Des mots-fenêtres

 

Chaque matin je cueille mes pas et les plante dans l’eau de la Vie qui Va !

*

Il faut du courage au lever du soleil car vivre c’est accepter d’infiltrer la toile où l’humanité fixe sa monstruosité.

*

J’avance, à pattes de mouche de lumière.

*

Les poèmes sont des fenêtres, ils conduisent le temps vers une nouvelle dimension, insoupçonnée et pourtant inscrite dans l’espace. Nos sens limités nous en interdisent la perception.

Ecrire met en relation le réel, en tant que surface réfléchissante dépourvue de profondeur et  impuissante à révéler l’originalité de l’être, et le rêve – le plus puissant accélérateur de Vie.

Si notre sensibilité intérieure s’affine, nous percevons ces espaces, nous accédons à d’autres possibles. Alors,  les mots pour le dire nous transpercent.

Grandir, c’est éviter l’accumulation des papiers gras du réel en nous, ne pas prêter notre être intérieur à l’envahissement des lambeaux de tapisserie du monde extérieur, car la Vie ne se lève de terre que sous la houlette des rêves intérieurs et c’est la magie de cette beauté du dedans qui doit tapisser le dehors. Hélas, nous expérimentons, le plus souvent, l’inverse !

*

À un moment, mes poèmes se sont mis à devenir de plus en plus minces. Maintenant, ils deviennent de plus en plus fluides. Bientôt, il ne restera plus d’eux qu’un son, fin comme un cheveu d’ange, sur lequel s’enfileront les cœurs. Le moment n’est pas venu. Je retourne à la prose !

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Carmen P.

photographie de Francesca Woodman

 

De nuit, deux amies sur une route

(texte onirique)
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Elle rêvait
plongée dans le vivant du sommeil
que la pluie sur le toit figurait en débordements
Ainsi vécut-elle
au bord du lac où par le passé son père avait été englouti
heureuse

Elle rêvait
d’une direction à prendre
entre l’Est et l’Ouest
(je crois qu’elles prirent la route vers l’Ouest)
vers une ville au nom latin
oublié depuis mais elles ne perdirent
pas le goût de vivre qui résonnait
sous leurs peurs – tendu

même lorsqu’elles traversèrent
le cimetière où le prêtre
seul vivant rencontré dans la nuit
leur dit qu’elles étaient sur la bonne voie
elles ne pouvaient se tromper
en suivant la route des cent arbres
Ces arbres avaient été torturés
ils avaient subi un greffage
sur leur bois, jeunes – transfigurés
ils seraient reconnaissables
et jalonneraient leur route

L’amie était partie en auto-stop
sans voir les arbres, mais sait-on
ce que voient ceux
qui ne sont pas à nos côtés ?

Je demeurai fière d’elle
à l’arrivée je constatai qu’elle avait écrit de nombreux livres
ignorés de tous. Je les reconnus aussitôt même si son visage
ne figurait pas sur la quatrième de couverture
Elle était blonde, vive, et combien aimable
contrairement à ce qu’affirmait le chauffeur
qui décrivit la route en sa compagnie pénible
On ne porte pas le fardeau de l’imaginaire
sans qu’il paraisse « encombrant » pour ceux qui voyagent en notre compagnie

Peu importe
les livres demeurent
ils ouvrent aux lecteurs
un sens en retour
Peut-être même pourraient-ils voir
les cent arbres martyrs
et par la magie des mots parvenir
à dégrafer leurs carcans – les ramenant
à leur propre nature

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Carmen P.
Illustration : Balthus – Étude pour le Rêve I ,1935

Chroniques de vie

Je vis entre deux hôpitaux. Dans l’un ma mère trouve le temps long entre les visites des membres de sa famille qu’elle ne reconnaît pas toujours, et puis elle oublie avoir eu ces visites. Dans l’autre mon mari se rétablit doucement.

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Mercredi, j’attendais dans le hall de l’hôpital. J’avais un rendez-vous avec l’assistante sociale pour le suivi de ma mère.

