Prince téméraire 2

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Résumé : Un jeune homme pauvre a quitté la maison de ses parents en espérant trouver fortune. Après une longue et pénible marche, il arrive devant un château. Le maître des lieux lui ouvre la porte et lui demande ce qu’il vient chercher ici.

— Un gîte et un couvert, Monseigneur. Je suis épuisé d’avoir tant marché depuis des jours ! En échange de votre hospitalité, si vous me le permettez,  je vous servirai tel un domestique et je vous en serai reconnaissant tel un fils.

— Vois-tu, déclara le vieil homme après avoir réfléchi, je pourrais te prendre pour fils, mais il faudrait avant cela que tu te couches sur le ventre et que tu supportes sans broncher que je  t’administre des  coups de bâton. Ensuite, en fonction de ton attitude, il se pourrait que je  répondre favorablement à ta proposition. Le courage dans l’épreuve est la première qualité que j’attends de celui qui souhaite me succéder. Je n’ai pas de fils et j’aurais bien besoin des  services d’une personne de confiance. Acceptes-tu  l’épreuve ? Si tu la refuses  je ne t’ouvrirai pas ma demeure et tu pourras rebrousser chemin.


—  Donnez m’en dix si vous voulez, mais acceptez de me prendre pour fils, répondit le jeune homme.

Il n’avait aucunement le désir d’endurer la souffrance, il acceptait l’idée de se prêter à ce qu’il considérait comme un jeu sadique simplement parce qu’il était en mesure de duper le vieil homme. Il avait remarqué des sacs bourrés de paille, il s’empara de l’un d’eux et  le mit sur son dos. Ainsi protégé il s’étendit sur le sol.

— Es-tu prêt ? interrogea l’aveugle.

—  Oui, répliqua le jeune homme d’une voix déterminée. 

Le vieil homme leva son bâton et le laissa retomber sur sa victime. Le choc fut vigoureux, et retentit en même temps que le cri de douleur qui l’accompagnait.

 — Aïe !

Même geste violent répété.
 

— Aïe, Aïe !

Encore une fois.
 

— Aïe, Aïe, Aïe, vous allez me tuer, ne frappez pas si fort ! Stop ! Trois coups c’est bon, on en reste là.
 
Sur ces paroles le jeune homme se releva, envoya le sac de paille au loin d’un coup de pied. Le vieil homme le prit par les épaules, tâta son dos comme s’il voulait vérifier que ses coups n’avaient occasionné aucune fracture, puis il le serra dans ses bras. Ensuite il lui confia son trousseau de clefs après en avoir ôté deux.
 
—  Ces deux-là me sont réservées. Après le repas, tu pourras commencer à explorer les salles dont je t’ai confié les clés… Tu as de quoi t’occuper et t’émerveiller mon fils !

Piqué par la curiosité, le nouveau protégé s’empressa d’ouvrir  chaque salle dont il avait la  clef. Dans la première il découvrit des objets en argent. La seconde contenait des monticules de pièces d’or. La troisième cachait des coffrets emplis de perles fines. La quatrième était l’écrin géant des rubis. Au fur et à mesure de ses explorations le jeune homme allait d’émerveillements en éblouissements, les portes abritaient des joyaux, tous plus précieux les uns que les autres. Dans la dernière salle dont l’accès lui était autorisé, brillaient des diamants.

Que pouvaient contenir de plus précieux encore les pièces interdites ?

 Il manifesta une joie toute juvénile face à tant d’abondance. Espérant que son enthousiasme allait toucher le vieil homme, il usa de mille stratagèmes pour tenter de convaincre son mystérieux bienfaiteur de lui accorder sa confiance et… les deux clés restantes du trousseau. 

Rien n’y fit. Sous sa barbe le vieil homme souriait. 

—  Plutôt que de me questionner inutilement, va rassembler mes moutons, cela fait si longtemps que je ne les ai pas sortis. Ils ne connaissent plus le goût de l’herbe verte des prés. Tu peux les conduire partout, mais un conseil, évite le vallon des fées. L’herbe y est particulièrement tendre, mais sache que ce ne sont pas des fées que tu y rencontreras mais des sorcières. Elles sont trois et se jouent des hommes, crois moi, je sais de quoi je parle, ces trois folles m’ont arraché la vue. 

