Vacances !
Vieille colère et tournesol
Un cœur agile crée toute chose
en son argile se modèle la vie
autour d’une colonne l’étau
se resserre
dans les thorax aux barreaux soudés
se disloque la vie
le monde intérieur bande son arc
ses flèches transpercent les chairs
élancent la douleur
– les colosses voisins s’effondrent –
dans un silence-camomille
la tristesse se réveille
joyeuse
et la rage déserte. Personne
ne la rattrapera. Aube légère.
*
L’oeil de l’ange
Arrivée aux Saintes-Maries, Estelle rechercha le terrain des gens du voyage. Elle trouva une simple aire de stationnement grossièrement clôturée. Un espace de transit plus qu’un lieu de vie où cependant lui fut réservé un accueil chaleureux…
Elle remarqua tout de suite une caravane entourée d’objets hétéroclites, de fleurs multicolores, de tissus bariolés. Elle pensa que ce pouvait être la caravane d’Anastasia.
Quand elle demanda à parler à la fille de la défunte, l’un des hommes se dirigea vers la caravane d’où sortit Lisa Reinhardt. Estelle fut frappée par la ressemblance entre cette femme et la jeune trapéziste du cirque. Soit, il s’agissait de la même personne, soit, Lucenzo avait dit vrai, Luana avait une sœur jumelle.
« Je t’attendais annonça la jeune femme, il était dit que tu viendrais, tu as apporté le putto? »
Estelle sortit de son coffre la statuette de bois qu’elle avait emmaillotée dans un batik.
« Je te remercie, tu es mon amie. Grâce à toi je vais pouvoir rendre un dernier hommage à ma mère en respectant ses dernières volontés. J’avais promis à Anastasia que cet ange qui avait disparu de sa vie serait retrouvé et l’accompagnerait jusqu’au ciel. La caravane, avec tout ce qui lui a appartenu, partira en fumée, mais l’Ange, lui, se reposera en terre, à ses côtés. Ainsi doivent être les choses pour que tout soit en ordre chez nous les Gens du voyage – comme vous nous appelez.
Estelle assista à la cérémonie. Il y eut des pleurs, il y eut des chants, mais quand la jeune fille déposa l’ange à côté du corps de sa mère, on entendit dans l’éclatant silence de la chambre mortuaire, les plus douces paroles de l’amour retrouvé, dites par la voix même de la personne tant aimée par la gitane[…]eton put voir la chambre un instant s’éclairer comme jamais palais ne fut***.
Dès son retour en Bretagne, Estelle reprit le tableau, inachevé depuis son départ précipité d’Omonville-la-Petite.
Le regard de l’ange avait pris pour elle une toute autre signification, et sa peinture le reflétait. Le jardin de Prévert, sous son pinceau, s’animait maintenant de tons beaucoup plus chauds que ceux qu’elle avait observés sur place. La vie cachée derrière l’ombre de chaque massif semblait sur le point de surgir et d’emmener le témoin de sa présence non pas dans un univers bucolique mais dans une ronde impérieuse constellée d’étoiles invisibles ; un tableau criant de dynamisme. Estelle savait bien que cette évolution dans son aptitude à saisir les jeux de lumière, elle la devait à l’histoire qu’elle avait entendue et qui l’avait transportée bien loin de la campagne normande et de l’aura d’un poète qu’elle appréciait particulièrement. On donne à sa vie, songeait-elle, une direction et tout à coup le mouvement s’accélère, nous conduisant au-delà de tout ce qu’on avait imaginé. Et c’est fabuleux !
Estelle, après avoir entendu l’histoire de la famille contée par Lisa, avait eu le sentiment de se retrouver devant une page d’Histoire dont l’ange était le seul vestige.
Le père d’Anastasia, d’après ce que lui avait dit Lisa, vivait en Bohême vers les années 1930. Il façonnait des fleurs et des sculptures en bois et allait vendre ses productions artisanales en frappant aux portes. Il était toujours bien accueilli car ses oeuvres en bois sculpté étaient originales et d’un prix modique. Certaines dames attendaient même avec impatience de découvrir ses nouvelles créations. Un jour il fut remarqué par un artiste sculpteur dont l’Art avait été jugé « dégénéré » par l’idéologie nazie.
