous tendîmes l’oreille…  Si, un son, il y avait un son, à peine audible, qui se laissait entendre… un son très léger de clochettes qui semblait venir de loin et progressivement se rapprochait. Ce bruit se multipliait, il  s’intensifiait. Il  prenait son temps pour gagner en volume. Lenteur et célérité se conjuguaient dans cette manifestation sonore qui atteignit un volume étonnant — ce volume, néanmoins,  n’agressait pas les tympans !

Autour de nous,  des cloches sonnaient à toute volée. Nous étions entourées d’une nuée de  cloches invisibles qui sonnaient de façon vertigineuse !

Nous étions au centre du tourbillon.

Marie-Paule s’était agrippée à mon bras et me serrait très fort. Nous étions comme soudées l’une à l’autre par la même stupeur…  Les cloches poursuivaient leur étrange manifestation… Marie-Paule eût un sursaut et me secoua, mais je ne bougeai pas. J’étais comme tétanisée par un phénomène dont je désirais connaître la cause.

Ma cousine me prit la main et me tira violemment : « Viens ! » dit-elle, mais je ne bougeai pas.

Viens ! répéta-t-elle en hurlant.

Son cri me sortit de l’état d’enchantement dans lequel je me trouvais et je repris contact avec la réalité. La panique s’empara de moi. La voix avait suffi pour rompre le charme et pour que la peur de Marie-Paule se communique. C’est la mort aux trousses et toujours main dans la main que nous laissâmes  le cimetière et ses cloches derrière nous. Nous  n’avions  jamais couru aussi vite !

 

À peine arrivées sur le terrain où campaient ses parents, Marie-Paule, toute excitée, raconta ce que nous venions de vivre. Personne n’y prêta attention. On nous demanda de nous taire ; les adultes avaient autre chose à faire que d’entendre des histoire sorties de l’imagination de deux adolescentes !

Quant à moi, je  ne dis rien. À quoi bon !

Si cette histoire ne fut tout d’abord pas écoutée, elle eut néanmoins pour conséquence d’écourter les vacances de mes cousins. Ma tante  ne supportait  pas de voir combien l’imagination de sa fille  se décuplait en ma présence.

Contrairement à moi, Marie-Paule parvint à se faire entendre par sa famille. Tous avaient compris qu’il s’était passé quelque chose de suffisamment grave pour qu’on sépare, à jamais, les deux cousines.

 

Carmen P. (Erin)