Le jeune homme glissa une flûte à sa ceinture, saisit un bâton et alla au bercail où attendait le troupeau. En avançant vers les pâturages le berger se demandait  pourquoi il priverait les brebis de l’herbe la plus tendre. Il était sans crainte, fées ou sorcières ne l’intimidaient pas. N’avait-il pas déjà gagné la confiance d’un vieil homme hargneux qui l’avait  accueilli par des coups de bâton !  Les bêtes, elles, étaient fébriles et affamées, après tant d’années où elles avaient dû se contenter d’herbe sèche.  Elles aspiraient à savourer l’herbe la plus grasse, la plus tendre, la plus abondante et elles s’y dirigeaient spontanément. Les retenir, les conduire dans une autre direction relevait de l’exploit. Jovan n’avait pas envie d’une épreuve de force avec des animaux qui savaient exactement ce qui était bon pour eux. Peste soit des recommandations qui sèment le doute dans les esprits !   

C’est ainsi que les moutons purent s’en donner à cœur joie, aucun ongulé n’éprouva le besoin d’aller chercher fleurette plus douce ailleurs que sur ce vallon lumineux, et le berger, lui, put s’asseoir tranquillement à l’ombre d’un arbre. Il sortit sa flûte et entama un air joyeux.

Attirées par ses notes, trois jeunes sorcières arrivèrent bientôt et elles se mirent à danser, frénétiquement. Après une première danse, elles hélèrent le jeune homme.

— Eh, joli pastoureau, on aimerait jouer avec toi, si les défis ne te font pas peur !

Tu vas jouer de la flûte et nous nous danserons. Si tu tiens le coup plus longtemps que nous, ton désir le plus cher sera exaucé, si c’est nous qui gagnons, tu devras nous céder tes yeux. 

— Je suis d’accord, répondit le berger qui  dans son village n’avait pas d’égal  dans l’art de jouer de la flûte, mais il se garda bien de s’en vanter auprès des  sorcières.

S’ensuivit une folle sarabande ; le garçon jouait, les fées dansaient. Il joua de plus en plus rapidement, les fées suivirent le  rythme… un certain temps, mais danser de plus en plus vite ne tarda pas à les épuiser. Elles en avaient pourtant de l’énergie les diablesses, mais Jovan avait plus de souffle qu’elles n’avaient de pouvoirs !

— Arrêêête…on n’en peut plus ! supplièrent-elles, haletantes. C’est à peine si elles parvenaient à parler.

— Je cesserai de jouer, Mesdames, seulement si vous me rendez la vue à mon père. Vous le connaissez je crois ? 

— Est-ce cela ton désir le plus cher ? demandèrent les sorcières étonnées.

— C’est mon désir et vous n’avez pas à discuter ou  tenter d’en connaître la raison. J’ai relevé le défi. Je l’ai gagné. Vous devez exaucer mon souhait aussi étrange qu’il vous paraisse. 

— En effet, gémirent-elles, alors va près du vieux chêne, tu apercevras une grotte, c’est notre demeure. Ce que tu cherches est sur l’étagère. Tu verras deux oranges. Emporte-les et donne-les à ton père, quand il les aura mangées, il recouvrira la vue. Par contre, en entrant chez nous reste silencieux, n’effraie pas nos enfants, elles risqueraient de prendre peur et le Diable seul sait ce qu’elles pourraient faire.

Le jeune homme n’attendit pas davantage d’explications, il partit aussitôt. En courant, il se précipita vers la grotte. Toujours courant il entra. Il  courait et frappait le sol et criant. Il vit les deux oranges d’or et s’en saisit. Il sortit toujours courant, frappant et  hurlant à pleins poumons. Les enfants des sorcières, réveillées n’eurent même pas le temps de voir qui était entré, elles se mirent à hurler aussi et, prises de panique, sautèrent dans le feu… Un peu plus tard quand les sorcières arrivèrent chez elles, elles retrouvèrent leurs filles  carbonisées… et toutes sorcières qu’elles fussent, elles se tordaient de douleur en gémissant :

— Malédiction, crièrent-elles, nous avons tellement semé la terreur dans la région que le sort nous punit horriblement en retour ! Il ne nous reste plus qu’à fuir cette grotte de malheur !

