Cargo blues de Yasmina Hasnaoui
Les Peaux de papier* ne sont pas loin de Cargo blues. Elles se décollent des murs qu’elles tentent de repousser afin de gagner du terrain, toujours un peu plus, sur les contrées inexplorées de l’écriture.
« N’oublie pas les jours sont des îles que nous foulons »
Pour atteindre ces iles, une seule voie, la mer, et chaque nuit est une escale.
C’est dans un lieu trempé de nostalgie que nous embarquons avec Cargo blues. Ici, le décor s’effrite sous la corrosion d’une âme soumise à l’in-solitude.
Parce qu’elle n’est pas seule.
Parce qu’on ne naît pas seul.
Il y a toujours un autre, quelque part.
La solitude est une illusion, contre nature.
Quel est cet autre qui prend la mer, alors que Je reste enchaîné(e) à ce désir, crucial, d’écrire.
C’est la mer, « cette garce » qui a ravi ce double vivant, celui qui disait « Tu es » et laisse un Je, pantelant, au bord du vide.
Ce vide se dessinait déjà avant, il rendait les contours de l’autre flou, déliquescents. L’absence laisse son empreinte sur le paysage, elle s’empare des êtres, elle occupe l’espace dépossédé.
Il est hors de question de la laisser pénétrer en soi. L’attente ne sera pas signe de passivité.
Elle n’attendra pas « au hublot de sa chambre » comme ces femmes, résignées, depuis la nuit des temps. Elle endiguera l’absence au-delà de l’effacement des traits. Elle voit bien qu’ils ont déserté l’endroit où elle vit : elle ne se reconnait plus.
Un vent de douloureuse lucidité a chassé les rêves, ne laissant d’autre alternative que l’enfermement. Un face à face avec l’absent. Un duo avec le silence. Un corps à corps avec le mystère. Ecrire encore. Ecrire sans trahir l’histoire des hommes en laissant un espace entre les mots, un espace de vérité. Un souffle.
Le rêve, on le laisse aux enfants, les « seuls vivants » capables de le construire, tandis que l’écrivain jette son ancre dans l’innocence des premiers regards, dans l’étouffement d’un cri auquel elle souhaite redonner sa puissance. S’entend le blues de la séparation originelle.
Le goût de la vie est peut-être matérialisé sous d’autres cieux, mais l’amour en restitue les saveurs, les couleurs et les odeurs venues du lointain. L’insaisissable de ces instants, en l’absence ou en présence de l’autre, est une lumière pareille à la lune qui veille et dissipe les doutes.
« Je veux ramener à ma mémoire les corps des anciens pour donner sens à qui je suis », nous dit Yasmina, et je visualise, en la lisant, toutes les promesses que sont l’or, l’encens et la myrrhe, elles reviennent vers l’humanité à qui elles étaient destinées.
La confrontation au vide n’aura pas été vaine, le lecteur en savoure les présents.
Carmen Pennarun
* Peaux de papier : précédent recueil de Yasmina Hasnaoui, édité aux Penchants du roseau.