L’homme avait trouvé refuge, un temps, auprès des Fils du vent. Il avait l’intention de se tourner vers l’Art sacré. Il le fit après la guerre. C’est auprès de cet illustre maître que Lazlo, le grand-père de Luana et Lisa, progressa et entreprit de sculpter un ange. Il ne s’arrêta pas là ! L’idée lui vint de construire un carrousel ; l’œuvre de sa vie. Anastasia avait vu ce manège achevé, mais ses filles n’avaient pas eu ce bonheur. Quand leur mère en parlait, des étoiles plein les yeux, elles imaginaient les animaux-sauteurs montés par des enfants émerveillés qui pouvaient se voir tourner dans les miroirs – sortes de kaléidoscopes incrustés dans le bois dont était habillé l’axe central du manège. Tous les animaux étaient différents. Lazlo les avait créés en respectant les souhaits de sa fille. Lapin, chèvre, chien, lion, cerf… tous tournaient au son de l’orgue sur ce manège plein de motifs végétaux et de masques qui s’enroulaient autour des rires des enfants et souriaient de leurs joyeux étourdissements. C’était magique !
Tout en haut du chapiteau, le père d’Anastasia avait placé l’ange. La première, et la dernière pièce de son œuvre.
« La dernière pièce ? » avait relevé Estelle.
« Oui, la dernière, car le manège a été démantelé durant la guerre, les pièces ont été brûlées. Seul l’ange a été préservé. Mais voilà… durant une période de misère, la famille a dû vendre tout ce qu’elle possédait et l’ange a disparu – alors que grand-père avait fait jurer à ma mère de ne jamais s’en séparer. On savait que le putto se trouvait en Normandie. Mais où ? Tous les ans, en été, le cirque partait en représentation dans cette région. Lucenzo sillonnait alors les rues des villes et des villages, il tendait l’oreille, il allait visiter certaines maisons… En vain. Jusqu’au jour où il a surpris une conversation entre une artiste et un touriste dans un certain jardin… Tu connais la suite ! »
La suite… Estelle la traduisit dans sa peinture. Elle savait que seules Lisa et Luana sauraient lire ce tableau, alors elle le leur expédia dès qu’il fut terminé. Toute autre personne resterait au seuil, les pieds dans le réel, même si le peintre avait tenté de rendre visible l’âme du peuple manouche, cette âme qui par le biais d’un ange était entrée dans la maison de Prévert et dans sa propre vie.
« Te aves baxtalo ! – Chance à vous et à toute votre famille », avait-elle juste écrit sur l’envers de la toile.
Fin
*** Les derniers sacrements dans Histoires de Prévert
Ils suivirent sans mot dire la route côtière jusqu’à Omonville la Petite. La grande bâtisse normande où ils séjournaient était austère, ils le savaient, mais ce soir là, elle leur parut particulièrement inhospitalière. À peine la voiture fut-elle garée derrière l’hôtel qu’ils se tournèrent l’un vers l’autre. Ils reconnurent dans leurs regards la même inquiétude, ils y lurent le même questionnement : « Comment cet homme avait-il pu découvrir où ils logeaient ? »
Toute tentative de réponse ne pouvait être que supposition. Inutile ! Mieux valait ne pas se prêter au jeu des hypothèses. Le risque était grand, par ce procédé, d’amplifier leur angoisse.
Ils avaient trouvé refuge au hameau du Mesnil dans un hôtel perdu au bout du petit village, tout autant perdu, d’Omonville-la-Petite et « on » les avait suivis, alors qu’ils ne se savaient même pas surveillés !
Un sentiment d’insécurité accompagnait leurs pas alors qu’ils traversaient le hall, glacial, mais ils ne le laissèrent pas entrer avec eux dans la chambre du rez-de-chaussée, avec vue sur jardin, où ils se sentaient si bien. Le soir, ils se rendirent même à pied sur la plage de L’Anse de Saint-Martin, toute proche. Ils n’allaient pas gâcher leur week-end !
Le lendemain matin quelle ne fut pas la surprise d’Estelle en tirant les rideaux : l’homme à la gabardine grise était installé sur un des transats du jardin !
Elle appela son mari : « Viens voir, c’est incroyable ! »
Michel regarda, pâlit d’abord, s’empourpra ensuite, puis lâcha : « Mais il se prend pour qui cet homme avec ses ch’veux d’ange** et sa barbe de fleuve***, il se prend pour qui pour se permettre de venir nous narguer jusque sous notre fenêtre dès les premières heures du jour ? »
Michel et Estelle se rendirent sur la terrasse où les petits-déjeuners étaient servis.
