Le Tao – 1er verset –

 

10409524_1533597356881396_7766532882696170281_n

 

La sagesse de l’ enseignement du Tao, lorsqu’on essaie de comprendre ce qu’il peut révéler de notre vie, n’est plus à prouver. Suite à ce verset j’ai écrit les premières pensées qui ont traversé mon esprit; Je me pose en effet beaucoup de questions sur la nécessité d’écrire que je ne peux vivre qu’en m’accordant des pauses de temps en temps, je  me tourner alors vers les miens, vers mon jardin ou mes animaux… mais ce n’est pas immédiat, l…’ordinateur est là, les cahiers, les feuilles et les idées surgissent et je suis une acharnée du travail que j’ai du mal à interrompre. Quand trop c’est trop, quand même le désir d’écrire réveille un certain inconfort, l’urgence est au lâcher prise et à l’observation de ce mouvement qui crée des tensions. Ne pas répondre, ne pas juger, même si on flanche et recommencer à se tourner vers la vie, vers le chat qui réclame une caresse, vers ses enfants à écouter, vers la nature qui est toujours prête pour la rencontre. Les mots se vivent avant de s’écrire quand le temps qu’on leur accorde n’est plus contraignant.

*

Le Tao qu’on peut raconter n’est pas le Tao éternel. Le nom que l’on peut nommer n’est pas le nom éternel.

Le Tao est à la fois nommé et innommé. En tant qu’il est innommé, il est l’origine de toute choses ; en tant qu’il est nommé, il est la Mère de dix mille choses.

Celui qui est toujours sans désir peut voir le mystère ; celui qui toujours désire ne voit que les manifestations. Et le mystère est lui-même la porte de toute compréhension.

Lao-Tseu

*

À cette (re)lecture, je me dis… que la poésie, bien qu’elle tente de laisser entendre la voix de la source, n’est que la Mère de dix mille choses que la mémoire des impressions qu’elle transmet n’est qu’une pâle dilution, un mirage du merveilleux qui est vu et ressenti que seule la présence à l’instant a du sens et la quête des mots nous en éloigne que tourner le regard en soi permet de cerner le désir dans ce qu’il a de déstabilisant et nous éloigne du présent que l’acceptation du non désir n’est pas un acte de résignation

J’ai le non désir d’écrire que des années d’abstinence ont forgé. Les mots invisibles sont paroles d’anges immatérielles par essence.

Erin

Les pouvoirs

11006439_858683820859594_4794276204288128792_n

Certains pouvoirs manquent à notre accomplissement
Sauraient-ils  te soutenir, toi, ma volonté
qui dans la faiblesse s’incline – impuissante à me protéger.

Le corps est  une demeure qui souvent nous trahit
Sujet de perversion………..victime de violence
matière à prostitution……….… Notre incursion
sur terre est une épreuve vouée au don de soi
quand la rage ne nous révèle  pas.. bourreaux

Nos jardins sont peuplés de chimères
qui ne changent rien à la marche du temps
Le mal est le limon qui engraisse nos lendemains
aucune douleur ne supporte l’absolution

Les lamentations sont un chant qu’on entonne
en silence pour ne pas faire d’ombre au bonheur
de proximité. Ce que le passé a noué
le présent le dénoue avec diligence.

La mère ne donne pas seulement la vie
toute à la joie de mettre au monde elle oublie
que cet enfant ne lui appartient pas
sauf lorsque dans son sein il s’éteint

Une douleur à jamais sans délivrance
car porter la mort est un crime qu’elle ne se pardonne pas
La maternité est une étape – œuvre de procréation
savoir s’en détacher ouvre à d’autres créations

L’emprise charnelle parfois avilit sa source
le corps se prête aux avances de l’amant
mais l’âme prie le ciel de ne pas donner aux hommes
des pouvoirs autres que sensoriels

La  femme invoque la force. Elle sait la trouver dans l’amour authentique
un amour d’enfance, un amour d’avant l’offrande physique
un amour précédent le premier cri
un soupçon d’allégresse  où la conception nous a cueillis
et dont la flamme vacille dans l’alcôve du cœur

Souffle !

Ce sanctuaire n’apparaît qu’au dormeur et  le Grand Rêve le balaiera.

Carmen P.

