Au coeur de l’instant

Par l’écriture
atteindre le noyau de l’instant
toucher au plus sensible
et d’une mesure de joie
enrober la tristesse de paix
 
être un grain de raison perdu dans une jungle en folie
ou un brin de folie dans une foule raisonnable
n’être rien qu’une écharde consciente
– douleur et joie en fusion
 
l’écriture attendra
je préfère retarder le moment
et depuis mon refuge observer
l’éclat des étoiles dans les pupilles de mes chats
 
Ballotée entre le pire et le meilleur
je bénis ceux qui parviennent
à accueillir les cieux au centre
de la roue de l’existence
 
.
Carmen P.

Les cariatides ont disparu

Les nymphes ont disparu – gardiennes du temple

où s’adossait leur patience, elles ont quitté les lieux

Lentement, avec elles, se sont dissous les augures

une naissance inversée, l’espérance déracinée,

par les talons offerte à l’érosion d’une fontaine

La vie esquive son cours face aux colonnes nues

qui dressent leurs symboles phalliques, la Terre

bascule et verse à la mémoire des Castalides

la promesse d’une éclosion :

le nombril du monde

percera le silence

.

Carmen P.

photographie : Francesca Woodman

La tendresse en héritage

L’auto-louange je la tatoue
sur le pic de ma conscience
T’as tout ange au ciel-regard
qu’un iris suffit à te concilier

Ainsi s’honore la tristesse à la source
en frissons amplifiés par la tendresse
La peau absorbe la pluie de la colère
au bavard de l’instant échappé du chaos

Elle offre un sein au lait de l’émotion
avant que la parole ne désespère !

*

Grande est la solitude devant la neige
qui sur l’écran de nos vies, grésille.

Pourquoi accorder tant d’importance
aux images puisées en ondes troubles ?
Le vide à l’intérieur de nos consciences
appelle dès le chant du coq : rouge
l’énergie et la joie sous le manteau
enfin retourné de nos attentes.

C’est l’instant guetté par l’ami fidèle
qui jamais ne quitte notre ombre.

*

Les grands absents
apparaissent
au détour d’images
oniriques
ils sont fort affairés
et me remarquent à peine
Sans doute
le contour de ma mémoire
les retient-il prisonniers !
Ainsi vivent nos présents
quand leur silence en tâches
me renvoie à mes propres solitudes

Que Poésie n’enrobe pas
ma conscience toute entière,
entre concentration et ramification
que navigue son euphonie
du dedans au dehors, à tous moments

L’œil extérieur accorde au monde
les couleurs de sa connaissance intérieure
et son champ ratisse – large – au tapage du coeur

.

Carmen P.

illustration : Lionel Bulmer

Au clair de la lune, mon ami auteur, prête moi ta plume que j’écrive un mot…

Tout se passe comme si quelque part en moi je connaissais Lucas.

Prononcer ce prénom revient à tirer sur une ficelle. Un fil rouge découd alors des souvenirs inexistants. Ils sont les fruits d’une mémoire fantôme.

Cela me dépasse. Le prénom Lucas vient moins suggérer une présence que dire par le biais du cœur tous les rêves avortés d’un ancêtre dont je serais, bien malgré moi, l’héritière.

Je note sous la dictée de cet imposteur un testament qui devient message adressé à un jeune homme animé d’une fougue identique à celle qui a conduit mon hôte à la mort.

Je murmure Lucas et je pense peinture.

Je m’emmêle dans ces liens qui ne me concernent pas, mais ai-je la liberté de dire non à cet appel, à ce cri venu du profond de l’être et qui retourne ma propre terre à la recherche de ce qui ne peut plus souffrir l’enfouissement ?

Il me semble avoir passé ma vie à refuser de répondre à ces appels incessants dont je ne pouvais déterminer l’origine. J’étais ici pour avoir les pieds sur terre et cela nécessitait une lutte farouche contre l’invisible qui ne cessait de m’interpeller.

Alors auteur, accepteras-tu de prêter ta plume à des personnages fictifs ?

Mais qui suis-je pour donner de la voix à des personnages imaginaires, pour accueillir leur mémoire privée de corps, alors que la mémoire de ma mère se dissipe dans la brume et qu’aucune corne (de brume) ne pourra jamais la ramener vers les siens ?

