Mirage bleu – ma mère

elle, si légère

comme une feuille

détachée

comme une rivière

sortie de son lit

avec des gestes doux

à reconduire

conversation lente

de petits cailloux

des petits riens

en plain appel

tout va bien

malgré ce mal qu’elle ne parvient

à endormir

tout va bien

et l’air est une rivière

où dansent ses robes

fleuries

la vie

.

lui, dans le réel

égaré

il n’a pas appris

à relever

les petits cailloux

à faire le chemin

qui remonte le temps

il était bâtisseur

mais la profondeur

des fondations

et la hauteur des murs

ne résistent pas

aux assauts des jours

au-dessus desquels elle cherche étoile

.

Les petits cailloux comme les gestes

ne sont plus. Tout est figé, solidifié

et moi je la vois debout à côté

de ce corps qui ne répond plus

regardant venir les bateaux

de l’enfance chargés des

rires des ses sœurs.

Il demeure du bleu

le ciel le dit

il ne saurait

mentir

d’ailleurs

la lumière

attise des braises

pour quel enjeu ?

.

un point d’enfance

dans l’aride

vieillesse

.

en vérité

les ocelles bleus

d’une âme que l’océan

attire vers l’ultime

camouflage

.

et l’on voudrait que je sourie

alors que je retiens

au-dessus du vide

mes cris d’appels

mes yeux sont secs

pourtant je tangue

j’affirme que tout cela

est mirage -ralentissons !

.

la vie est éclaboussure

d’infini, un nectar

un temps, un venin

au final

.

Eve n’y est pour rien

et ma mère non plus

.

Carmen P.

illustration : Léon Spilliaert

Des mots-fenêtres

 

Chaque matin je cueille mes pas et les plante dans l’eau de la Vie qui Va !

*

Il faut du courage au lever du soleil car vivre c’est accepter d’infiltrer la toile où l’humanité fixe sa monstruosité.

*

J’avance, à pattes de mouche de lumière.

*

Les poèmes sont des fenêtres, ils conduisent le temps vers une nouvelle dimension, insoupçonnée et pourtant inscrite dans l’espace. Nos sens limités nous en interdisent la perception.

Ecrire met en relation le réel, en tant que surface réfléchissante dépourvue de profondeur et  impuissante à révéler l’originalité de l’être, et le rêve – le plus puissant accélérateur de Vie.

Si notre sensibilité intérieure s’affine, nous percevons ces espaces, nous accédons à d’autres possibles. Alors,  les mots pour le dire nous transpercent.

Grandir, c’est éviter l’accumulation des papiers gras du réel en nous, ne pas prêter notre être intérieur à l’envahissement des lambeaux de tapisserie du monde extérieur, car la Vie ne se lève de terre que sous la houlette des rêves intérieurs et c’est la magie de cette beauté du dedans qui doit tapisser le dehors. Hélas, nous expérimentons, le plus souvent, l’inverse !

*

À un moment, mes poèmes se sont mis à devenir de plus en plus minces. Maintenant, ils deviennent de plus en plus fluides. Bientôt, il ne restera plus d’eux qu’un son, fin comme un cheveu d’ange, sur lequel s’enfileront les cœurs. Le moment n’est pas venu. Je retourne à la prose !

.

Carmen P.

photographie de Francesca Woodman

 

L’impact du tournesol

Il se berce en mon coeur
un semblant de bonheur
que seul l’amour stabilise
quand l’étreinte devient triste

*

Lorsque tout devient gris, j’imagine l’impact magnifique d’une fleur de tournesol se détachant dans un ciel d’été. Le monde est bleu, pareil aux yeux de l’enfance qui lavent les plaies de la Terre. Le monde est rond comme tout ce qui ne retient de la vie que ce qui roule…

*

Toutes ces conditions misérables
n’empêchent pas l’explosion de la vie…

Elle s’est pourtant aventurée ici,
se perchant au plus haut du sanctuaire,
puis elle s’est envolée ailleurs
– déchiré, le voile de nos utopies !

On savoure l’euphonie de quelques instants
quand tout s’imbrique harmonieusement
et puis, surviennent la cacophonie, les tourments,
tant intérieurs qu’extérieurs… la moindre vibration
nous arrache des cris de supplicié.
Est-ce la vie qui nous trahit
ou est-ce nous, qui ne nous aimons pas ?
Pas assez pour croire au pouvoir
de jaillissement de la joie, qui un temps,
ne nous est plus perceptible.

C’est la vie qui nous transperce
laissons le champ libre, à l’envie,
à partir des pentes de notre solitude
qui invente ses sentiers d’existence
et croise des solitudes parallèles
dans une réel aux géométries
fantasmagoriques
en recomposition
permanente.

*

On peut saisir, par temps de solitude, le reflet d’un ange dans une flaque de pétrole… Malgré le noir venu mazouter les oeuvres blanches que le temps dégrade, surgit, quelquefois, un liseré chahuté par une vague improbable. Il vient déposer son offrande de lumière aux pieds du vagabond de l’âme.

*

Le désir est noble qui fait descendre les étoiles sur Terre.
Le désir s’égare lorsqu’il substitue des montagnes d’acquis à la plénitude.
Seul l’Amour transforme le vide intérieur en jardin d’Eden
pour peu qu’on lui accorde droit de passage, sans qu’on le retienne,
et il coulera, irriguant l’enclave du cœur, jusqu’au chant, libre.
Le diapason du corps laisse percevoir une vibration
à l’angle aigu de la douleur qui se laisse En tendre.

.
Carmen P.
Peinture, Emil Nolde