(pour les droits de la femme qui ne sont pas affaire d’une seule journée)

Vent d’Ouest

croquis de Charles L'Heureux

 

Le vent d’Ouest secoue son corps d’hiver
la pluie ne cesse – les gouttes glissent
le long de ses branches – encensent la terre.
Son panache à venir replié dans l’alcôve
de ses bourgeons, l’arbre offre ses ramures en prière.

Mudras tendus vers le ciel, doigts papillons
entre lesquels insiste le souffle – s’infiltre
jusqu’à ce que la coupe gonflée d’air frémisse
en mille points puis retombe dans l’instant calme.
Une sculpture d’énergie s’ancre autour du bois

 

Erin

(illustration de Charles L’Heureux, arbre remarquable du Canada)

L’enfant de Syracuse (le crime)

sans-titre

L’enfant de Syracuse (suite)

Crouse Avenue. Six p.m. Ce n’était pas la bonne heure  pour intervenir. Trop d’animation encore. Lucas passait le temps en exécutant  des figures sur son skate. Par moments il s’immobilisait et cherchait un signe, un  quelconque augure qui pourrait le dispenser d’agir. Il se sentait mal à l’aise. Plus il  attendait,  plus son malaise grandissait. Il n’aurait pas dû venir sur place avant la nuit tombée. Son mental, pourtant décidé à l’action, ne supportait plus cette inhibition qu’il s’imposait.  Pourquoi était-il arrivé si tôt ?

Son regard balaya le ciel, un vol d’oiseaux l’intrigua. Le toit de la tour la plus élevée servait de piste d’envol à une colonie d’oiseaux. Tous partaient d’un même élan et décrivaient une ellipse. Au point le plus éloigné de sa trajectoire le groupe se séparait, alors que certains disparaissaient dans le bleu du couchant, les autres revenaient vers le toit. Le manège se répéta plusieurs fois. À chaque échappée l’ellipse prenait de l’envergure et le groupe qui revenait sur le toit s’amenuisait. Ce spectacle réveilla chez Lucas son désir d’envol. Il ne pouvait  détacher ses pensées de la poignée d’oiseaux qui restait sur le toit et il se demandait : « S’il doit en rester un, est-ce le plus faible ? Est-ce le plus fort de la bande ? »  Ce ballet aérien renforça son inconfort, il fallait qu’il bouge, qu’il quitte Crouse Avenue. Obéissant à son impulsion il se dirigea vers Armory Square. Là, le quartier avait dû retrouver son calme et il rencontrerait certainement une vieille dame échappée de la foule agitée que la journée avait charriée. Un oiseau solitaire. Comme lui.

Lucas reprit son souffle, l’angoisse lui faisait découvrir des sensations qu’il ignorait jusqu’à ce jour. Adossé contre un mur, il essayait de se faire oublier. Se dissoudre dans les couleurs de sa ville. Se laisser absorber par son histoire. Devenir une ombre au goût de sel. Salt City, sa ville. N’être qu’une émergence de Salt City. Un absent dans ce décor, sans plus de consistance qu’un fantôme du passé ou un avatar du futur. Dans ses oreillettes résonnait King of Pop et son cœur s’obstinait à battre à tout rompre. Contre ses tempes, le sang affluait au rythme d’un torrent. Agir ! Il reconnut sa victime, elle portait un sac gris tel qu’il l’avait imaginé. Foncer. Il donna une impulsion à son skate : il était parti.  Parti pour s’emparer de son trophée sans penser à quiconque. Il l’avait ! La résistance n’entrait pas en ligne de compte, seul le mouvement avait de l’importance. Le mouvement et l’intention. La célérité pas la réflexion. Il entendit un cri, un choc mat. Tout cela était derrière lui. Son salut était dans la fuite, en avant.

Quand il se sentit hors d’atteinte, il s’arrêta, enleva son blouson et le balança avec le sac et le skate entre un panneau publicitaire et une distributrice de journaux. Il les retrouverait plus tard. Il fallait qu’il fasse demi-tour. Ce bruit mat, maintenant qu’il ne fuyait plus, lui revenait à l’esprit.  Il n’eut pas de mal à l’associer rétrospectivement à la résistance ressentie, et lui revint la violence de son geste.  Et si la vieille dame était tombée ? Il se devait d’aller voir. Sans le blouson et le skate on ne le reconnaîtrait pas. Tout s’était passé si vite !

