Perros Guirec
Du quai où je cherchais le bateau, Cécile m’est apparue en charmant matelot, mais quand sur le pont a commencé la lecture, je me suis arrimée à ses mots et c’est en Capitaine qu’elle s’est révélée, tenant ferme la barre de son recueil nouvellement publié.
Je l’avais lue, auparavant. Nous nous étions croisées sur des sites littéraires. Nous avions échangé car j’aimais son style et je crois que je l’intriguais quelque peu.
Est-ce par nos réserves respectives, que nous reconnaissions chez l’une et chez l’autre, que nous nous comprenions ? Est-ce par les stratagèmes que nous utilisions pour protéger nos parts sensibles que nous nous sommes rejointes ?
Il est des fardeaux hérités de nos histoires, de la vie en société qui nous exilent en mode sensitif. Le mot devient barreau, il encercle la solitude et l’auteur le travaille jusqu’à ce que l’émotion s’échappe de la cage avec toute sa charge vive et atteigne l’autre, le lecteur, sur le terreau de ses propres parts, ratissées.
L’enfant du monde nage les heures dans le décor où l’instant ancre son souffle.
C’est un ancrage d’âme et des sens, même quand change le paysage, et Cécile a souvent vu son cadre bouger et recréer de nouveaux temps joyeux de partages.
Elle retrace en écriture ses voyages vers l’autre, car il n’était pas question, pour elle, de rester coincée derrière « une muraille de solitude ». Viennent les jours qui ignorent hier et demain et s’en retournent à ce perpétuel « aujourd’hui », sur le fil d’un présent qui semble nous échapper depuis qu’il n’est plus dédié à l’innocence, aux jeux de l’enfance sous les pommiers de la cour, ou d’ailleurs, dans ces espaces que l’on voudrait parsemer d’échanges – comme dans la maison familiale qui générait des éclats de rire, spontanés. Un temps béni que l’arrivée à l’école a couvert d’une « ombre immense », en effaçant à jamais la conscience aigue d’être ici et maintenant – exactement à la meilleure place ; celle où tombe en perles d’or le soleil, un éclatement qu’il suffit de réunifier pour le ressentir au cœur de soi.
Souvent, Cécile a dû « vérifier la gravité de sa posture » car garder les pieds sur Terre n’est pas affaire que de « gancres »*, même quand le sol se dérobe, surtout quand il se dérobe, et qu’on cherche ses appuis pour stabiliser son bonheur au fil des petits riens qui nous portent de la vie à la vie.
Jeanne, elle préfère flotter, nous dit Cécile, flotter dans le doute et s’y laisser porter. C’est comme ça qu’elle aimerait marcher dans le temps, chaussée des grandes bottes de la brume. **
Elle avait besoin de vent, de vagues, d’horizon, d’espace. **
Je me demande, en lisant Cécile, si le secret de l’ancrage qu’elle a recherché ne serait pas d’avoir la sagesse de porter des bottes adaptées aux espoirs traversés, sans chercher à lutter pour garder son aplomb en terrain incertain. Des bottes en caoutchouc pour traverser les « eaux sales », des bottes légères quand l’humeur est aérienne, et des après-ski pour avancer dans la neige des jours blancs. Bref, ce n’est pas l’histoire de Peau d’âne et de ses robes couleur de temps, mais l’histoire, bien actuelle, d’une jeune femme qui aurait aimé marcher pieds nus et qui a tenté de laisser de belles empreintes quels que soient les souliers que les caprices de la météo exigeaient qu’elle enfile. J’imagine que la Côte de Granit rose, depuis son installation à Perros Guirec, lui a permis d’imprimer de belles empreintes maritimes dans sa conscience de femme libre et son âme de poète.
On trace son sillon en toutes circonstances en jetant des clins d’oeils alentour, sans nécessairement éprouver de la peur, mais juste avec un peu d’espièglerie face aux inévitables dérobades ou métamorphoses du décor. Ainsi les textes de Cécile sont – à l’exemple de la vie – en constantes oscillations sensuelles entre le lumineux et le « glauque » et l’on se laisse subjuguer par son style narratif, ses stratégies qui parviennent à distiller légèreté, même au cœur du plus sombre.
Impression de balancement à la lecture… Qui se prête au jeu de cette écriture s’élève avec la plume et le sable du chemin, toujours plus haut, jusqu’aux pages blanches où les graphies venues de la Terre deviennent traces de pattes d’oiseaux sur la poudreuse. Les émotions dans ces écrits se décollent de la peau, trouvent la paix sans qu’il soit nécessaire de reprendre « quelques gouttes de contrôle », mais toujours en gardant l’élégance – mine de rien – de références culturelles.
Les voix racontent, la moisson des mots, même si l’auteur « préfère l’ombre pour raviner sa voie à la hache de ses mots »
Cécile avait des ressources, qu’elle a su exprimer. La lumière qui émanait de son être a donné corps aux mots. Sa vraie nature transparaît dans tous ses écrits. Vive, enjouée, avec une part de réserve qu’elle mettait en veilleuse quand elle était avec ses amis. En leur présence elle offrait son sourire et aimait partager quelques chants.
Et moi je suis assise où s’accrochent les paumés
Près d’un autre qui pourtant s’acharne à le cacher… ***, dit-elle dans un refrain d’une chanson
Heureux sommes nous, nous tous, paumés de l’existence qui avons accosté sur Terre, si nous gardons de cette expérience le souvenir des moments de tendresse que la source en chacun de nous transforme en pépites de notre choix. Les pépites de Cécile sont les mots, indissociables de la personne qu’elle était. Ils swinguent comme la poésie de e. e. Cummings ou celle de Kerouac et chantent l’amour blues comme sait le faire Arthur Flowers.
Cécile, je dépose sur ta joue un baiser furtif avant de quitter la page où je t’ai retrouvée (ainsi nous nous sommes séparées, à Perros Guirec, nous promettant de nous revoir). Tu vas peut-être le cueillir, ce baiser où je place toute mon affection, tu vas peut-être l’entendre comme le glissement de velours des pas de Yato**** qui, au moment où nous partions, passait la porte après une escapade.
Carmen Pennarun, le 25 avril 2020
* gancres : mot inventé par Cécile désignant les « gens ancrés »
** extrait de « Seule si là »
*** extrait d’un texte de chanson « Les Paumés »
**** Yato : le chat de Cécile