Le livre : LE JONGLEUR de Maurice Carême ; recueil
posthume publié par la fondation Maurice Carême aux éditions L’Âge d’Homme.
En couverture, une aquarelle de Roger Somville : un personnage, sans doute un
« saltimbanque » dont les vêtements se fondent au décor. Les couleurs chaudes et automnales laissent apparaître, en réserves blanches sur le papier, un visage tendu délicatement
attentif et des mains posées comme les ailes d’une colombe.
Présentation : « Le jongleur », un recueil au ton
ironique, voire facétieux où l’on retrouve avec bonheur la poésie tendre de Maurice Carême. Les jongleries, proches du monde de l’enfance, nous emmènent dans un univers étrange où nous nous
retrouvons, de façon inattendue, devant des questionnements existentiels. De pirouettes poétiques en paroles de sagesse ; nous nous laissons prendre par cette plume qui n’est pas à réserver
aux écoliers.
La critique :
Le jongleur, un titre qui rassemble des poèmes sur lesquels souffle l’esprit de la fête. Une fête proche de la vie, où joies et peines
se mêlent. Du tremplin de l’insouciance, pareil à celui de la jeunesse, nous apercevons, dans le miroir
des mots, les tours que la mort suspend au cours des expériences du quotidien. « Jouer est toujours dangereux » nous prévient le titre d’un de ces poèmes.
Jouons, jonglons, lisons avec le poète pour mieux conjurer la mort !
« Tu jongleras jusqu’à la fin
Au risque de tout démolir »
Le jongleur, même « s’il sait très bien que ce qu’il fait ne sert à rien », jongle avec des clous, de l’eau, du feu, des
dés, des poux « tellement il aime le jeu… pour tirer du plomb des grains d’or ». Il jongle avec des anneaux, des clefs, des miroirs, avec sept boules, avec le sourire, avec des rois,
des reines, des tours… il jongle avec des animaux, un ours, un caméléon bleu, un éléphant et l’armoire à glace et tant pis si « seule, à tous les coups, la mort gagne » !
Ce prestidigitateur fait sortir le diable de l’œuf où il habite, c’est son métier et il y travaille avec sérieux, du mieux qu’il peut.
N’est-il pas métier plus dur que d’être heureux ?!
L’illusion nous guide tout au long de la lecture, la fleur se transforme en oiseau puis en chapeau, elle devient serpent à sonnette et
retombe en sac de noix, puis redevient oiseau et à nouveau chapeau.
Cette poésie est gaie puisque « la vie est bleue » et que le poète « change la pluie en cigale » et « lit
dans les étoiles ».
Pourquoi s’empoisonner la vie ? Remettons au lendemain les choses qui nous « entortillent » ! Ne voyez-vous pas un
ours danser sur une échelle, et lorsque l’échelle se brise, ne le voyez-vous pas s’en aller danser sur l’arc en ciel ? Là, il fabrique une
échelle de barreaux de lumière et redescend sur Terre.
Assurément Maurice Carême savait jongler aves sa muse, et lancer sa joie aux fenêtres que sont les livres dans nos vies pour mieux
nous entendre chanter et nous voir danser.
« La vraie fortune,
C’est de savoir que le seul tour
Qui vaille ici d’être joué
C’est d’être aimé », nous dit l’ami, comme s’il était là. Et je ne doute pas de ses paroles lorsqu’il nous questionne et nous
suggère une réponse dans ces vers :
« Le paradis ?
Vous l’avez. N’est-il pas promis
À tout ceux qui auront osé
Simplement, ici, le rêver ? »
En lisant cette poésie,
fantastiquement colorée j’ai rencontré un humaniste, et cette découverte est une joie.
L’intégralité d’un poème pour clore cette critique :
POURQUOI INTERROGER LE CIEL ?
Pourquoi interroger le ciel
Et jongler ave les étoiles ?
L’enfant qui joue avec sa balle
Et qui croit son jeu éternel,
Refait l’univers à son gré.
Mais qui cueille la chicorée
Quand il y a des orchidées ?
Le mage au cerveau enflammé,
Que des vols blancs vont traverser,
Tente chaque fois le destin
Sans jamais savoir ce que l’ombre
Va se résoudre à lui répondre
Quand il tient la clarté en main.
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