Toutes trois partirent. En les voyant de loin, on ne reconnaissait plus les fées agiles qui si joliment dansaient. Le chagrin les avait métamorphosées en vieilles femmes que le poids du chagrin courbait. Sans doute marchent- elles encore, car leurs petits pas fatigués n’ont pas pu  les conduire bien loin. D’ailleurs, nulle part sur terre n’existe pour elles, maintenant,  un  lieu où  danser leur soit  possible.

 

à suivre…

Prince téméraire

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(illustration de Killian Pennarun – non libre de droit)

 

C’était une bien curieuse montagne, elle semblait inaccessible… d’ailleurs, de mémoire d’homme dans le village, personne ne s’était jamais aventuré au-delà de la forêt de sapins qui marquait l’entrée d’un territoire que l’on disait maudit. Les conifères formaient une barrière naturelle, sombre quelle que soit la saison.

Un chemin escarpé partait du village, mais nul ne l’empruntait, aucun pas n’osait affronter les ronces, repousser la végétation serrée, pour tenter d’atteindre les cimes, et enfin comprendre le mystère du lieu.
De la vallée, on apercevait des pics blancs, telles des lances ils transperçaient les nuages. On prétendait qu’un château aurait été creusé dans la roche, que ses salles seraient d’anciens habitats troglodytiques et l’on disait même que les pics, qu’on pouvait apercevoir du hameau, par temps clair, n’étaient autres que les tours du château.

 

Loin de là, dans une région voisine, vivait un jeune homme qui depuis sa naissance n’avait connu que  misère et privations. Il  rêvait  de s’affranchir de la pauvreté et était résolu à partir chercher, de par le monde, la fortune que la vie ne lui avait pas donnée au berceau.
Rien ne l’aurait détourné de son projet hasardeux, ni le regard de son père, ni l’amour de sa mère. Sa décision était prise, il ignorerait les dangers, ou alors, il les affronterait au moment voulu. D’ailleurs, à l’heure du départ et des adieux, il ne voulait même pas penser aux épreuves qui l’attendaient.

Au revoir chers parents, fort de votre amour je pars à la découverte d’une vie moins misérable et je vous reviendrai riche.  Avec vous et nos amis je partagerai ma  fortune… gardez confiance, je vous aime !

Il marcha par monts et par vaux, rien ne l’arrêtait. Un jour, il arriva dans un village. Derrière la chapelle, il découvrit  un chemin qui l’intrigua. Il s’y engagea bien que le passage ait été envahi par les ronces.  Il lui fallut gravir un sentier d’abord escarpé mais qui devint rapidement abrupt. Il dut poursuivre l’ascension à quatre pattes, puis l’expédition se transforma en escalade, à mains nues…  enfin il arriva au sommet d’où il put apprécier le chemin parcouru et admirer le paysage en contre bas, mais quelle ne fut pas sa surprise  lorsqu’il découvrit qu’il se trouvait devant l’entrée d’une demeure impressionnante qui semblait taillée dans la roche et dont il ne soupçonnait pas l’existence depuis la vallée.

Un château, ici ?

Il souleva un anneau de métal qui résonna lourdement sur la porte. Un vieillard apparut au bout d’un  temps qui lui parut une éternité. L’homme était aveugle et portait à sa ceinture un trousseau de clefs.
— Voilà un jeune homme bien téméraire de s’être aventuré jusqu’ici où personne ne vient jamais ! Mon serviteur, qui t’a observé par le judas, m’a dit que tu es jeune et que tu te présentes sans arme. Pourquoi viens-tu troubler ma retraite ? Qu’attends-tu de moi ?

