Je suis Marie, la « petite reine de la cité »

.

Depuis son plus jeune âge ses actes étaient guidés

par la nature. Elle respectait les lois des vents

des marées. Ne lui en demandez pas la raison

prenez ses notes comme autant d’instantanés

Elle était imprévisible pour qui ne savait pas lire

les signes que Terre envoyait, ceux que les passeurs

des voix de la nature – nos animaux – traduisaient

.

N’accusez pas le liseron s’il étouffe vos rosiers

seul le jardinier ordonne la nature

hélas, elle ne connaissait rien à l’horticulture

elle laissait l’enfant faire ses premiers pas

quand de lui-même il parvenait à maîtriser la loi

de l’équilibre en direction de ce qui l’attirait.

Elle se gardait de s’exclamer par crainte

de le surprendre et de stopper son élan

.

Elle était le témoin silencieux – pierre

levée qu’une vibration joyeuse animait

Elle entendait le chant de la vie et le frémissement

des arbres surpris par l’agitation humaine

Elle entendait

.

la voix de son père, celle de sa mère

un écho d’amoureux, une tonalité

pour elle seule. Son berceau était construit

de bois. Son père pourtant, n’était pas menuisier

mais il avait su chantourner les barreaux

pour son fils. Pour un fils ?

.

Début d’automne. La nature tapissait déjà

le sol de feuilles pour l’avenir. Une enfant

avait trouvé un nid dans le corps d’une jeune

fille. Ses parents allaient quitter la chambre

de bonne où la tenancière les regardait

d’un mauvais oeil. L’enfant attendait

C’est dans une cité, la première construite

à l’appel de l’abbé Pierre, que les eaux annoncèrent

une naissance dans l’urgence. L’enfant prématurée

tardait à voir le jour. Pourquoi faut-il trop souvent

enfanter dans la douleur ?

.

La peur de perdre la mère et l’enfant

ouvrit le coeur du père, ainsi il put accueillir sa fille

Elle devenait miracle. Il l’appela Marie

.

Entre les barreaux de son lit Marie entendait

tous les sons que la vie lui apportait

elle sut faire tenir les mots debout bien avant

qu’elle ne se dressât sur son matelas

et c’est sur le tremplin des mots qu’elle apprit

à grimper pour mieux voir ce qui mijotait

dans le chaudron de la vie

.

Elle sut très tôt que les mots bien souvent

contredisent ce que les coeurs dans leur langage

lui révélaient. N’était-elle pas Reine, première enfant

née dans cette cité ; un chaland où tous les miséreux

apprivoisaient leur dignité ? Elle symbolisait l’espoir.

.

Carmen Pennarun

photographie : Staihis Vlahos

L’arbre d’eau

David Joaquim

L’arbre d’eau

poésie d’une péniche

ainsi nommée

.

de Rennes à l’écluse du Boël

elle s’offre une escale

à Pont Réan où elle décide

de virer de bord

d’une lente manoeuvre

.

spectacle sur les berges

car la belle prend

la largeur de la Vilaine

.

je me suis souvenue

de Gigi Bigot

une conteuse que j’avais vue

avec mes petits élèves

.

la cale de rouge tendue

bruissait des rires

que la parole nomade

confiait aux âmes

jeunes puis elle filait

sur l’eau berçante

comme une matrice

.

les souvenirs sont étoiles

et l’enfance est un Art

qui les engrange toutes

*

*

n’être qu’une seule fois

moi toute entière

chair et eau

lumière et mots

.

libérée de la sécurité

amniotique. Loin

du giron de la douceur

où se noie la confiance

.

shame on me quand plane l’ombre

de l’aile d’un rapace dont je suis la proie

confondue

.

ne plus cacher mon visage

dans le creuset de mes mains

laisser le ciel inonder mon âme

.

il y a bien assez de sel sur Terre

je me refuse aux leurres de surface

.

mon coeur est une vallée

où affluent les cours d’eau

venus disperser les poisons

dans le lit du sentimentalisme

.

l’amour guide ma navigation

dans l’originalité de mes mémoires

baignées du chant de l’univers

.

