Le lendemain matin, lorsque le jardinier du Roi vit ses plates-bandes et sa roseraie saccagées, il ne put contenir sa colère et la reporta sur le jeune homme qu’il tenait pour responsable. Rouge d’indignation, il l’accusa d’avoir manqué de vigilance, n’était-il pas aux premières loges pour stopper toute intrusion sur le domaine !
— Est-ce ainsi que tu surveilles le jardin ? Les fleurs sont écrasées comme si un cheval les avait piétinées ! N’as-tu donc rien entendu ?
— Un cavalier est venu, cette nuit, mais je n’ai rien pu faire, il est passé tel l’éclair.
La princesse qui avait entendu des éclats de voix dans le parc, et qui voulait surtout dévisager l’homme dont elle avait eu le tort d’ignorer l’existence depuis des mois, s’approcha et intervint :
— Pourquoi accuser votre aide-jardinier ? Je n’imaginais pas que vous puissiez le prendre comme votre souffre-douleur. Si vous avez subi des dommages, avant de vous en prendre au premier venu, venez m’en parler. Voici de l’argent, dit-elle en lui tendant une bourse, achetez tous les plans dont vous avez besoin pour refaire les plates-bandes et, gardez le reste pour vous, mais je ne veux plus de telles démonstrations de colère sur ce domaine.
Le jardinier retrouva instantanément son calme. La bourse semblait bien pleine, il pourrait réparer les dégâts et il lui resterait de quoi agrémenter le quotidien de sa famille. Finalement, cette histoire, à premier abord contrariante, s’avérait bénéfique.
Quelques jours plus tard, alors que la lune suspendait son croissant au pignon de la plus haute tour du palais, la princesse se rendit à la cabane. Pour elle Jovan oublia les conseils de prudence du roi et ôta ses vêtements de misère. Ils parlèrent longuement, mais leurs confidences, seule l’essence du cèdre en garde le souvenir. Il n’y avait plus de jeune paysan, plus de princesse, ils se montrèrent l’un à l’autre tels qu’ils étaient vraiment, deux êtres jeunes, amoureux de la vie, amoureux l’un de l’autre, et qui espéraient construire un monde à l’image de leurs idéaux.
Au moment de partir, avant que l’aurore ne commence à dissiper la nuit, la princesse confia au jeune homme un anneau d’or :
— Cette bague, dit-elle, je te la laisse en gage de mon amour. Je n’épouserai personne d’autre que toi. Fais-moi confiance, ce sera peut-être long, mais nous pourrons, un jour, vivre ensemble aux yeux de tous !
La princesse savait son père très aimant, il lui faudrait faire preuve de persuasion pour qu’il accepte de se séparer d’elle. Elle prévoyait de nombreuses lunes de patience avant de voir tomber toutes les résistances du vieil homme face à l’inconnu… Cet inconnu qui avait pris l’apparence de Jovan et dont le Roi douterait des qualités. Il en douterait jusqu’à ce qu’il soit convaincu de la sincérité et des valeurs morales de celui qui prétendrait vouloir épouser son enfant devenue femme… Li- Anne ne doutait pas, elle avait lu dans le cœur du jeune homme, alors elle était fermement décidée à se servir de toutes ses armes de fille adorée pour persuader son père.
Son père avait quitté son ermitage royal et séjournait justement dans la vallée. Chaque jour il dut affronter les demandes incessantes de sa fille.
À trop aimer son enfant on la rend capricieuse. Elle veut jouer au jeu des prétendants au mariage. Pauvre chérie elle ignore que souvent le mariage ne tient pas ses promesses, que ce n’est pas un jeu !
La jeune fille cajola son père, elle le supplia, elle se mit en colère, elle bouda, elle pleura… le Roi ne put résister longtemps, il capitula au bout de quelques semaines et donna l’ordre de faire fondre une orange d’or puis il invita, comme il était de coutume dans le royaume, tous les jeunes gens de riches familles à défiler devant sa fille.
Une estrade avait été montée dans la cour, la princesse y était assise sur un trône, l’orange posée sur un guéridon devant elle. Avec une attention feinte elle considérait les prétendants qui se succédaient. Le roi caché derrière une tenture, s’attendit, plusieurs fois, à ce que sa fille propose l’orange à certains jeunes gens qu’il trouvait particulièrement beaux et élégants ; c’était le geste attendu, le geste par lequel la princesse révèlerait son choix.
L’orange ne bougea pas de la table. On fit défiler les ouvriers, l’orange ne bougea pas. On fit défiler les paysans, l’orange ne bougea pas. Personne ne convenait à la Princesse et le Roi commençait à retrouver le sourire. On annonça alors au roi que ne restait plus, dans le royaume, qu’un pauvre étranger qui n’avait pas de nom.
— Qu’il passe dit le roi, désormais certain que la menace du mariage était écartée. Il imaginait déjà la Princesse revenant à son bras au château.
Son soulagement fut de courte durée, le roi blêmit lorsqu’il vit que la princesse venait de tendre l’orange à un jeune homme habillé comme un paysan et portant sur sa tête une cagoule douteuse d’où ne dépassait aucun cheveu. Tout en lui était le contraire de ce qu’il espérait pour sa fille. Le port de ce jeune homme n’avait aucune élégance, il baissait les yeux vers le sol. Tout dans son attitude évoquait la fourberie ou les mauvaises manières.
C’en était trop, autant pour la foule que pour le Roi.
Une exclamation s’éleva des rangs des courtisans :
— C’est une erreur, l’orange a échappé des mains de la Princesse, il faut recommencer le défilé !
On recommença le défilé. Tous les candidats se présentèrent à nouveau, une fois, deux fois, trois fois… et toujours la Princesse désignait le plus miséreux. Le doute n’était plus possible.
Le roi se sentait humilié devant la Terre entière, il était aussi très malheureux alors, pour la première fois depuis la naissance de sa fille, il se mit en colère :
— Tu me déshonores ! Vas au Diable ! Disparais de ma vue ! Pars avec ce misérable et ne reviens plus !
Sans dire un mot, la Princesse descendit de l’estrade, prit la main de l’homme qu’elle avait choisi et avec lui partit… en direction de la cabane du Parc.
à suivre…
Erin (Carmen P.)