 

à suivre

Le Tao – 1er verset –

 

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La sagesse de l’ enseignement du Tao, lorsqu’on essaie de comprendre ce qu’il peut révéler de notre vie, n’est plus à prouver. Suite à ce verset j’ai écrit les premières pensées qui ont traversé mon esprit; Je me pose en effet beaucoup de questions sur la nécessité d’écrire que je ne peux vivre qu’en m’accordant des pauses de temps en temps, je  me tourner alors vers les miens, vers mon jardin ou mes animaux… mais ce n’est pas immédiat, l…’ordinateur est là, les cahiers, les feuilles et les idées surgissent et je suis une acharnée du travail que j’ai du mal à interrompre. Quand trop c’est trop, quand même le désir d’écrire réveille un certain inconfort, l’urgence est au lâcher prise et à l’observation de ce mouvement qui crée des tensions. Ne pas répondre, ne pas juger, même si on flanche et recommencer à se tourner vers la vie, vers le chat qui réclame une caresse, vers ses enfants à écouter, vers la nature qui est toujours prête pour la rencontre. Les mots se vivent avant de s’écrire quand le temps qu’on leur accorde n’est plus contraignant.

*

Le Tao qu’on peut raconter n’est pas le Tao éternel. Le nom que l’on peut nommer n’est pas le nom éternel.

Le Tao est à la fois nommé et innommé. En tant qu’il est innommé, il est l’origine de toute choses ; en tant qu’il est nommé, il est la Mère de dix mille choses.

Celui qui est toujours sans désir peut voir le mystère ; celui qui toujours désire ne voit que les manifestations. Et le mystère est lui-même la porte de toute compréhension.

Lao-Tseu

*

À cette (re)lecture, je me dis… que la poésie, bien qu’elle tente de laisser entendre la voix de la source, n’est que la Mère de dix mille choses que la mémoire des impressions qu’elle transmet n’est qu’une pâle dilution, un mirage du merveilleux qui est vu et ressenti que seule la présence à l’instant a du sens et la quête des mots nous en éloigne que tourner le regard en soi permet de cerner le désir dans ce qu’il a de déstabilisant et nous éloigne du présent que l’acceptation du non désir n’est pas un acte de résignation

J’ai le non désir d’écrire que des années d’abstinence ont forgé. Les mots invisibles sont paroles d’anges immatérielles par essence.

Erin

Les pouvoirs

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Certains pouvoirs manquent à notre accomplissement
Sauraient-ils  te soutenir, toi, ma volonté
qui dans la faiblesse s’incline – impuissante à me protéger.

Le corps est  une demeure qui souvent nous trahit
Sujet de perversion………..victime de violence
matière à prostitution……….… Notre incursion
sur terre est une épreuve vouée au don de soi
quand la rage ne nous révèle  pas.. bourreaux

Nos jardins sont peuplés de chimères
qui ne changent rien à la marche du temps
Le mal est le limon qui engraisse nos lendemains
aucune douleur ne supporte l’absolution

Les lamentations sont un chant qu’on entonne
en silence pour ne pas faire d’ombre au bonheur
de proximité. Ce que le passé a noué
le présent le dénoue avec diligence.

La mère ne donne pas seulement la vie
toute à la joie de mettre au monde elle oublie
que cet enfant ne lui appartient pas
sauf lorsque dans son sein il s’éteint

Une douleur à jamais sans délivrance
car porter la mort est un crime qu’elle ne se pardonne pas
La maternité est une étape – œuvre de procréation
savoir s’en détacher ouvre à d’autres créations

L’emprise charnelle parfois avilit sa source
le corps se prête aux avances de l’amant
mais l’âme prie le ciel de ne pas donner aux hommes
des pouvoirs autres que sensoriels

La  femme invoque la force. Elle sait la trouver dans l’amour authentique
un amour d’enfance, un amour d’avant l’offrande physique
un amour précédent le premier cri
un soupçon d’allégresse  où la conception nous a cueillis
et dont la flamme vacille dans l’alcôve du cœur

Souffle !

Ce sanctuaire n’apparaît qu’au dormeur et  le Grand Rêve le balaiera.