Alors, le roman attend, et je consens à l’écriture de quelques poèmes qui, le plus souvent, n’ont ni queue ni tête, ni souvenir ni avenir. Ces constructions ne sont que  missives tronquées.

 

*

 

Excusez-moi
je cours
avant que tout ne s’efface
derrière moi

je vole
le bruissement
de mes jupes dissipe
la formation des cristaux
attachés à ma mémoire

La vitesse déroule
l’estime vrillée autour
de son propre cordon
Elle exhorte le soi
à l’annulation de son programme
d’ensablement consenti
en heures trop lentes

Je libère les aiguilles
et je m’accorde au rythme de la vie qui file
autour de nous – c’est hallucinant
en nous – elle s’octroie le vieillissement

L’heure de l’amour s’éternise
jour après jour, elle ajuste
à la perfection notre trajectoire
sur l’amplitude de notre instinct
de vie. Le cadran universel
voit ses étoiles fuyantes
et les agence dans son cosmos

L’espace est une demeure
qui n’ignore aucune existence

 

*

 

Les fleurs n’inventent pas d’histoire. Soumises aux lois de la nature, elle se contentent de s’épanouir, puis elles rendent à la vie la grâce d’avoir été.

 

*

 

C’est maintenant et c’est jamais !
Nous n’acceptons pas l’idée d’un jamais, alors nous revivons toujours les mêmes films, jusqu’au jour où nous brisons le noir de notre chambre hantée. Les fantômes de nos appréhensions renaissent des fissures. Depuis notre for intérieur se tisse la lumière, elle déploie notre toile de vie. Cet espace ouvre la présence au toujours, à partir de l’instant même où nous l’autorisons.

 

*

 

Rien n’est insignifiant. Nos erreurs sont des tentatives avortées, elles ébauchent notre carte de vie, modèlent nos pensées jusqu’au point de sincérité où notre conscience unie à celle de l’Univers la valide. L’homme doit imaginer son terrain avant de s’épanouir et il ne le trouve que dans la confiance, intérieure. Pour la fleur les choses sont plus simples, le terrain lui est donné.

 

*

J’aimerais être une fleur de trèfle. À quatre feuilles. Ma mère les trouvait si facilement !

Un flocon de poésie

J’ôte une robe

que milliers d’aiguilles

bâtissent

Le geste mesure

la distance de précaution

entre ma peau et le tissu

Les mêmes gestes

accompagnent la Poésie

chacune de ses images

m’allège d’une épaisseur

tout en scarifiant mon âme

au passage

Le poème pourtant

je le pense comme flocon

de dentelle que j’aimerais poser

sur une cape de mousseline

et derrière mon dos

(en l’aidant d’une légère secousse)

lui accorder l’envol

afin qu’il suive la fée Clochette

jusqu’au Pays des enfants perdus

.

C.P.

illustration : Sonja Hinrichsen

J’ignore les fantômes mais je connais l’ange qui derrière moi me pousse

J’ignore les fantômes
mais je connais l’ange
qui derrière moi me pousse

*

Dites-moi
mots pétrifiés
ce goût de sel
si naturel
que fond de gorge
ressent dans ce vide
de bulles joyeuses
comme un aber
avide d’eau
ce goût de sel
ne se désagrégera-t-il pas
comme un iceberg
rompu par la chaleur
des émotions

trop humaines

*

Toi ma Terre
fais-toi discrète
je t’en supplie
En ce monde
où rien ne dure
on peut souffrir
longtemps seul
avant qu’une vague
d’espérance ne lève
notre dépendance
J’ai rejeté de mon âme
tout attachement
aux épreuves
je ne m’y balance
pas obstinément
Mon coeur, montre-toi
docile et mon visage
souris, confiant !

Vie, redresse-moi !

J’accepte que tu tiennes
mes ailes en laisse
Je ressens ce point d’attache
cette pression m’est douce
et libère mon souffle

À pleines branches, le vent !