Un homme très âgé est arrivé sur un brancard. Deux ambulanciers, un homme, une femme, jeunes et dynamiques, lui demandent s’il est déjà venu ici. « Oui, répond-il, et ma femme est hospitalisée ici ». Ils laissent le monsieur dans le couloir aux bons soins du personnel et prennent un autre brancard sur lequel est allongée une femme très âgée, elle aussi, qui doit passer une échographie. Ils lisent le nom de la dame – c’est la femme du monsieur qu’il viennent d’amener. Moment d’hésitation car ils sont pressés par temps. « Oh, et puis, au point où on en est on n’est pas à une minute près ! » dit la jeune femme. Alors, ils font marche arrière avec le brancard sortant et mettent les deux brancards côte à côte. « Regardez qui est là, Monsieur ! »

Joie du Monsieur de croiser Madame. Emotion pour moi. Double émotion, la première de constater le niveau d’empathie des personnes qui s’occupent des personnes âgées, la seconde de me dire qu’un instant bonheur peut tenir dans un bref instant où deux brancards se croisent.

Je ne sais pas si vous vous êtes sûrs de votre vie, de vos croyances, de ce qui contribue au bonheur, moi je ne sais plus et j’ai l’âme à vif, toujours plus à vif à chaque scène de ce genre.

*

Que dire de l’autre hôpital ? Un poème, peut-être ?

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Il plane un air de renouveau

au goût d’automne primesautier

quand le ciel bleu transgresse l’orage

et que l’homme – décidément amoureux –

souhaite prendre la clef des champs

avec son coeur en bandoulière

.

Est-ce bien raisonnable ?

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C.P.

Photo de Jean-Luc Barré

Gestation

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1

La vie – pas un chat

La vie – de fil en aiguille

La vie mon fils

Se tait la mère – se terre

l’enfant dans un silence de matrice

 

2

Pas un chaton ni un poussin

La vie qui passe de mère en fils

La vie au loin qui naît enfant

dans un silence de matrice

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En terre de femme serpentait l’annonce

 

3

 Sans bruit la conscience dépasse le mur de la réalité.

L’intuition sus-terraine, la pré-connaissance de chair voyagent en des arcanes que seule l’ubiquité de l’esprit fréquente. L’intelligence des gènes ignore les barrières géographiques et tout autant la profondeur des océans, elle s’appuie sur des ponts invisibles à la constance éthérique. La communication existe entre les gènes, les jeunes cellules peuvent compter sur le soutient des anciennes. La vie entre parenthèses, chez l’un, offre son énergie, envoie son souffle d’amour vers l’âme fragile qui doucement s’installe.

 

Erin

(illustration Susan Seddon Boulet)

Le voile déchiré

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Le voile déchiré

 

 

Elle avait déchiré le voile et elle souffrait,

infiniment. Ses maux griffés dans le silence

d’une chambre de jeune fille troublaient son âme

 

Elle ne possédait de la vie que mille voix

qui la  hantaient, la laissant là sur le carreau

brisée, parmi les tesselles de ses rêves.

 

Seule, elle écrivait :

 

« Citadelle enflammée au bout du mirage…

Et l’avenir se retourne

Sur les pas de l’homme qui marche… »

 

N’oubliez pas l’enfant que le lait maternel

n’a pas nourri. Sa vie était de famine

et sa mort certaine. Le corps fuit la citadelle.

 

N’emmenez pas l’enfant, il n’est pas oublié,

il dort dans la mémoire des vivants qui l’aiment,

son absence est un éveil que les pleurs trahissent.

 

Seule, elle dansait :

 

« Noé a brûlé son Arche

Et la jungle s’est faite reine

Au milieu des catacombes… »

 

Les songes qui l’habillent sont les labyrinthes

où l’homme se perd tandis que sa robe froisse

la sauvagerie d’un monde inaccessible.

 

Etrangère à la jungle elle se pare de grâce,

s’excuse de ne vouloir annoter, à l’encre

noire, les lignes que traverse un arc en ciel.

 

Seule, elle pense encore :

 

« Les ordures fleurissent par tous les temps

Et la dent arrache les pétales.

Pour manger l’âme hostie ! »

 

À la lisière de l’éternité je tends

des feutres de couleurs, afin que s’écrive

la fleur d’espoir, avant l’extinction du soleil.

 

Erin (Carmen P.)