la marque de la honte doit s’effacer

afin d’ouvrir l’espace au poème

il fraie en eaux profondes

.

seul mon être réconcilié

avec mon moi m’aime

ose s’en approcher

.

et mes paroles ne s’alignent

sur les actes que s’ils sont en voie

de congruence

.

la musique d’une vie

se joue sur un clavier flottant

*

*

je pense à vous, saisons,

ô vase fragile de l’instant

dépêché, quand l’hésitation

laisse en suspens l’urgence

d’un affleurement

.

j’incline vers l’astre solaire

la courbe du jour – entre tumulus

et passeur d’eau

.

je vais d’une rive du temps

à l’autre

j’engrange tous les couchants

jusqu’à ce que lèvent d’autres promesses

vives comme l’aube

.

quand glissent lumières en ombrelles

et que jonquilles et iris retrouvent

leur chant tandis que grimpent les saveurs

.

en secondes d’éternité

.

Carmen Pennarun

La cinquième saison

La cinquième saison

je la nomme Joie

elle n’a rien de lunaire

bien que dans la tristesse

on pourrait le croire

.

elle traverse l’année

du premier janvier

à la nuit de la Saint Sylvestre

sa lumière jamais ne s’éteint

tant va l’énergie permettant

aux mots de fructifier

en fond labyrinthique

.

elle est la flamme qui nous habite

et qui initie notre souffle

à la magnitude solaire

.

l’onde de joie émerge

sous la clarté falote

d’une lune pleine

aux pieds des pâquerettes

invisibles – elles devisent –

en croissance d’aurores

.

la cochlée de l’ oreille

accueille les vocalises de la vie

les vibrations hautes

coulent leur onguent

irradient de nitescence

et sur nos fronts s’épanouissent

les blancs de nos mémoires

absous  des trous noirs

dépeignés d’allégresse

.

Carmen Pennarun

.

Mirage bleu – ma mère

elle, si légère

comme une feuille

détachée

comme une rivière

sortie de son lit

avec des gestes doux

à reconduire

conversation lente

de petits cailloux

des petits riens

en plain appel

tout va bien

malgré ce mal qu’elle ne parvient

à endormir

tout va bien

et l’air est une rivière

où dansent ses robes

fleuries

la vie

.

lui, dans le réel

égaré

il n’a pas appris

à relever

les petits cailloux

à faire le chemin

qui remonte le temps

il était bâtisseur

mais la profondeur

des fondations

et la hauteur des murs

ne résistent pas

aux assauts des jours

au-dessus desquels elle cherche étoile

.

Les petits cailloux comme les gestes

ne sont plus. Tout est figé, solidifié

et moi je la vois debout à côté

de ce corps qui ne répond plus

regardant venir les bateaux

de l’enfance chargés des

rires des ses sœurs.

Il demeure du bleu

le ciel le dit

il ne saurait

mentir

d’ailleurs

la lumière

attise des braises

pour quel enjeu ?

.

un point d’enfance

dans l’aride

vieillesse

.

en vérité

les ocelles bleus

d’une âme que l’océan

attire vers l’ultime

camouflage

.

et l’on voudrait que je sourie

alors que je retiens

au-dessus du vide

mes cris d’appels

mes yeux sont secs

pourtant je tangue

j’affirme que tout cela

est mirage -ralentissons !

.

la vie est éclaboussure

d’infini, un nectar

un temps, un venin

au final

.

Eve n’y est pour rien

et ma mère non plus

.

Carmen P.

illustration : Léon Spilliaert

L’enfance dans la joie perchée

Trees falls
Bees balls
That’s how
the world
will be

Evan P. – 5 ans

*

Le vert est un son – tenu
de la terre, il prend corps
suit le souffle d’hiver
jusqu’à l’embaumée d’une faveur
fleurie. Croire aux cymes
du tilleul mi-juin

*

Derrière le front
l’énergie vert pomme
d’une terre à blé
où lentement poussent
les épis
_____ et les fougères
des pensées se plient
émiettent les mottes
où germe le grain
de demain
_____Rien ne s’oublie
du passé à l’avenir
quand la menthe
en soi savoure
mille désirs

la vie crée notre paysage
à partir d’un champ chromatique
celui d’une couleur  que les rayons
de notre soleil intérieur – traverse