 Elle était là. L’arrière de sa tête avait heurté le trottoir. Elle était consciente et elle le reconnut.

— C’était toi, dit-elle. Ni panique, ni reproche dans sa voix.

— Ne fermez pas les yeux, Mrs. Je reste auprès de vous.                                            Il Il appela les secours et resta à côté de sa victime.

Il ne lui lâcha pas la main. Quand les policiers arrivèrent, Lucas pensa : « Je suis mort, mais rien n’est fini. »

(à suivre)

L’enfant de Syracuse (Monika)

sans-titre

Dès que j’eus décliné mon identité dans l’interphone du petit immeuble de briques rouges où habitait Monika Jacoby, la porte s’ouvrit.

Le condo* situé au quatrième et dernier étage donnait sur une jolie terrasse paysagée. D’entrée, les lieux dégageaient une forte impression de clarté et d’esthétisme. Les murs blancs, le mobilier blanc, lui aussi, le parquet de bois clair, bien entretenu, et la hauteur des pièces auraient suffi au jeu de la lumière pour apporter à cet espace une décoration d’intérieur naturelle, cependant, d’immenses tableaux occupaient les murs sans ouvertures. Des fleurs, se déclinant du rose au rouge, s’épanouissaient au terme de larges hampes couleur vert d’eau. Placées sur des consoles de verre, des orchidées blanches mouchetées de rouge trônaient comme des candélabres sur des pilastres invisibles. Dans cet univers immaculé, les rideaux eux-mêmes étaient rouges,  cette couleur n’avait rien d’agressif, elle  éclatait et animait les lieux d’un rayonnement joyeux d’aussi bel augure que les voiles des mariées en Chine.

Monika était la fleur, à l’exotisme maîtrisé, qui avait donné son caractère aux lieux. Elle était grande, vêtue d’un tailleur bleu marine et d’un chemisier blanc, à son cou une fantaisie émaillée rouge, ses cheveux bruns tombaient librement sur ses épaules. Classicisme et élégance résumait bien son choix vestimentaire. Ses gestes étaient vifs et précis, sa voix  aux intonations chaleureuses s’élevait claire, même quand elle s’exprimait de la pièce voisine. Elle inspirait la confiance.

Je sortis de mon sac la carte qui lui était adressée. Elle la lut puis garda le silence.  Elle répéta dans un murmure la fin du message : « I’m really going to miss you ! », puis son regard se tourna vers la terrasse et elle dit : «  C’est tout Lucas, une telle sensibilité qui ne demande qu’à s’exprimer ! » Réalisant qu’elle avait parlé en aparté, elle se tourna vers moi et rajouta :

– Puisse-t-il parvenir à exprimer sa sensibilité et son talent aux yeux de tous ! Je vous remercie de m’avoir apporté cette carte. Lucas qui me l’a écrite est si réservé, il doit déjà être parti. Je ne pensais pas avoir de ses nouvelles avant longtemps, car il est nécessaire pour lui de se construire en laissant le passé derrière lui. Il vaut mieux qu’il m’oublie.

– Je ne veux pas être indiscrète, mais puis-je savoir qui est Lucas ?

– C’est un jeune homme que j’ai suivi dans le cadre de ma profession. Je suis psychologue, il était pensionnaire au centre de détention pour enfants d’ Hillbrook.

– Je ne connais pas ce lieu, dis-je pour en apprendre davantage. Je ne suis que de passage à New York.

– J’ai un devoir de réserve et je ne pourrai vous en dire beaucoup plus. Cependant, je peux vous révéler, puisque vous avez pris sur votre temps de vacances pour m’apporter cette lettre,  que Lucas s’apprête à partir pour l’Europe et je l’ai suivi depuis Hillbrook jusqu’à la prison du MCC.

– Le MCC ?