Carmen P.

(pour les droits de la femme qui ne sont pas affaire d’une seule journée)

Vent d’Ouest

croquis de Charles L'Heureux

 

Le vent d’Ouest secoue son corps d’hiver
la pluie ne cesse – les gouttes glissent
le long de ses branches – encensent la terre.
Son panache à venir replié dans l’alcôve
de ses bourgeons, l’arbre offre ses ramures en prière.

Mudras tendus vers le ciel, doigts papillons
entre lesquels insiste le souffle – s’infiltre
jusqu’à ce que la coupe gonflée d’air frémisse
en mille points puis retombe dans l’instant calme.
Une sculpture d’énergie s’ancre autour du bois

 

Erin

(illustration de Charles L’Heureux, arbre remarquable du Canada)

L’enfant de Syracuse (le crime)

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L’enfant de Syracuse (suite)

Crouse Avenue. Six p.m. Ce n’était pas la bonne heure  pour intervenir. Trop d’animation encore. Lucas passait le temps en exécutant  des figures sur son skate. Par moments il s’immobilisait et cherchait un signe, un  quelconque augure qui pourrait le dispenser d’agir. Il se sentait mal à l’aise. Plus il  attendait,  plus son malaise grandissait. Il n’aurait pas dû venir sur place avant la nuit tombée. Son mental, pourtant décidé à l’action, ne supportait plus cette inhibition qu’il s’imposait.  Pourquoi était-il arrivé si tôt ?

Son regard balaya le ciel, un vol d’oiseaux l’intrigua. Le toit de la tour la plus élevée servait de piste d’envol à une colonie d’oiseaux. Tous partaient d’un même élan et décrivaient une ellipse. Au point le plus éloigné de sa trajectoire le groupe se séparait, alors que certains disparaissaient dans le bleu du couchant, les autres revenaient vers le toit. Le manège se répéta plusieurs fois. À chaque échappée l’ellipse prenait de l’envergure et le groupe qui revenait sur le toit s’amenuisait. Ce spectacle réveilla chez Lucas son désir d’envol. Il ne pouvait  détacher ses pensées de la poignée d’oiseaux qui restait sur le toit et il se demandait : « S’il doit en rester un, est-ce le plus faible ? Est-ce le plus fort de la bande ? »  Ce ballet aérien renforça son inconfort, il fallait qu’il bouge, qu’il quitte Crouse Avenue. Obéissant à son impulsion il se dirigea vers Armory Square. Là, le quartier avait dû retrouver son calme et il rencontrerait certainement une vieille dame échappée de la foule agitée que la journée avait charriée. Un oiseau solitaire. Comme lui.

Lucas reprit son souffle, l’angoisse lui faisait découvrir des sensations qu’il ignorait jusqu’à ce jour. Adossé contre un mur, il essayait de se faire oublier. Se dissoudre dans les couleurs de sa ville. Se laisser absorber par son histoire. Devenir une ombre au goût de sel. Salt City, sa ville. N’être qu’une émergence de Salt City. Un absent dans ce décor, sans plus de consistance qu’un fantôme du passé ou un avatar du futur. Dans ses oreillettes résonnait King of Pop et son cœur s’obstinait à battre à tout rompre. Contre ses tempes, le sang affluait au rythme d’un torrent. Agir ! Il reconnut sa victime, elle portait un sac gris tel qu’il l’avait imaginé. Foncer. Il donna une impulsion à son skate : il était parti.  Parti pour s’emparer de son trophée sans penser à quiconque. Il l’avait ! La résistance n’entrait pas en ligne de compte, seul le mouvement avait de l’importance. Le mouvement et l’intention. La célérité pas la réflexion. Il entendit un cri, un choc mat. Tout cela était derrière lui. Son salut était dans la fuite, en avant.