*

Les hôtes dans ce bel arbre
se posent comme des oiseaux
L’ami aux bras noueux
accueille chacun comme
il porte les saisons
Les fruits sont gracieux
et sa voix de broussaille
se fait murmure que seuls
les enfants écoutent

*

Dans un monde tout autre, si l’enfant – vif et espiègle – était planté comme une jeune pousse,  il contemplerait avec envie, de son petit coeur palpitant  attaché à la terre,   l’arbre libéré de ses racines qui, en face de lui, gambaderait à s’en rompre le bois.

Je verrais bien cet arbre… et oui, je le vois ce grand pachyderme végétal, en génuflexion devant l’enfant, tendre sa branche comme une trompe et d’un geste plein de sève et de compassion, la poser sur la tête du petit être avec une infinie douceur. Que savons-nous de la tendresse entre les espèces ? Un élan traverse la nature qui prend soin d’elle-même et en quelque sorte  nous protège, en nous intégrant à son champ vibratoire.

Recevons la bénédiction de nos frères végétaux que rien de monstrueux n’anime. Leur délicatesse de géants calme les peurs liées à la fragilité de notre condition humaine.

*

Le héron perché

sur la cheminée

d’en face

est la sentinelle

de not’ p’tite forêt

.

Sur ce coin du monde

où les jours passent

il couronne hautain

la canopée où

les maisons se cachent

.

Il s’envole soudain

à l’appel de l’étang

portant haut et loin

le hauban de son cri

.

Carmen P.

Contre mon coeur-cerisier

Photographie B. Pennarun, non libre de droit.

L’imaginaire est la clef dans la serrure du temps. Introduite à l’instant précis où le destin l’autorise, elle parvient à ouvrir la conscience à tous les possibles. Sous le faisceau du regard un monde fantastique s’anime et prend couleur. Il a la saveur des jours cerise.

*

J’accroche une échelle de fleurs
dans mon arbre

c’est pour toutes les pensées
étrangères
avant qu’elles ne deviennent
l’âme infidèle

Mon guide m’accompagne
et puis m’abandonne
car c’est à moi de compter
les noyaux – après la chair

Aucune roche n’est imprenable
l’esprit pénètre par les fissures
comme l’eau – mon enfant
comme l’eau s’infiltre

Le bonheur s’acclimate
il s’affirme en grimpant
du plus bas de la peur
et se hisse jusqu’au
panache de lumière
sans qu’aucune fleur
ne se ferme
et sans que tu ne lâches
ton rêve

*

La petite fille ne sait pas
qu’elle est née princesse
pas plus que le coquelicot
ne perçoit son propre éclat
et je raconte des histoires
qui dans mon coeur
forment mantra
dans l’ose ange
de mon esprit
.
_____Je
.
coeur____berce
.
____mon
.
pour que la petite fille
devienne fleur
tandis que les coquelicots
font la révérence
au bal des épis de blé
de ma conscience

.

Carmen P.

Vieilles pierres

Quand les murs de vieilles pierres
baignés de lumière et de siècles
ressemblent à la tapisserie fleurie
vieux rose tremble mon coeur
caché sous le corail de la soie
et mes pensées carminent
que seul le futur chavire
Je le devine là
prélevant un soupçon
de présence et le confiant
au temps, ce grand amplificateur
derrière lequel tout s’efface
inexorablement

Carmen P.

.

Femmes à la source

Tableau : Paul Sérusier

.

J’étais peu présente sur mon blog, ces derniers temps, car je finalisais un nouveau recueil de poésie.

Je vous en parlerai et vous préciserai le titre !

Voici quelques poèmes extraits du manuscrit.

***

Les montagnes de la vie
un jour deviendront-elles rose ?
Quand cesseront-elles
de jouer aux montagnes Russes
semant pagaille dans nos ardeurs ?

Rose, la couleur préférée des petites filles
du plus près au plus loin du berceau.