– Le Metropolitan Correctional Center, une prison fédérale à Manhattan.  Lucas  appréhendait terriblement son transfert d’un centre de détention juvénile à une prison pour adultes. Il faut dire que la façade de ce bâtiment triangulaire, avec ses fenêtres hautes et étroites qui n’ont pas plus de cinq pouces de large, a de quoi interpeller, même si, considérée de l’extérieur, certains la qualifient de « merveilleuse ». C’est toujours merveilleux quand on n’a pas à passer les portes d’un univers hostile. Mon protégé  considérait ce lieu comme un paquebot sur l’île de Manhattan, il sentait la foule, disait-il comme une mer démontée battre contre son cœur et il avait peur, oui peur de cette immersion dans la faune trépidante des rues de New York, car il avait la permission de sortir. Lucas a profité d’une blending sentencing un peu particulière,  après une première période de détention à Hillbrook il devait passer par New York où. dans le cadre de ses études sur l’Art, il lui fallait visiter le MoMa ainsi que le MET. Il était sous surveillance électronique, bien sûr, mais je devais l’accompagner, car Lucas est un sujet hypersensible que plusieurs années de détention ont rendu particulièrement vulnérable, il ne pouvait renouer avec le monde, seul, et j’étais la personne en qui il avait le plus confiance.

– On lit toute sa reconnaissance dans les mots qu’il vous a laissés.

– Oui, j’en suis émue. Ce jeune homme est surprenant et très attachant. Je vous remercie encore une fois d’avoir sauvé ces mots du déluge, dit-elle en souriant.

Je laissai Monika car elle avait un rendez-vous et je me retrouvai bientôt  chez Mamoun’s Falafel,  je n’allais pas quitter Greenwich village sans un encas que je me faisais une joie de déguster sur le pouce dans Washington Square. La matinée avait été riche, car Monika avait fait plus d’entorses à son devoir de réserve qu’elle n’en avait l’intention, et l’auteur en moi jubilait : ce Lucas, ce que je devinais de sa personnalité, commençait à entamer un dialogue avec un autre personnage que j’avais abandonné en France, dans sa prison de l’île de Ré, alors que je fuyais le manque d’inspiration  dans l’agitation de New York.

* Un condominium : appartement, au Canada, aux US, quand dans l’immeuble les unités d’habitation ont été vendues à des propriétaires différents.

Trois notes

10929552_997144150313962_3497265909235429463_n

 

À chacun sa musique
pour trois notes à jouer
trois notes qui nous lient
à la Terre, à l’Eau, à l’Air
à toutes les formes du vivant

À chacun son instrument
pour trois notes à jouer
trois notes harmoniques
cithare ou balalaïka, guitare ou banjo
choisis le bois qui en toi résonne

À chacun sa musique
pour trois notes à jouer
Ne te cache pas telle une taupe
Ne te défile pas comme l’anguille
Vole avec l’oiseau !

À chacun son instrument
pour trois notes à jouer
si une corde est relâchée
ne sois pas désemparé
tout ce qui flanche peut être accordé

À chacun sa musique
trois vibrations à trouver
à offrir au concert de la Vie
Le son unique que rien ne grèvera
est le fruit de l’expression du soi

Cithare ou balalaïka, guitare ou banjo
choisis le bois qui en toi résonne

Erin (Carmen P.)

L’enfant de Syracuse (Les nouveaux amis)

sans-titre

(Je n’ai pas oublié mon personnage. Les fêtes de fin d’année et une panne d’ordinateur justifient mon silence. Je vous souhaite des jours heureux en 2015, même si ce début d’année nous a tous profondément bouleversés. Lucas, l’enfant de Syracuse,  part sur une mauvaise pente… c’est son histoire – telle que son auteur l’a imaginée – il entre dans un cauchemar dont il faudra bien que je le sorte !)

L‘enfant de Syracuse suite ( Les mauvais amis)

Il n’avait pas choisi ses amis au hasard mais une chose est certaine ce n’était pas leur réputation de « mauvais garçons » qui l’avait attiré. Ils avaient fait connaissance lors d’une rencontre de Baseball. Les Skychiefs de Syracuse affrontaient les Indians d’Indiapolis, un match de ligue internationale. L’ambiance, comme toujours, était chaleureuse et la passion commune ignorait les barrières sociales. On échangeait facilement quelques mots. On était prompt à rire, à se taper dans le dos. Lucas aimait ainsi sortir de l’isolement dans lequel le tenait son statut d’enfant unique. Il n’était pas indifférent, il aimait aller à la rencontre des autres, se mêler à la foule des supporters, partager le même enthousiasme – une façon de participer au mouvement joyeux qui accompagne les gestes de la vie et qui se retrouve aussi dans les paroles prononcées quand seul compte l’instant présent et les commentaires sur l’ action qu’un joueur venait d’exécuter – d’offrir aux supporters. Se laisser porter par cette ambiance de stade donnait de la couleur à son existence et il s’abandonnait à cette euphorie. Un abandon de son individualité. Une ouverture aux autres. Le bonheur d’une soirée où manger un hamburger sur le pouce et boire un Honest Tea n’engageait à rien d’autre que savourer un instant de camaraderie sans conséquence.