Quand il se sentit hors d’atteinte, il s’arrêta, enleva son blouson et le balança avec le sac et le skate entre un panneau publicitaire et une distributrice de journaux. Il les retrouverait plus tard. Il fallait qu’il fasse demi-tour. Ce bruit mat, maintenant qu’il ne fuyait plus, lui revenait à l’esprit.  Il n’eut pas de mal à l’associer rétrospectivement à la résistance ressentie, et lui revint la violence de son geste.  Et si la vieille dame était tombée ? Il se devait d’aller voir. Sans le blouson et le skate on ne le reconnaîtrait pas. Tout s’était passé si vite !

 Elle était là. L’arrière de sa tête avait heurté le trottoir. Elle était consciente et elle le reconnut.

— C’était toi, dit-elle. Ni panique, ni reproche dans sa voix.

— Ne fermez pas les yeux, Mrs. Je reste auprès de vous.                                            Il Il appela les secours et resta à côté de sa victime.

Il ne lui lâcha pas la main. Quand les policiers arrivèrent, Lucas pensa : « Je suis mort, mais rien n’est fini. »

(à suivre)

L’enfant de Syracuse (Monika)

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Dès que j’eus décliné mon identité dans l’interphone du petit immeuble de briques rouges où habitait Monika Jacoby, la porte s’ouvrit.

Le condo* situé au quatrième et dernier étage donnait sur une jolie terrasse paysagée. D’entrée, les lieux dégageaient une forte impression de clarté et d’esthétisme. Les murs blancs, le mobilier blanc, lui aussi, le parquet de bois clair, bien entretenu, et la hauteur des pièces auraient suffi au jeu de la lumière pour apporter à cet espace une décoration d’intérieur naturelle, cependant, d’immenses tableaux occupaient les murs sans ouvertures. Des fleurs, se déclinant du rose au rouge, s’épanouissaient au terme de larges hampes couleur vert d’eau. Placées sur des consoles de verre, des orchidées blanches mouchetées de rouge trônaient comme des candélabres sur des pilastres invisibles. Dans cet univers immaculé, les rideaux eux-mêmes étaient rouges,  cette couleur n’avait rien d’agressif, elle  éclatait et animait les lieux d’un rayonnement joyeux d’aussi bel augure que les voiles des mariées en Chine.

Monika était la fleur, à l’exotisme maîtrisé, qui avait donné son caractère aux lieux. Elle était grande, vêtue d’un tailleur bleu marine et d’un chemisier blanc, à son cou une fantaisie émaillée rouge, ses cheveux bruns tombaient librement sur ses épaules. Classicisme et élégance résumait bien son choix vestimentaire. Ses gestes étaient vifs et précis, sa voix  aux intonations chaleureuses s’élevait claire, même quand elle s’exprimait de la pièce voisine. Elle inspirait la confiance.

Je sortis de mon sac la carte qui lui était adressée. Elle la lut puis garda le silence.  Elle répéta dans un murmure la fin du message : « I’m really going to miss you ! », puis son regard se tourna vers la terrasse et elle dit : «  C’est tout Lucas, une telle sensibilité qui ne demande qu’à s’exprimer ! » Réalisant qu’elle avait parlé en aparté, elle se tourna vers moi et rajouta :

– Puisse-t-il parvenir à exprimer sa sensibilité et son talent aux yeux de tous ! Je vous remercie de m’avoir apporté cette carte. Lucas qui me l’a écrite est si réservé, il doit déjà être parti. Je ne pensais pas avoir de ses nouvelles avant longtemps, car il est nécessaire pour lui de se construire en laissant le passé derrière lui. Il vaut mieux qu’il m’oublie.

– Je ne veux pas être indiscrète, mais puis-je savoir qui est Lucas ?

– C’est un jeune homme que j’ai suivi dans le cadre de ma profession. Je suis psychologue, il était pensionnaire au centre de détention pour enfants d’ Hillbrook.

– Je ne connais pas ce lieu, dis-je pour en apprendre davantage. Je ne suis que de passage à New York.

– J’ai un devoir de réserve et je ne pourrai vous en dire beaucoup plus. Cependant, je peux vous révéler, puisque vous avez pris sur votre temps de vacances pour m’apporter cette lettre,  que Lucas s’apprête à partir pour l’Europe et je l’ai suivi depuis Hillbrook jusqu’à la prison du MCC.