.
C.P.
illustration : Francesca Woodman

D’après couleur et nature

du sable ô la fluence
tandis que limpide
le ciel couve la dune
quel sublime artiste
donne la note
avant que notre coeur
le suive et fasse ouvrage

*

l’une de dos
assise
l’autre de face
debout
tendent – invisible
un miroir
où le bleu s’épanche
en dégradés
rompus par la verticalité
des muses

dévolue
à la pleine nature
une place t’attend
poète

prends ton temps
tu n’es que reflet
fondu dans l’azur

un brin de tonalité

*

Le décor se construit
au rythme des passages
densification de matière
rajout de présence
ainsi avance la Vie
aux pas de l’âne
récalcitrant
à la cadence

décalée

*

J’ai pris la pluie
en foulant les bogues
des chemins creux
Au retour, les cimes
des érables ensoleillaient
le parc, tandis que double
l’arc en ciel par-dessus
le jardin s’accordait à la pose
J’ai pris la liberté
en piochant des couleurs

aussi loin que paisibles

.

Carmen P.

illustration : Thomas Wilmer Dewing

Présence et rythme

Vivre la présence pénétrée par l’instant
sans rigidité, sans précipitation
au rythme lent
d’une éclosion perpétuelle
Savourer l’osmose entre le corps
et le paysage – sa déliquescence

Entendre sa propre voix
éclaircie de silences
se mêler au chant
de la nature, en transe
volupté, qu’un ondoiement
de serpent ou d’anguille
viendra troubler à l’improviste
signant la perte définitive du droit
d’oisiveté au jardin de Pomone

Une amibe s’anime
sous l’ombre du phénix
elle est le cri
elle est l’envol
que sa condition parasite

L’ennui reconnaît
les modulations d’une langue
qui s’invente au cœur de la cellule
L’affinement de la sensibilité
ébruite la souffrance face à l’inatteignable
attise l’impatience devant l’imperceptible
mouvement qui ne cesse de se languir
derrière l’immobilisme apparent

Le geste semble arrêté
la pensée lobotomisée
la parole murée
la féminité voilée
la croissance contrariée
l’univers condamné
quand la mainmise de la réalité
nous rend sourds aux révélations
du corps de lumière qui nous étoffe

Au moment précis où la situation
devient insoutenable , bloque l’action
nous réalisons combien les apparences
nous ôtent la liberté qu’une simple
amibe approche

.
Carmen P.

Des mots-fenêtres

 

Chaque matin je cueille mes pas et les plante dans l’eau de la Vie qui Va !

*

Il faut du courage au lever du soleil car vivre c’est accepter d’infiltrer la toile où l’humanité fixe sa monstruosité.

*

J’avance, à pattes de mouche de lumière.

*

Les poèmes sont des fenêtres, ils conduisent le temps vers une nouvelle dimension, insoupçonnée et pourtant inscrite dans l’espace. Nos sens limités nous en interdisent la perception.

Ecrire met en relation le réel, en tant que surface réfléchissante dépourvue de profondeur et  impuissante à révéler l’originalité de l’être, et le rêve – le plus puissant accélérateur de Vie.

Si notre sensibilité intérieure s’affine, nous percevons ces espaces, nous accédons à d’autres possibles. Alors,  les mots pour le dire nous transpercent.

Grandir, c’est éviter l’accumulation des papiers gras du réel en nous, ne pas prêter notre être intérieur à l’envahissement des lambeaux de tapisserie du monde extérieur, car la Vie ne se lève de terre que sous la houlette des rêves intérieurs et c’est la magie de cette beauté du dedans qui doit tapisser le dehors. Hélas, nous expérimentons, le plus souvent, l’inverse !

*

À un moment, mes poèmes se sont mis à devenir de plus en plus minces. Maintenant, ils deviennent de plus en plus fluides. Bientôt, il ne restera plus d’eux qu’un son, fin comme un cheveu d’ange, sur lequel s’enfileront les cœurs. Le moment n’est pas venu. Je retourne à la prose !

.

Carmen P.

photographie de Francesca Woodman

 

Accueil

 

Ils ne déchireront pas le voile

car il n’y a pas de voile

 

Celui que le crime offusque

est le criminel occulte

Seul le contraire de l’évidence

détient une once de vérité

 

Alors, ils en appelleront à l’inconscience

puisqu’en vérité seuls les lieux communs

ont le droit de cité

 

Aller par les chemins hostiles

en aucune façon ne divisera

leur pensée car la jungle est humaine

– en leur âme le terme des visions amères –

 

Il leur faudra tout abandonner

avant d’accepter sans haine

que leur cœur s’emplisse de ce qui est

sans gratitude aucune, accueil !

.

Carmen P;

photo :David Senechal