C’est ainsi qu’il avait rencontré ses nouveaux amis. Rien de prémédité. Rien de malsain. Rien, absolument rien,  lors de ce match, ne permettait de suppose que ces deux amis étaient membres d’une organisation de jeunes qui s’ingéniait à prendre des risques et faire des pieds de nez à la société. Jamais il n’aurait pensé que pour garder ses deux amis il lui faudrait intégrer cette bande. Faire ses preuves, comme on dit. Il le comprit quand on le présenta aux autres dans un local désaffecté du côté de Lakefront où ils l’avaient conduit. Une vague de surprise traversa alors son esprit, mais il se considérait déjà engagé alors il choisit, sans manifester le moindre signe d’hésitation, de se glisser dans ce banc de drôles de poissons – après tout, il n’avait pas à se montrer frileux, on n’était pas en hiver, il ne risquait pas de geler, il s’agissait juste d’apprendre à nager autrement qu’en solitaire et dans une eau plus trouble que d’ordinaire !

Le tout était de ne pas se laisser prendre. L’aventure méritait d’être tentée,  l’idée d’endosser une deuxième personnalité,  comme le docteur Jekylle avec son M.Hyde, exerçait sur son imagination un attraction hypnotique qui balayait toute prudence. Avait-il l’étoffe d’un voyou ? Rien n’était moins sûr. Il le saurait par la pratique.   L’enfant sage de la famille Felding allait devenir un adolescent rebelle. Quelle transformation et quelle perspective de lendemains attrayants !

Sa mise à l’épreuve consistait à voler le sac d’une passante et à le remettre à son ami Ron qui l’attendrait derrière chez lui. Liberté lui était accordée de choisir sa cible, son heure. Personne ne devait savoir comment il allait procéder, seul comptait le fait qu’il revienne avec son trophée avant 8:30 pm – Ron ne devait pas se faire remarquer à poireauter trop longtemps – si les parents de Lucas  étaient absents de la maison, les voisins, par contre, risquaient de s’inquiéter de cette présence inhabituelle.

Couché sur son  lit, la veille du jour fatidique, Lucas échafaudait des plans. Les choses se révélaient beaucoup plus compliquées qu’il n’y paraissait à première vue même si la valeur de son vol était moins importante que le fait de subtiliser l’objet à une inconnue.

Le lieu… il lui faudrait choisir un quartier où il ne risquait pas d’être reconnu. Et comment procéder pour la suite ? Il devait  visualiser toutes les étapes avec une clarté qui seule allait permettre aux évènements de se dérouler à la perfection. Le film mental une fois réalisé, il lui faudrait le passer plusieurs fois sur l’écran de son esprit, sans rien en modifier, afin que la réalité du lendemain colle à   son projet.

Lucas s’endormit tard cette nuit là et dans ses rêves un sac gris argenté s’élevait dans les airs comme une grande voile inatteignable…

(à suivre)

L’enfant de Syracuse (Vivre à Syracuse)

sans-titre

(une séquence de vie, un passage d’une nouvelle… où l’on découvre les pensées du jeune homme – celles qui ont dévié le cours de sa vie)

Avant Hillbrook, bien avant, dans un espace temps qui lui semblait à des années lumières de ces bâtiments clean mais austères, où la clarté ne parvenait pas à effacer les erreurs du passé, et leur fatales sanctions – elle en accentuait même les ombres qui de jour comme de nuit venaient hanter les consciences, saborder le moindre soupçon d’enthousiasme, recouvrir de la cendre de l’apathie toute pensée assez téméraire pour tenter de souffler aux « pensionnaires » une quelconque projection dans leur futur.

Avant Hillbrook il y avait eu Syracuse.