Les petites filles ont-elles le choix ?

Elles en ont l’illusion quand elles réinventent
le monde au travers d’un objectif
quand elles ouvrent le diaphragme
à leur guise. Tout
devient simple.

Rose
(comme muni d’œillères)

À la regarder de près
la voie du photographe
n’est pas toujours la plus

radieuse

*

Bien avant que la lumière ne la défroisse
elle s’était emmêlé les pétales
sous le bleu immense du ciel

de tout son jaune terrestre
elle orchestrait la fuite

*

À peine ébauchée
la passion juvénile
s’évanouit
dans un effarouchement soudain

Plus rien
ne s’accrocherait à ce regard
qui détroussait les présences
de stratagèmes audacieux

Sous la coupe vide de la lune
(il eût mieux valu qu’elle fût pleine)
peinaient les étoiles
elles offrirent cortège à celle
qu’elles reconnurent soeur

*

Vivre pour l’hélianthème
et ses petits cœurs dorés
Vivre pour ce qui sème
fragilité au bord des vanités,
quand jaune genêt on respire
et que la nature ouvre le jour
au parfum de muguet,
du moi, de mai.

.
Carmen P.

Dans nos forêts

.
Vos troncs dressés comme les barreaux d’une cage
protectrice
arbres, robustes, au plus sombre du bois
arbres-refuges pour oiseaux innocents
j’éprouve votre liberté à ciel déployé

Oiseaux, couleurs données au souffle
léger
vos chants aux heures clémentes
augurent pour la nichée
un avenir fantastique
que seule la magie
saura exaucer

car rôde la barbarie

On entend son galop monstrueux
éperonné de haine en grand nombre
on l’entend enfler…

Oh, se contenter d’herbes folles
savourer l’odeur du foin
se confier au sommeil
laisser les lucioles tapisser
nos rêves de lumières !

Arbres, jardiniers de nos cœurs
remparts contre nos détresses
vous nous cachez vos tremblements
jusqu’au jour fatal de votre chute
oubliant vos propres tourments
pour nous élever à la hauteur
de notre Paix intérieure

Le poète tente de suivre
vos signes à la lettre
il les tisse en mots
qui toujours restent
de bois tendre
il ajuste sa voix
à celle du silence
son langage est de soie
il lisse les inquiétudes
dans le sens des veines !

Une question demeure
amis enracinés
et je lève les yeux
vers vos branches hautes
moi qui suis liée
aux sables mouvants
des heures et qui ne sais
projeter ma foi plus loin que
ce que mes sens me donnent à découvrir

Vous qui aimez l’homme fragile
d’une tendresse gracile et enveloppante
comment pouvez-vous laisser le loup
se cacher derrière vos troncs
au lieu d’accorder à l’agneau
la transparence. Le conte sur Terre
n’en deviendrait-il pas plus charmant ?

L’œil de l’agneau ignore les barreaux
tandis que l’homme, comme le loup,
suit toujours les lignes de ses ombres
que ses pupilles reflètent.
Il faut lever les grilles
et prendre le risque
d’être dévoré
avant d’espérer
entrer dans la forêt magique
où nous sera accordé
le don d’invisibilité

Les légendes qui courent à travers les bois
ne sont pas des histoires anciennes
le présent se suspend à la traîne
de la robe du temps et rejoint le passé

Seul compte le pas de la seconde en marche
son souffle gorgé du chant vivant du breuil
ouvre la sente où nous nous engageons nus
abandonnant la robe à l’orée de nos frousses

.
Carmen P.

La rouille

.

Tout se rouille
et toi tu dors
d’un sommeil à
outrance où s’affolent
tes paupières

un sursaut ouvre
tes yeux – fixes –
ils ne voient pas
les narcisses
qui n’existent pas
car ils n’ont ni tige
ni tête ni couleur
ils  tombent
dans le vide ambiant
sur ton monde 
étrange 
où je n’échappe
pas à la disparition
je glisse quelques mots
– des chatons de solitude –
au loquet de ton coeur
verrouillé

.
Carmen P.

Illustration : Boris Pasmonkof