– Le MCC ?

– Le Metropolitan Correctional Center, une prison fédérale à Manhattan.  Lucas  appréhendait terriblement son transfert d’un centre de détention juvénile à une prison pour adultes. Il faut dire que la façade de ce bâtiment triangulaire, avec ses fenêtres hautes et étroites qui n’ont pas plus de cinq pouces de large, a de quoi interpeller, même si, considérée de l’extérieur, certains la qualifient de « merveilleuse ». C’est toujours merveilleux quand on n’a pas à passer les portes d’un univers hostile. Mon protégé  considérait ce lieu comme un paquebot sur l’île de Manhattan, il sentait la foule, disait-il comme une mer démontée battre contre son cœur et il avait peur, oui peur de cette immersion dans la faune trépidante des rues de New York, car il avait la permission de sortir. Lucas a profité d’une blending sentencing un peu particulière,  après une première période de détention à Hillbrook il devait passer par New York où. dans le cadre de ses études sur l’Art, il lui fallait visiter le MoMa ainsi que le MET. Il était sous surveillance électronique, bien sûr, mais je devais l’accompagner, car Lucas est un sujet hypersensible que plusieurs années de détention ont rendu particulièrement vulnérable, il ne pouvait renouer avec le monde, seul, et j’étais la personne en qui il avait le plus confiance.

– On lit toute sa reconnaissance dans les mots qu’il vous a laissés.

– Oui, j’en suis émue. Ce jeune homme est surprenant et très attachant. Je vous remercie encore une fois d’avoir sauvé ces mots du déluge, dit-elle en souriant.

Je laissai Monika car elle avait un rendez-vous et je me retrouvai bientôt  chez Mamoun’s Falafel,  je n’allais pas quitter Greenwich village sans un encas que je me faisais une joie de déguster sur le pouce dans Washington Square. La matinée avait été riche, car Monika avait fait plus d’entorses à son devoir de réserve qu’elle n’en avait l’intention, et l’auteur en moi jubilait : ce Lucas, ce que je devinais de sa personnalité, commençait à entamer un dialogue avec un autre personnage que j’avais abandonné en France, dans sa prison de l’île de Ré, alors que je fuyais le manque d’inspiration  dans l’agitation de New York.

* Un condominium : appartement, au Canada, aux US, quand dans l’immeuble les unités d’habitation ont été vendues à des propriétaires différents.

Trois notes

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À chacun sa musique
pour trois notes à jouer
trois notes qui nous lient
à la Terre, à l’Eau, à l’Air
à toutes les formes du vivant

À chacun son instrument
pour trois notes à jouer
trois notes harmoniques
cithare ou balalaïka, guitare ou banjo
choisis le bois qui en toi résonne

À chacun sa musique
pour trois notes à jouer
Ne te cache pas telle une taupe
Ne te défile pas comme l’anguille
Vole avec l’oiseau !

À chacun son instrument
pour trois notes à jouer
si une corde est relâchée
ne sois pas désemparé
tout ce qui flanche peut être accordé

À chacun sa musique
trois vibrations à trouver
à offrir au concert de la Vie
Le son unique que rien ne grèvera
est le fruit de l’expression du soi

Cithare ou balalaïka, guitare ou banjo
choisis le bois qui en toi résonne

Erin (Carmen P.)

L’enfant de Syracuse (Les nouveaux amis)

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(Je n’ai pas oublié mon personnage. Les fêtes de fin d’année et une panne d’ordinateur justifient mon silence. Je vous souhaite des jours heureux en 2015, même si ce début d’année nous a tous profondément bouleversés. Lucas, l’enfant de Syracuse,  part sur une mauvaise pente… c’est son histoire – telle que son auteur l’a imaginée – il entre dans un cauchemar dont il faudra bien que je le sorte !)