Syracuse et ses larges avenues où la vie pouvait s’élancer droite, mais où la tentation des déviations en tout genre fut plus forte. Quitter Salina Street pour aller contourner l’hôpital Crouse, avec la sensation d’être un jeune yankee invulnérable, écoutant de la musique underground et glisser sur son skate sans craindre le face à face avec un passant à l’angle de la rue. Seules comptent les figures – Ollie, Shove-it – qu’il pratique avec de plus en plus d’assurance et… la mission quelque peu flippante que lui avaient confiée ses nouveaux potes : piquer au passage le sac de la première vieille femme qu’il rencontrerait. Voilà bien un défi que seuls des jeunes en mal d’émotions fortes et inconscients des risques peuvent prendre. Sa conscience avait bien tenté de lui souffler prudence, mais le désir d’être intégré à un groupe de jeunes de son âge fut plus forte. Plus forte que la notoriété de ses parents, plus forte que ces valeurs que ses géniteurs avaient tenté d’appliquer dans leur vie. Cette vie, leur vie : l’incarnation de la perfection. Leur passion pour leur métier, leur enthousiasme, leur accomplissement et même leur amour qui semblait gagner en profondeur au fil des années, tout cela était trop beau aux yeux de Lucas. Le jeune homme au sortir de l’enfance, entrait dans un âge de discrétion, de questionnement, de choix, d’action. Il préférait garder pour lui ses observations, ses expériences, il lui semblait essentiel de parvenir à prendre, seul, des décisions dans lesquelles ses parents n’avaient pas à glisser un regard, bientôt suivi d’un avis qui lui collerait au mental, lui ôtant tout libre arbitre. La relation avec ses parents avait changé, mais « eux » ne s’en étaient pas encore aperçu. Leur fils restait d’une politesse exemplaire, d’une attention affectueuse  à leur égard qu’ils pensaient naturelle alors que son intérêt pour la journée qu’ils venaient de passer, et auquel ils s’empressaient de répondre, n’était que de façade. Il n’écoutait pas le long compte-rendu qu’ils lui donnaient tout en déchargeant leur voiture, tout en rangeant ici ou là quelque objet qui n’était pas à sa place dans le living. Ses parents étaient des tornades, des américains hyper actifs, cette idée le faisait sourire car combien de couples amis de ses parents, et qui leur ressemblaient beaucoup, se plaignaient d’avoir des enfants hyperactifs qui tous relevaient d’un traitement, alors qu’ils copiaient juste le débit, le survoltage de leurs parents. Mais le rythme de vie était tellement exigeant, la nécessité de maîtriser au mieux le quotidien, la tenue de la maison, qu’ils ne pouvaient nerveusement faire face, en plus, au dynamisme de leurs propres enfants. Les petits humains s’avéraient pousser de façon autrement plus remarquable et épuisante que le faisaient les plantes vertes et les chihuahuas avant que le désir d’enfant ne vienne apporter la touche finale au tableau idéal d’une vie. Lucas avait échappé à cette étiquette, il n’avait pas été nécessaire de l’équilibrer à renfort de ritaline. Enfant calme, observateur, il pouvait passer des heures à jouer avec des petites choses auxquelles il accordait le plus grand intérêt, même les graviers ramassés sur le chemin lui offraient toute la palette de leurs nuances et le comblaient, il éprouvait un vif  plaisir à les classer en fonction de leur dégradé, à les agencer comme il l’aurait fait avec de la mosaïque. S’il ne ramassait pas quelque objet qui captivait son attention, il dessinait et s’il n’avait pas crayons il observait les discussions, les expressions des adultes. Non, vraiment il n’avait jamais causé de problème à ses parents qui ne se seraient jamais imaginé que l’année de ses quatorze ans allait contrarier à ce point tout ce qu’ils croyaient savoir de leur fils, anéantir tous leurs espoirs quand au brillant avenir qu’ils avaient prévu pour lui.

Lucas était donc arrivé à l’âge où il ne souhaitait pas que ses parents se penchent trop sur sa vie… et de silence en silence il s’aperçut qu’il avait en fait bien peu de choses à cacher, sa vie était calquée sur celle de ses parents, rien ne pouvait entrer dans le domaine du secret. Il aurait pu vivre dans une tour de verre, il aurait pu montrer à tous son cadre de vie, ouvrir même le livre de ses pensées intimes à tous. Il n’avait rien à dissimuler, rien à construire, tout semblait accompli avant même d’avoir été vécu. Il fallait bien le reconnaître, il était transparent, trop sage, très ordonné et en plus brillant élève.