Des tables et des chaises aux couleurs vives contrastaient avec la façade sombre.
La journée aurait pu s’annoncer belle si seulement il n’y avait pas eu cet homme, là sur le transat, cet homme qui ne tarda pas à venir s’installer sur la table voisine de la leur.
Hélène semblait absorbée par le fumet de son thé, tandis que Michel disparaissait derrière le journal qui lisait. L’homme commanda un café noir. Michel s’agita subitement sur sa chaise, il lança plus qu’il ne posa le journal près de la tasse de sa femme et pointa du doigt le titre d’une petite affaire locale : « Vol d’un ange dans la maison de Jacques Prévert ».
« C’est donc cela ! » chuchota Estelle .
L’homme se leva et sans façon vint jeter un coup d’œil sur le journal par-dessus l’épaule d’Estelle.
« Vous avez lu ? » dit-il et, sans attendre la réponse, il poursuivit :
« Je sais ce que vous imaginez, mais vous vous trompez. Permettez-moi de vous expliquer ! » Il prit sa chaise et vint se placer à côté d’Estelle.
« Je suis bien l’auteur de ce vol mais je ne suis pas un cambrioleur. Libre à vous d’appeler la police mais avant, accordez-moi le temps d’une histoire, Madame. »
Madame regarda Monsieur tandis que l’homme poursuivait :
« Ce n’est pas un vol car cet ange n’a qu’une valeur sentimentale.
Ce n’est pas un vol même si cet ange a été vendu, à bas prix, par l’un des nôtres. C’était une erreur. La famille avait besoin d’argent et nous n’avions pas mesuré l’attachement d’Anastasia à cette sculpture… Ce jour là, l’ange est parti avec bien d’autres objets artisanaux. Anastasia ne s’en est jamais remise. Nous avons cherché longtemps le Putti chez les brocanteurs, dans les braderies. Sans succès… jusqu’à l’autre jour où quelqu’un vous a entendue parler d’un ange, et l’a reconnu sur votre tableau. C’est la main de Dieu qui nous a conduit jusqu’à vous, alors je vous confie l’ange. Je vous ai laissé un papier avec toutes les indications pour entrer en contact avec Lisa, la sœur jumelle de Luana. Elle veille sa mère, Anastasia, qui vient de mourir. On vous guidera jusqu’à elle, aux Saintes-Maries-de-la-Mer.
« Mais pourquoi Luana ne ramènerait-elle pas cet ange elle-même ? »
L’homme, après avoir déposé l’objet emballé dans du papier journal sur les genoux d’Estelle ; s’était déjà éloigné.
« Nous sommes en tournée ! » clama-t-il.
« Impossible ! » rajouta-t-il en faisant un geste d’impuissance.
« Mais enfin ! Mais enfin ! » répétait sans cesse Michel interloqué.
« Ne t’inquiète pas, le rassura Estelle, je partirai seule. Je sais que tu dois être à ton poste lundi, on trouvera bien une solution pour ton retour ; un covoiturage si ça te dit ! »
Michel toujours sous l’emprise de la stupeur, acquiesça.
Ce qu’aucun d’eux n’osa dire, c’est que l’idée d’aller à la gendarmerie ne les effleura même pas ; ils redoutaient qu’une malédiction ne leur tombe dessus au cas où ils trahiraient la confiance du « gitan ».
(à suivre)
* Un matin rue de la colombe dans Histoires de Prévert
** de même
*** Les derniers sacrements dans Histoires de Prévert
…des crop circles
je demande plus que la vie
une attention de tous les instants
je conjure raison (je la plie au creux d’un rêve)
en amont de ce rêve se trouve ma raison d’être
car je ne suis pas encore…
j’ai dans mon cœur des crop circles
pas de mystère en âme conquise
– juste des segments d’art intime –
une performance crée dans le silence
une matière qui n’est que poussière
une semence plus fine que grain fin
elle monte comme un chant – un appel
parle-moi
trouve-moi
touche-moi
je n’ignore pas l’ancrage
malgré la dérive du monde
je perdrai peut-être les mots
mais je n’oublierai pas le chant
Suis-je celle qui ne paraît pas être ?
