J’ignore les fantômes mais je connais l’ange qui derrière moi me pousse

J’ignore les fantômes
mais je connais l’ange
qui derrière moi me pousse

*

Dites-moi
mots pétrifiés
ce goût de sel
si naturel
que fond de gorge
ressent dans ce vide
de bulles joyeuses
comme un aber
avide d’eau
ce goût de sel
ne se désagrégera-t-il pas
comme un iceberg
rompu par la chaleur
des émotions

trop humaines

*

Toi ma Terre
fais-toi discrète
je t’en supplie
En ce monde
où rien ne dure
on peut souffrir
longtemps seul
avant qu’une vague
d’espérance ne lève
notre dépendance
J’ai rejeté de mon âme
tout attachement
aux épreuves
je ne m’y balance
pas obstinément
Mon coeur, montre-toi
docile et mon visage
souris, confiant !

Vie, redresse-moi !

J’accepte que tu tiennes
mes ailes en laisse
Je ressens ce point d’attache
cette pression m’est douce
et libère mon souffle

À pleines branches, le vent !

.
C.P.
illustration : Francesca Woodman

D’après couleur et nature

du sable ô la fluence
tandis que limpide
le ciel couve la dune
quel sublime artiste
donne la note
avant que notre coeur
le suive et fasse ouvrage

*

l’une de dos
assise
l’autre de face
debout
tendent – invisible
un miroir
où le bleu s’épanche
en dégradés
rompus par la verticalité
des muses

dévolue
à la pleine nature
une place t’attend
poète

prends ton temps
tu n’es que reflet
fondu dans l’azur

un brin de tonalité

*

Le décor se construit
au rythme des passages
densification de matière
rajout de présence
ainsi avance la Vie
aux pas de l’âne
récalcitrant
à la cadence

décalée

*

J’ai pris la pluie
en foulant les bogues
des chemins creux
Au retour, les cimes
des érables ensoleillaient
le parc, tandis que double
l’arc en ciel par-dessus
le jardin s’accordait à la pose
J’ai pris la liberté
en piochant des couleurs

aussi loin que paisibles

.

Carmen P.

illustration : Thomas Wilmer Dewing

Présence et rythme

Vivre la présence pénétrée par l’instant
sans rigidité, sans précipitation
au rythme lent
d’une éclosion perpétuelle
Savourer l’osmose entre le corps
et le paysage – sa déliquescence

Entendre sa propre voix
éclaircie de silences
se mêler au chant
de la nature, en transe
volupté, qu’un ondoiement
de serpent ou d’anguille
viendra troubler à l’improviste
signant la perte définitive du droit
d’oisiveté au jardin de Pomone

Une amibe s’anime
sous l’ombre du phénix
elle est le cri
elle est l’envol
que sa condition parasite

L’ennui reconnaît
les modulations d’une langue
qui s’invente au cœur de la cellule
L’affinement de la sensibilité
ébruite la souffrance face à l’inatteignable
attise l’impatience devant l’imperceptible
mouvement qui ne cesse de se languir
derrière l’immobilisme apparent

Le geste semble arrêté
la pensée lobotomisée
la parole murée
la féminité voilée
la croissance contrariée
l’univers condamné
quand la mainmise de la réalité
nous rend sourds aux révélations
du corps de lumière qui nous étoffe

Au moment précis où la situation
devient insoutenable , bloque l’action
nous réalisons combien les apparences
nous ôtent la liberté qu’une simple
amibe approche

.
Carmen P.

Des mots-fenêtres

 

Chaque matin je cueille mes pas et les plante dans l’eau de la Vie qui Va !

*

Il faut du courage au lever du soleil car vivre c’est accepter d’infiltrer la toile où l’humanité fixe sa monstruosité.

*

J’avance, à pattes de mouche de lumière.

*

Les poèmes sont des fenêtres, ils conduisent le temps vers une nouvelle dimension, insoupçonnée et pourtant inscrite dans l’espace. Nos sens limités nous en interdisent la perception.

Ecrire met en relation le réel, en tant que surface réfléchissante dépourvue de profondeur et  impuissante à révéler l’originalité de l’être, et le rêve – le plus puissant accélérateur de Vie.

Si notre sensibilité intérieure s’affine, nous percevons ces espaces, nous accédons à d’autres possibles. Alors,  les mots pour le dire nous transpercent.

Grandir, c’est éviter l’accumulation des papiers gras du réel en nous, ne pas prêter notre être intérieur à l’envahissement des lambeaux de tapisserie du monde extérieur, car la Vie ne se lève de terre que sous la houlette des rêves intérieurs et c’est la magie de cette beauté du dedans qui doit tapisser le dehors. Hélas, nous expérimentons, le plus souvent, l’inverse !

*

À un moment, mes poèmes se sont mis à devenir de plus en plus minces. Maintenant, ils deviennent de plus en plus fluides. Bientôt, il ne restera plus d’eux qu’un son, fin comme un cheveu d’ange, sur lequel s’enfileront les cœurs. Le moment n’est pas venu. Je retourne à la prose !

.

Carmen P.

photographie de Francesca Woodman

 

Méditations face à la mer

Poing fermé / Main ouverte

Les mains, sur ce tableau de Dali sont remarquables. Souvent on ressent (de l’intérieur) tant de crispations dans nos mains, qu’elles soient ouvertes ou fermées !… à tel point que la position de relâchement paraît contre-nature – c’est dans cette position, pourtant, qu’elles se révèlent belles et apportent la détente autant au mental qu’au physique. Je me demande, si le fait de prendre conscience de cette relaxation ne permettrait pas, ensuite, de serrer les poings avant de passer à l’action plus efficacement ou d’ouvrir nos mains au monde plus généreusement.