L‘enfant de Syracuse suite ( Les mauvais amis)

Il n’avait pas choisi ses amis au hasard mais une chose est certaine ce n’était pas leur réputation de « mauvais garçons » qui l’avait attiré. Ils avaient fait connaissance lors d’une rencontre de Baseball. Les Skychiefs de Syracuse affrontaient les Indians d’Indiapolis, un match de ligue internationale. L’ambiance, comme toujours, était chaleureuse et la passion commune ignorait les barrières sociales. On échangeait facilement quelques mots. On était prompt à rire, à se taper dans le dos. Lucas aimait ainsi sortir de l’isolement dans lequel le tenait son statut d’enfant unique. Il n’était pas indifférent, il aimait aller à la rencontre des autres, se mêler à la foule des supporters, partager le même enthousiasme – une façon de participer au mouvement joyeux qui accompagne les gestes de la vie et qui se retrouve aussi dans les paroles prononcées quand seul compte l’instant présent et les commentaires sur l’ action qu’un joueur venait d’exécuter – d’offrir aux supporters. Se laisser porter par cette ambiance de stade donnait de la couleur à son existence et il s’abandonnait à cette euphorie. Un abandon de son individualité. Une ouverture aux autres. Le bonheur d’une soirée où manger un hamburger sur le pouce et boire un Honest Tea n’engageait à rien d’autre que savourer un instant de camaraderie sans conséquence.

C’est ainsi qu’il avait rencontré ses nouveaux amis. Rien de prémédité. Rien de malsain. Rien, absolument rien,  lors de ce match, ne permettait de suppose que ces deux amis étaient membres d’une organisation de jeunes qui s’ingéniait à prendre des risques et faire des pieds de nez à la société. Jamais il n’aurait pensé que pour garder ses deux amis il lui faudrait intégrer cette bande. Faire ses preuves, comme on dit. Il le comprit quand on le présenta aux autres dans un local désaffecté du côté de Lakefront où ils l’avaient conduit. Une vague de surprise traversa alors son esprit, mais il se considérait déjà engagé alors il choisit, sans manifester le moindre signe d’hésitation, de se glisser dans ce banc de drôles de poissons – après tout, il n’avait pas à se montrer frileux, on n’était pas en hiver, il ne risquait pas de geler, il s’agissait juste d’apprendre à nager autrement qu’en solitaire et dans une eau plus trouble que d’ordinaire !

Le tout était de ne pas se laisser prendre. L’aventure méritait d’être tentée,  l’idée d’endosser une deuxième personnalité,  comme le docteur Jekylle avec son M.Hyde, exerçait sur son imagination un attraction hypnotique qui balayait toute prudence. Avait-il l’étoffe d’un voyou ? Rien n’était moins sûr. Il le saurait par la pratique.   L’enfant sage de la famille Felding allait devenir un adolescent rebelle. Quelle transformation et quelle perspective de lendemains attrayants !

Sa mise à l’épreuve consistait à voler le sac d’une passante et à le remettre à son ami Ron qui l’attendrait derrière chez lui. Liberté lui était accordée de choisir sa cible, son heure. Personne ne devait savoir comment il allait procéder, seul comptait le fait qu’il revienne avec son trophée avant 8:30 pm – Ron ne devait pas se faire remarquer à poireauter trop longtemps – si les parents de Lucas  étaient absents de la maison, les voisins, par contre, risquaient de s’inquiéter de cette présence inhabituelle.

Couché sur son  lit, la veille du jour fatidique, Lucas échafaudait des plans. Les choses se révélaient beaucoup plus compliquées qu’il n’y paraissait à première vue même si la valeur de son vol était moins importante que le fait de subtiliser l’objet à une inconnue.

Le lieu… il lui faudrait choisir un quartier où il ne risquait pas d’être reconnu. Et comment procéder pour la suite ? Il devait  visualiser toutes les étapes avec une clarté qui seule allait permettre aux évènements de se dérouler à la perfection. Le film mental une fois réalisé, il lui faudrait le passer plusieurs fois sur l’écran de son esprit, sans rien en modifier, afin que la réalité du lendemain colle à   son projet.

Lucas s’endormit tard cette nuit là et dans ses rêves un sac gris argenté s’élevait dans les airs comme une grande voile inatteignable…

(à suivre)