La transgression, la fréquentation d’individus de son âge, non surprotégés et non soumis à la camisole médicamenteuse, toutes ces composantes de la vraie vie avec du rythme, des décharges d’adrénaline était-il possible qu’elles fassent partie de son quotidien ? Pas dans son quartier en tout cas, ni dans son établissement, il lui avait fallu aller au devant d’elles et il les avait trouvées. On trouve toujours ce qu’on cherche, la vie répond à nos attentes les plus ardentes. La moindre pensée sait faire son nid dans le limon du cœur et si on l’entretient, jour après jour, il en éclot le bien ou le mal que nous avons couvé. Le mal étant le bien que nous avons appelé et par lequel il nous faut passer.

(à suivre)

Carmen P.

Lumière pour fées en cage

Karina Kiel

 

Soyons nos propres faits

Accordons-nous

un violon et un archet

un crayon et un papier

un pinceau et une toile

un ballon rond ou ovale

L’obscurité intérieure s’illuminera

d’une multitude d’étoiles.

 

La musique se propagera

le papier s’envolera

la toile resplendira

la balle ajustera sa trajectoire

 

le mouvement s’amorce à partir d’un point

une fois lancé rien ne peut l’interrompre

il sourd de l’endroit idéal où nous sommes (maintenant)

Avec lui se dissipe l’illusion de la cage

 

Erin (Carmen P.)

Photo Karina Kiel

L’enfant de Syracuse (Dear Moni)

IMG_7703 - Copie

Il n’y avait pas de chauffage à l’hôtel, mais la clim, poussée à son maximum et que je décidai de supporter malgré le bruit qu’elle occasionnait, me permit de sécher mes chaussures pour le lendemain. Mes chaussures et la précieuse missive ! Le rabat n’avait pas été collé mais je ne pouvais parvenir à sortir la carte de l’enveloppe sans risquer de la déchirer, ou pire, de l’attirer miette après miette en voulant l’extirper de sa coquille jaune. Elle n’avait tout de même pas retenu mon attention pour que je me résigne à la transformer en pâte à papier ! Sur un nid de coton improvisé avec une serviette éponge je soumis le courrier à la lente œuvre de dessiccation de l’air, sans grand espoir, néanmoins, d’être en mesure d’assouvir ma curiosité au petit matin.

Le message reposa toute la nuit. Je le retournai de temps en temps en morigénant ma bêtise à chaque fois que je mettais les pieds au sol. Faut-il être stupide d’en arriver à sacrifier son sommeil pour quelques lignes que je tentais de sauver, lignes qui ne me concernaient en rien, et auxquelles j’accordais le pouvoir de perturber ma tranquillité en y mettant, en plus, toute ma conscience ; je la veillai comme je l’aurais fait d’un enfant malade, le bruit de la clim accompagnant son souffle comme une machinerie dont aurait dépendu sa survie.

Le lendemain matin, après être allée boire un thé dans la guestroom j’entrepris d’affranchir le pli de son silence.  Sur le recto de l’enveloppe se lisait le nom du destinataire, mais le prénom ainsi que l’adresse étaient illisibles, l’eau avait fait son œuvre, emportant dans un lavis l’enc, détournant les graphies de leur destination, ne leur donnant pas plus de poids que des traces laissées sur le sable et que la marée efface.

Jacoby, tel était le nom du destinataire. Quel prénom allais-je découvrir en ouvrant ce pli ?

La carte, visiblement achetée au MoMa représentait la nuit étoilée de Van Gogh. Le message tout autant tremblotant que les étoiles dans le ciel d’une nuit d’été, malgré les coulures d’encre et le manque de rigidité du papier, se révélait enfin :

 Dear Moni,

 One of the main reasons why my time with MCC has been so incredible is you.Thank you for sharing your sunshine spirit with all of us at NYC, and best of luck with your adventures.

I’m really going to miss you !

 Fondly

 Xxx

Touchée par le sentiment de gratitude qui émanait de ces mot adressés à Moni, je décidai d’ajourner mes projets d’exploration de la Grande Pomme et d’endosser le rôle de messagère  ; il fallait que je  remette cette lettre en main propre à sa destinataire.  Je découvris rapidement qu’une Monika Jacoby habitait à Greenwich village. Cela ne me prendrait pas beaucoup de temps d’aller la trouver. Je la prévins par téléphone, laissant un message sur son répondeur pour lui annoncer mon passage imminent.

Erin (Carmen P.)

IMG_7988 - Copie