***

C’est peut-être la mer
ou un cheval sans queue ni tête
un massacre en mouvement

***

sur le front de la dune
plus aucune mèche blonde
ne dévore le soleil ni ne court au vent
la vie a retiré toutes les promesses
qu’une marée d’amour avait dispersées
sur le sable en folie. Ne résonne plus – Entends !
la retombée des grains sur la conque du coeur
car toujours la mer s’obstine à embrasser la plage
et s’apprête à la blessure____que le temps remue
que le temps affine jusqu’à la brisure minuscule

***

si j’allais
sans me soucier de rien
pieds nus vers ce qui advient
donnant tout pouvoir à l’instant
les paupières en ailes de papillon
et le coeur à la pointe des orteils
si j’allais
suivant les caprices du temps
ou bien ceux de l’ennui
découper en mappemonde
la dentelle de mes jupons

 

***

Au fond de l’âme

l’esquisse d’une vague

interdite à déferler

sur la promesse de l’aube

 

Les baisers suspendus

au-dessus des reflets

de chair, le regard

derrière les paupières closes

tout concourt à  la solitude

quand la planète stupéfaite

semble suspendre sa course

face à l’index de granite

qui ne lève pas mot

 

elle se réveillera

douloureuse

ardente

 

danse sa géologie cosmique

 

 

***

Accueil

 

Ils ne déchireront pas le voile

car il n’y a pas de voile

 

Celui que le crime offusque

est le criminel occulte

Seul le contraire de l’évidence

détient une once de vérité

 

Alors, ils en appelleront à l’inconscience

puisqu’en vérité seuls les lieux communs

ont le droit de cité

 

Aller par les chemins hostiles

en aucune façon ne divisera

leur pensée car la jungle est humaine

– en leur âme le terme des visions amères –

 

Il leur faudra tout abandonner

avant d’accepter sans haine

que leur cœur s’emplisse de ce qui est

sans gratitude aucune, accueil !

.

Carmen P;

photo :David Senechal

De nuit, deux amies sur une route

(texte onirique)
.

Elle rêvait
plongée dans le vivant du sommeil
que la pluie sur le toit figurait en débordements
Ainsi vécut-elle
au bord du lac où par le passé son père avait été englouti
heureuse

Elle rêvait
d’une direction à prendre
entre l’Est et l’Ouest
(je crois qu’elles prirent la route vers l’Ouest)
vers une ville au nom latin
oublié depuis mais elles ne perdirent
pas le goût de vivre qui résonnait
sous leurs peurs – tendu

même lorsqu’elles traversèrent
le cimetière où le prêtre
seul vivant rencontré dans la nuit
leur dit qu’elles étaient sur la bonne voie
elles ne pouvaient se tromper
en suivant la route des cent arbres
Ces arbres avaient été torturés
ils avaient subi un greffage
sur leur bois, jeunes – transfigurés
ils seraient reconnaissables
et jalonneraient leur route

L’amie était partie en auto-stop
sans voir les arbres, mais sait-on
ce que voient ceux
qui ne sont pas à nos côtés ?

Je demeurai fière d’elle
à l’arrivée je constatai qu’elle avait écrit de nombreux livres
ignorés de tous. Je les reconnus aussitôt même si son visage
ne figurait pas sur la quatrième de couverture
Elle était blonde, vive, et combien aimable
contrairement à ce qu’affirmait le chauffeur
qui décrivit la route en sa compagnie pénible
On ne porte pas le fardeau de l’imaginaire
sans qu’il paraisse « encombrant » pour ceux qui voyagent en notre compagnie

Peu importe
les livres demeurent
ils ouvrent aux lecteurs
un sens en retour
Peut-être même pourraient-ils voir
les cent arbres martyrs
et par la magie des mots parvenir
à dégrafer leurs carcans – les ramenant
à leur propre nature

.
Carmen P.
Illustration : Balthus – Étude pour le Rêve I ,1935

Face à l’océan

Dans l’apparente immobilité
Vie___quel élan te pousse ?
Vers quel amant
vers quel enfant
vers quelle passion
dresses-tu ta présence
guettant l’envoûtement
du chant des sirènes
qui tarde à se livrer
en ton écoute si tendre ?

Face à l’océan
un bouquet d’immortelles
sur ton giron
tu inscris – patience
dans l’instant fulgurant
d’un rêve de deux

Carmen P.

illustration : Gustave Gain

Une missive d’argile

Je t’adresse une missive d’argile
sur la pointe de nos pieds fragiles
nous la bercerons – vasque docile

Chaque jour une flamme nouvelle
réveillera les mèches anciennes
des charbons d’étoiles

c’est myriades !

Dés l’aube, nous bénirons une fleur
choisie parmi les mots de notre jardin
secret
nous l’aiguillerons de nos regards

aimants

Nous serons au vent, à son souffle

arrimés

Les arbres, en nous…

Mise en musique de Michel Bonnassies :

https://www.archive-host.com/fb/m/266202/1

 

Les arbres
couvrent forêts et d’âmes en jours
à force d’océans désarment
la distance

Les arbres
ici plantés pour une naissance
pour un départ vers l’au-delà
de l’horizon

Les arbres
tiennent promesses de fruits, toujours
entre eux serpente une parole
de bois tendre

Elle a le goût de la noisette
un parfum d’humus et de baies
une étreinte heureuse
qui manque

Car l’arbre en nous
prédit croissance, signe vigueur
dessine un coeur
sur notre armure

Il déchiffre
la marque de l’ange que vie déploie
en mode insensible
dans tous nos actes

Leurs empreintes légères
soupirent comme les feuilles de l’arbre
que saison libère en temps
venu

Mon Grand Central
n’est pas hall de gare
c’est une voûte bruissante de voies ailées
où chantent les ramures et se révèle
l’intime terminal

.
Carmen P.