à la place exacte où nous nous situons
se dessine la forme d’un nuage
nous empruntons des chemins de brume
comme tremplins vers la lumière
et nous sautons à pieds joints dedans
……………………………………………………pour nous trouver
Carmen P. le 22 août 2013 -copyright-
15 août
à Paimpont
dans le ciel azuré
la ligne fuselée de l’amour
transperce le blanc flotté
des nuages
les courbes et les droites
s’interpellent
le vide se comble
du lait d’abondance
seul l’homme tire au cordeau
les limites
…
j’aime tes yeux non bleus
dans lesquels je sombre
tu es ma folie Éole
et je m’attache hyène
pas un soupir ne vent
se terre / que je m’abstienne
…
la bénédiction des enfants
au pardon de Marie
Allez en Paix !
.
Du bonheur pour Esther
Ce n’était pas la félicité
c’était une vie ordinaire
temps de labeur pour Esther
cœur accordé à son foyer.
Le bonheur n’est que façade
surgi des mains illusionnistes
d’une femme soumise
qui accomplit sa tâche.
Le ravissement vient de l’intérieur, Esther.
Laisse ton plumeau, écoute ton cœur !
La maintenance du quotidien
exige de ranger au placard
tous les rêves avouables.
Fée dans son logis n’est rien.
Un tour de plus, elle disparaît
dans son refuge la démence
plus rien n’a d’importance ;
la fée a rendu sa baguette.
Le ravissement vient de l’intérieur, Esther.
Laisse ton plumeau, écoute ton cœur !
Elle poursuit dans d’autres sphères
son voyage en solitaire
loin des exigences perverses
celles qui jaugent et ségrégent.
La société tranche, enferme
par son jugement elle propage
le venin de ses crochets
dans la pulpe de la vie.
Le ravissement vient de l’intérieur, Esther.
Laisse ton plumeau, écoute ton cœur !
L’amour donné n’a de sens
que s’il pense par lui-même
la conscience croît dans le silence
sur le picot des émotions
il est canevas de lumière
et éblouit par sa finesse
un sentiment de joie l’enfante
les façades deviennent visions
Le ravissement vient de l’intérieur, Esther.
Laisse ton plumeau, écoute ton cœur !
L’amour est plante fragile
combien d’Esther ont espéré
le voir pousser dans leur jardin
mais la terre assoiffée
s’est abreuvée de leurs larmes
laissant dans le sommeil les rêves.
Les germes attendent le réveil des filles
et l’éclosion du bonheur sur terre.
La joie qui ensemence la vie naît à l’intérieur des cœurs
Avec ou sans plumeau c’est elle qui te cherche, Esther.
Erin (12 août 2013)
Installation éphémère
Ils avaient construit un bateau de sable…
Ils avaient essayé d’occuper le temps en attendant la marée. La mer n’allait pas tarder à envahir leur plage et quand les flots arriveraient ils n’auraient pas les pieds dans l’eau, ils ne seraient pas obligés de nager…ils rameraient… à deux, ce serait facile.
Les vagues, ils les attendaient avec impatience, de sable ferme, bien tassé autour d’eux ; ils étaient prêts.
Au loin la mer semblait plus impétueuse que jamais, la nécessité de voguer plus impérieuse aussi… Les deux navigateurs s’emparèrent alors de leur bateau ; ils partirent à l’assaut de l’océan.
Deux baigneurs dans une même bouée !
C’est alors que la construction leur glissa des mains ; une multitude de grains en un lent écoulement le long de leurs doigts resserrés rejoignit l’étendue sablonneuse…inexorablement.
Voilà les marins debout, consternés au milieu d’un tas de sable, regardant à leurs pieds leur rêve anéanti qu’ils n’osaient piétiner.
Ils tournèrent le dos à la mer et, vers la terre et ses gratte-ciels, emportèrent leurs illusions. À deux ça pourrait être facile !
Erin
Terre de femme
elle ravit aux fruits l’éclat
qu’ils envoient et gorge
d’une caresse de zibeline
son regard — un faisceau mor-
-doré le peint sur la toile
infinie de ses rêves
à fleur de peau ces spirales
des origines débobinent
au creux de l’intime l’arbre
où veille l’enfant sublime
mâle est l’oubli aux étreintes
dérobé un équilibre
transfuse entre deux natures
défaites